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samedi 9 avril 2011

Femmes maghrébines marginalisées


Par Saïd AFOULOUS, 1/4/2011

Actes du colloque «Femmes marginalisées»
Mères célibataires, femmes de ménage, femmes divorcées, veuves, détenues, femmes en célibat assumé…

 
«Femmes marginalisées et insertion sociale» est un ouvrage collectif, publié sous la coordination de Fatima Sadiqi, professeur chercheur président du Centre Isis. Il rassemble les actes du colloque organisé il y a une année à Fès sur les phénomènes d’exclusion de la femme du fait des mentalités et des normes sociales dans le monde arabo-musulman avec propositions. L’ouvrage vient d’être publié à l’occasion de la journée mondiale de la femme avec 17 articles en arabe, en français et en anglais. Les auteurs, souvent des universitaires, évoquent le phénomène dans plusieurs pays: Maroc, Algérie, Tunisie, Yemen, Congo etc. Sont traitées les différentes situations de marginalisation: mères célibataires, femmes divorcées, veuves, vieilles filles, femmes détenues, femmes de ménage etc.
D’après Fatima Sadiqi les études publiées, en abordant par exemple des situations spécifiques comme les mères célibataires et les femmes de ménage, visent à ouvrir un débat pour combler quelques lacunes juridiques non évoquées par la Moudawana qui a constitué un grand progrès au Maroc. «Nous avions organisé le colloque pour permettre, en partie, de débattre de certaines lacunes comme le fait que les mères célibataires et les femmes de ménage n’ont pas été intégrées pour leur donner un cadre légale».
D’autre part, ajoute Fatima Sadiqi, il s’agit de sensibiliser les étudiants sur l’intérêt du travail de terrain en rapport avec ces phénomènes d’exclusion pour stimuler l’intérêt pour des études académiques très poussées sur ces thèmes où souvent il y a absence de données et de statistiques officielles, si l’on écarte celles détenues par des ONG oeuvrant dans le social.
De ces textes publiés, on peut retenir que la marginalisation des femmes est de deux sortes grosso modo. D’abord celle liée à la pauvreté, la misère, les disparités sociales criantes, l’analphabétisme, ce qui engendre des situations de dépendance et d’exclusion. Ensuite celle d’exclusion même pour les femmes de niveau éducatif supérieur et jouissant d’un statut social relativement privilégié par rapport aux autres et qui n’en souffrent pas moins d’exclusion en cas de présence d’extrémisme religieux ou de phénomène d’opinion publique dominante et diminuante par exemple pour les femmes divorcée, célibataires ou vieille filles comme on peut le lire dans l’intéressante étude de Amel Garmi sur la prise de parole des femmes célibataires, une prise de parole grâce aux nouvelles technologies, Internet et blogs. Il s’agit des femmes qui ne se sont pas mariées et qui se sentent rejetées, opprimées par l’opinion dominante machiste.
Les études présentées insistent donc sur la question des normes sociales, de l’immobilisme des mentalités, des images discriminatoires de la femme dont l’image est dénigrée, mal vue dans l’éducation et chez les femmes elles-mêmes surtout analphabètes.
Les mères célibataires sont évoquées dans deux études, d’abord par Hakima Hatri de l’Université al-Qaraouiyyine de Fès qui fait le lien entre les enfants abandonnés et les femmes en situation difficile (divorcées, veuves), ensuite par Amina Magdoud de la Faculté de droit de Fès. Le phénomène est plutôt archiconnu surtout avec le travail de terrain d’ONG comme Solidarité féminine de Aicha Chenna à Casablanca. Celle-ci avait déjà fait le lien très étroit entre l’exploitation des petites bonnes et la prolifération des mères célibataires.
D’autres femmes marginalisées depuis toujours dans l’indifférence surtout qu’il n’y a pas de statistiques, ce sont les femmes de ménage. Zhor Houti de la faculté des lettres Saiss (Fès), fait le point sur les femmes de ménage et la grande précarité qui pousse une mère de famille à délaisser son propre foyer et ses enfants pour s’occuper du foyer des autres contre un salaire de misère allant de 30 Dh à 100 Dh la journée. La femme est exploitée doublement par les employeurs et les agents intermédiaires, les semssara. Sans compter des situations de harcèlement sexuel des femmes du Moaouqef. Les conséquences sont désastreuses sur les enfants de la femme de ménage qui représente une catégorie importante de travailleuses qui œuvrent laborieusement dans un total vide juridique. Jusqu’à présent, le législateur s’est intéressé surtout à la petite bonne et il n’y a aucune étude à ce jour sur les femmes de ménage.
«Les femmes de ménage demeureront marginalisées tant qu’une loi organisant le métier n’est pas promulguée pour les protéger», souligne Zhour Houti déplorant les lacunes flagrantes du code du travail du 11 septembre 2003.
Malika Akham de l’université de Blida, évoque dans une étude en arabe, la situation de la femme marginalisée en Algérie en axant son intervention sur la vulnérabilité de la femme qui a permis de nombreux viols durant la période de violence et d’extrémisme religieux des années 90. Comme souvent constaté, l’exclusion concerne les catégories de femmes divorcées, des orphelines, des personnes à besoins spécifiques, des malades du Sida, des enfants et femmes des rues, les victimes de chômage.
Si la femme a évolué dans la société algérienne avec 60% de femmes parmi la population estudiantine, 70% des avocats qui sont des femmes, 50% des fonctionnaires de l’éducation, 58% du personnel de la santé, 61% des diplômés, il n’y a pas eu cependant une évolution des mentalités vis-à-vis des femmes. Le passage de l’économie socialiste à l’économie de marché a provoqué une dégradation du niveau de vie des différentes catégories sociales, en particulier les femmes, ce qui a aggravé leur situation précaire du fait du recul du soutien de l’Etat. Le taux d’analphabétisme reste élevé parmi les femmes rurales, pauvres et âgées et touche le tiers des femmes. Seules 18% des femmes travaillent et 16,3% des celles qui se marient cessent de travailler.
L’auteur note la marginalisation des femmes divorcées en Algérie avec 40.500 femmes divorcées du fait de causes financières, de disparités culturelle et mentale, de mauvais traitements, de violences conjugales. Il est aissi question de l’indépendance de la femme qui refuse l’autoritarisme arbitraire de l’homme.
Pendant la période de terrorisme traversée par l’Algérie, la femme a eu à souffrir en priorité de violences diverses dont la migration et les viols. La femme est la part vulnérable de la société et, de ce fait, elle subit la première les dommages collatéraux les plus tragiques.
De son côté, Afraa Hariri du Centre d’Aide Sociale d’Aden (Yémen) dresse dans un texte en arabe la situation dramatique des femmes marginalisées au Yémen, prises entre le poids accablant des traditions et la pauvreté extrême. L’auteur évoque surtout la femme détenue au Yemen, des femmes qui se retrouvent derrière les barreaux à cause de situations sociales explosives où le crime devient un ultime recours désespéré, une façon tragique de prendre l’initiative pour s’exprimer dans un contexte social tribal très hiérarchisé et opprimant et où le crime dit d’honneur n’est même pas à ce jour sanctionné par la loi.
Viennent en premier pour les femmes marginalisées au Yemen, les divorcées et les veuves surtout celles qui ont des enfants à charge, ensuite les détenues, les femmes victimes de violences, les femmes dans les classes inférieures. Dans certaines sociétés où domine l’extrémisme religieux, sont marginalisées les femmes qui travaillent, les fonctionnaires, les diplômées de l’université.
La situation des femmes au Yemen ne diffère aucunement de celle qui prévaut dans les autres pays arabe, sauf qu’ici la situation est plus grave du fait de la régression du niveau de développement économique en particulier pour ce qui concerne la situation des femmes qui subissent la pression de la domination de l’héritage culturel tribal primant sur la loi, un taux d’analphabétisme élevé dans les rangs des femmes, la précarité dans un pays où 70% des habitants vivent au-dessous du seuil de pauvreté et où souvent les petites filles sont exposées au «mariage touristique» sur ordre du chef de famille.
Amel Grami de l’université Manouba (Tunis), aborde dans un intéressant texte en arabe, «la prise de parole des femmes célibataires», la marginalisation des femmes célibataires par l’exclusion, la discrimination et la stigmatisation par une opinion sociale dominante qui veut que toute femme qui n’est pas mariée est dépréciée, mise à l’écart. Ce qui entraîne une souffrance morale à l’instar de ce que vit toute minorité. Les femmes peuvent ne pas arriver à se marier par manque de moyens, donc sous la contrainte. Elles peuvent décider de ne pas se marier par choix ou parce qu’elles n’ont pas trouvé l’homme qui leur convient. Vis-à-vis de la société traditionnelle et des mentalités, ce célibat est stigmatisé. De nouvelles générations de femmes refusent de se laisser faire, de continuer à subir le stigmate et prennent la parole pour s’exprimer, parler en toute liberté de leur état de célibat, jusque-là un tabou, et d’une souffrance dans la solitude subie. Ce sont des blogueuses qui osent parler, discuter et débattre, ce qui constitue une grande libération contre l’oppression.
«Femmes Marginalisées et Insertion Sociale». Editions Imprimerie Imagerie Pub Neon

http://www.lopinion.ma/def.asp?codelangue=23&id_info=19621&date_ar=2011-4-2%2015:5:00

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