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mardi 19 avril 2011

Compte rendu de la délégation Solidaires qui s'est rendue en Tunisie fin mars.

voilà le compte rendu de la délégation Solidaires qui s'est rendue en Tunisie fin mars.
 En rappel, la note réalisée en janvier 2011 pour appréhender la situation sociale et politique dans ce pays est disponible ici :
Par Christian Mahieux, 17/4/2011

Solidaires et internationalistes !
Délégation en Tunisie
Entre le 27 février et le 2 avril 2011, une délégation de l'Union syndicale Solidaires s'est rendue en Tunisie. Elle comprenait des camarades de SUD-PTT, de SUD-Education, de SUD-Rail et du Secrétariat national. Cette délégation s’inscrivait dans le cadre du réseau syndical euro-méditerranéen. Etaient donc également présent-e-s des représentant-e-s de la CGT d'Espagne, de CUB d’Italie, et du SNAPAP d’Algérie, ainsi qu’une des organisations européennes avec lesquelles nous travaillons, LAB du Pays basque. A la demande du Snapap, un responsable de l'association suisse Solifonds accompagnait la délégation.
Nous avons constaté un grand changement au niveau de la démocratie. La plupart des gens discutent maintenant ouvertement de leurs convictions politiques dans la rue. C'est la fin d'un régime dictatorial réprimant sévèrement les mobilisations, le syndicalisme authentique, les associations et organisations politiques s'opposant au pouvoir. Les manifestations sont autorisées, même si la répression policière peut être très violente, comme nous l'avons vu à la Casbah le 1er avril.
Néanmoins, le sentiment général, aussi bien des militant-e-s rencontré-e-s que de ce qu'on peut voir ou lire en tant que « visiteur », c'est qu'en dehors de cela, il n'y a pas grand chose de changé, notamment au niveau social et économique. C'est ce que nous ont dit sous des formes un peu différentes dans la véhémence mais identiques sur le fond, les syndicalistes de la gauche de l'UGTT (enseignement, PTT, cheminots, diverses structures interprofessionnelles), le secrétaire général adjoint de l'UGTT, le secrétaire général de la CGTT, les représentants de 10 des partis politiques constituant le Front du 14 janvier, et dans plusieurs régions les Comités locaux pour la sauvegarde de la révolution ainsi que les jeunes que nous avons rencontrés, notamment les chômeurs/ses diplômé-e-s, etc.
La jeunesse et la gauche syndicale ont joué un rôle fondamental dans le processus révolutionnaire. Chacun de ces deux groupes estimant en général que son propre apport a été le plus important.
Il y a un certain unanimisme dans les milieux militants rencontrés sur les points suivants Il reste énormément de responsables de « l'ancien régime » en place : au gouvernement, dans les ministères, dans les entreprises. Le FMI, la Banque mondiale sont toujours aussi présents ... et non remis en cause par les gouvernements qui se sont succédés après le 14 janvier. Même si les enseignants condamnés du bassin de Gafsa ont été amnistiés et réintégrés dans la Fonction publique, ils n'ont toujours pas retrouvé leurs postes. Les téléphones des militants continuent à être sur écoute...
Très peu de choses ont changé en deux mois dans le domaine économique et social. A noter toutefois les mesures prises pour restreindre considérablement le phénomène de sous-traitance. Le 2 avril, le gouvernement annonçait un plan de relance très social-démocrate (création d'emplois dans la Fonction publique et aide aux employeurs privés pour qu'ils embauchent...). C'est notamment pour dénoncer cela que la jeunesse, toujours très active, a lancé l'appel au sit-in « Casbah III » vendredi 1er avril (sit-in réprimé violemment sur les ordres d'un ministre de l'intérieur rescapé de l'Ancien régime).

Commission internationale
Numéro 35 ter – Avril 2011

La plupart des personnes que nous avons rencontrées estime que l'organisation islamiste Ennahdha devient une des principales forces politiques du pays : elle réalise un important travail de terrain, utilise les mosquées pour faire passer ses idées et dispose de beaucoup d'argent. Ennhadha pourrait être une des deux premières forces politiques à l'issue des prochaines élections. Un débat existe ensuite au sein de la gauche concernant le positionnement des intégristes :
Certains estiment qu'Ennahdha a connu une réelle évolution : séparation de la mosquée et de l'Etat, égalité des droits entre hommes et femmes, etc. Ils estiment que les médias exagèrent le danger intégriste qui, à force d'être mis en avant, se renforce en jouant sur l'insuffisance du changement depuis le 14 janvier.
D'autres, et notamment les associations de femmes, estiment qu'Ennahdha tient un double langage et qu'elle finira par s'aligner sur les intégristes « purs et durs » qui multiplient les actes violents. Ils/elles craignent notamment une remise en cause des droits des femmes.
La plupart de nos interlocuteurs/trices nous ont déclaré leur volonté d'un report en automne des élections. Ils/elles estiment en effet que si celles-ci se tenaient en juillet, les partis de gauche, qui sortent juste de la clandestinité, n'auront pas eu le temps de s'organiser, et que les grands gagnants seraient alors Ennahdha et les anciens benalistes (réorganisés sous formes de « nouveaux » partis). Ces deux courants sont en effet les seuls à être actuellement structurés et à disposer d'importants moyens matériels et financiers. Ils estiment que des délais trop courts pour préparer l'élection d'une Assemblée constituante ne permettront pas un véritable débat démocratique, notamment sur les formes de scrutin, l'élaboration de programmes, etc. Certains soulignent que le débat sur la date des élections ne doit pas masquer un débat encore plus important : en l'absence de changement rapide dans les rapports sociaux et les structures administratives, on risque de voir se renforcer un sentiment du genre « finalement, ils ne font rien pour nous ».
Le rôle clef de l'auto-organisation
Dans toute la Tunisie les institutions locales ont été balayées, ce qui a ensuite posé d'importants problèmes aux habitants dans la vie de tous les jours. Dans les villes de province que nous avons visitées, des institutions locales provisoires ont alors été mises en place avec une très forte implication de la population. Les structures locales de l'UGTT ont le plus souvent joué un rôle déterminant dans ce processus. La forme et la composition de ces institutions locales provisoires ont été, en général, basées sur les rapports de forces entre militant-e-s politiques et syndicaux, dont certains n'étaient pas toujours très autonomes du pouvoir ancien.
A Redeyef, ville du bassin minier insurgée et réprimée en 2008, la municipalité a été renversée par la population en janvier. Plusieurs assemblées rassemblant des centaines d'habitant-e-s ont eu lieu et ont désigné au consensus un conseil provisoire de 9 personnes à partir d'une liste initiale de 20 noms, établie par l’Union locale UGTT. Des commissions ont été mises en place pour gérer les affaires courantes.
A Thala, il n'y a plus de conseil municipal. Un Conseil de sauvegarde de la révolution a été mis en place. La jeunesse continue à avoir son mot à dire : ce sont les jeunes insurgé-e-s, ayant mis le feu au commissariat, qui maintiennent l'ordre dans la ville !
Le Comité de Bizerte, contrairement à beaucoup d'autres, fonctionne sous forme d'Assemblées Générales réunissant 500 à 1 000 participant-e-s. Il se situe dans une logique à la fois de contre-pouvoir, et d'auto-organisation de la société à construire. A Bizerte c'est l'AG qui a décidé des 25 noms composant l'institution locale provisoire.

Une révolution à mi-chemin
Avec la chute de Ben Ali un pas formidable a été accompli, mais les anciennes structures de l'Etat restent en place, et rien de fondamental n'a changé en termes de rapports sociaux et économiques. Pour qu'une société différente voie le jour, l'essentiel reste à faire, et les forces réactionnaires œuvrent avec beaucoup d'énergie pour que cela n'arrive pas.
La jeunesse joue un rôle important. Elle veille à ce que le processus ne soit pas interrompu et est prête à se mobiliser encore pour cela. C’est ce qu’on peut retenir par exemple de nos entrevues à Thala, et du mouvement dans la Casbah le 1er avril.
Des camarades de Bizerte s'expriment ainsi « il y a eu une insurrection en Tunisie, maintenant il faut la révolution ». Il est du devoir du syndicalisme que nous défendons de soutenir celles et ceux qui veulent aller dans ce sens.

L'état du syndicalisme tunisien
On assiste à une vague massive de syndicalisation : il y aurait eu plus de 50 000 nouvelles adhésions en deux mois (dont 30 000 à Tunis), soit une hausse totale supérieure à 10 %. A Benarous, une ville industrielle située dans la banlieue de Tunis, les effectifs de l'Union régionale UGTT ont presque doublé avec une progression de 10% dans le secteur public et une multiplication par 2,6 dans le privé !
Il y a un enjeu important autour du prochain congrès de l’UGTT (décembre 2011). Une bataille a notamment lieu autour du respect de l'article 10 du règlement intérieur prévoyant que les dirigeant-e-s ne peuvent avoir plus de deux mandats successifs. Si ce texte est bien appliqué, il devrait en résulter un renouvellement complet du bureau confédéral. Nous restons en contact à ce sujet avec les fédérations de l'enseignement et des PTT qui contribuent à structurer la gauche de l'UGTT.
L'UGTT entretient des relations anciennes avec les confédérations internationales traditionnelles (CGT, CFDT, FO, CGIL, Commissions ouvrières, etc.). Un des actuels secrétaires généraux adjoints de l’UGTT nous a déclaré que la centrale voulait également tisser des liens avec Solidaires. Nous adresserons un courrier officiel à l’UGTT en demandant notamment à être invités à leur prochain congrès.
La discussion avec le secrétaire général de la CGTT confirme les orientations très vagues de cette organisation, dont le principal axe semble être d’offrir une alternative à l’UGTT. La CGTT prévoit de tenir un congrès en décembre 2011. Cela peut être l’occasion d’y voir plus clair…
A noter que la très grande majorité des militant-e-s de la gauche de l'UGTT que nous avons rencontrée est farouchement opposée à la constitution d'une nouvelle centrale. Ils/elles y opposent la nécessité de porter la révolution jusqu'au sommet de l'UGTT pour la changer de l'intérieur. Ces militant-e-s craignent, si d'autres organisations émergeaient, que l'émiettement syndical n'affaiblisse encore le mouvement social et contribue à l'échec de la révolution. Pour eux, « ce n'est pas le moment de se diviser, il y a déjà assez de la multiplication des organisations politiques, le syndicalisme doit rester uni... ».
Dans les faits, cette situation est de toute manière dépassée puisqu’outre la CGTT, une troisième organisation syndicale se créée, l'UTT, sous l’impulsion d’un ancien secrétaire général de l'UGTT totalement corrompu…

Le renforcement de nos liens syndicaux
En chantier depuis deux ans, le travail sur les centres d’appels a franchi un pas décisif : la réunion organisée par SUD PTT et le syndicat concerné de l’UGTT va permettre la consolidation de liens durables. Un réseau international des centres d'appels est en cours de constitution en lien avec le travail entamé au Maroc et au FSM.
Les contacts se développent entre SUD-Rail et la fédération des cheminot-e-s de l’UGTT. La rencontre avec un des responsables nationaux, les tournées dans plusieurs sites avec des militants locaux (gare, dépôts, atelier) ont permis de tisser des liens. Il y a deux objectifs à court terme : intégrer ces camarades dans le réseau Rail Sans Frontière, organiser le travail commun avec les cheminot-e-s du Maroc et aussi ceux d’Algérie qui devraient sous peu créer un syndicat autonome.
Lorsque nous leur avons posé la question du type de soutien que nous pouvions leur apporter, nos interlocuteurs/trices nous ont demandé de promouvoir la campagne pour l'abolition de la dette extérieure de la Tunisie. Nous proposerons à nos partenaires que cela soit un des axes du réseau syndical euro-méditerranéen.
Une autre proposition est celle de jumelage entre les syndicats ou fédérations de nos organisations avec des Comités de sauvegarde de la révolution dans des localités précises de Tunisie. C’est également à voir, dans notre Union syndicale Solidaires et dans le cadre du réseau syndical euro-méditerranéen.

Développer les rapports avec les autres composantes du mouvement social
Lors de la rencontre avec l'un des représentants de l'Association Nationale Des Chômeurs Diplômés (ANDCM), nous avons évoqué la possibilité d'organiser une rencontre entre les chômeurs diplômés du Maroc, de Tunisie et d'Algérie dans le cadre du réseau euro-méditerranéen.
En dehors des structures organisées, il sera aussi important de garder le contact avec celles et ceux rencontré-e-s « hors cadre », par exemple les jeunes qui s'organisent sur Facebook et avec qui nous avons pu échanger, et qui tiennent un discours véritablement politique. Ils/elles sont très demandeurs de relais des informations ainsi que de soutien à l'étranger.
En complément à ce bulletin, vous pouvez retrouver les matériels liés à l'actualité internationale et le matériel de la commission internationale de Solidaires sur notre site à l'adresse suivante :

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