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lundi 18 avril 2011

Syrie, Algérie, Maroc… Des concessions pour calmer la rue

Par Pierre Haski, Rue89,16/4/2011

Alors que le monde arabe continue d'être traversé par l'onde de choc des révolutions tunisienne et égyptienne, certains chefs d'Etat font des concessions de forme pour calmer l'attente de leur population. Le Syrien Bachar al-Assad et l'Algérien Abdelaziz Bouteflika se sont tous les deux adressés à leur pays et ont fait des annonces, tandis que le Maroc libérait des prisonniers politiques.

► Syrie : vers la levée de l'état d'urgence
En Syrie, où les protestations ne faiblissent pas dans plusieurs villes du pays, réprimées au prix de dizaines de morts depuis un mois, le président Assad a annoncé samedi que l'état d'urgence serait levé d'ici une semaine.
Un état d'urgence en vigueur depuis… quatre décennies, depuis que son père, Hafez al-Assad, a pris le pouvoir à la tête du régime baasiste.

S'exprimant devant le nouveau gouvernement formé jeudi, Assad a prévenu qu'une fois l'état d'urgence levé, il n'y aurait plus d'« excuse » à la contestation qui secoue le pays :« Après cela, nous ne tolérerons aucune tentative de sabotage. »

Toutefois, de nouvelles manifestations ont été signalées sur les réseaux sociaux dans la foulée du discours du président syrien. Sur YouTube, on pouvait ainsi voir ces images d'une manifestation de femmes qui se serait déroulée à Banyas, sur la côte méditerranéenne, où s'étaient produites de sanglantes confrontations ces derniers jours. (Voir la vidéo)
L'annonce de la levée de l'état d'urgence, si elle est symboliquement importante, n'est certainement pas de nature à changer la donne en Syrie, Etat policier s'il en est, et dont le quadrillage par les Moukhabarat, la police politique, n'en sera certainement pas allégé pour autant. Au contraire, la menace que fait peser sur le régime baasiste la progression spectaculaire du mouvement de protestation né à Deraa, dans le sud du pays, il y a un mois, ne fait qu'accroître le besoin de surveillance et de contrôle.

Vendredi, l'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Watch (HRW) avait accusé les Moukhabarat de s'être livrés à des actes de torture vis-à-vis des personnes interpelées depuis le début du mouvement, et dont certaines ont été libérées et ont pu raconter les sévices subis. HRW cite notamment le cas de trois enfants, et commente :
« Il ne peut pas y avoir de véritables réformes en Syrie tant que les forces de sécurité font subir de tels abus à la population en toute impunité. »

► Algérie : révision constitutionnelle
En Algérie, c'est une toute autre situation, et le discours du président Bouteflika, vendredi soir, apparaît comme une initiative préventive. Le mouvement de protestation politique initié après les révolutions tunisienne et égyptienne n'a pas connu, dans ce pays, l'ampleur qu'on lui a connu ailleurs, laissant une plus grande marge de manœuvre au pouvoir.

Dans son discours, Bouteflika, qui semblait fatigué et aurait enregistré à plusieurs reprises son texte qu'il lisait d'une voix faible, a annoncé une révision de la Constitution, afin de « renforcer la démocratie ». Il a notamment évoqué la révision de la loi électorale, de la loi sur les partis, sur l'information. Il avait déjà annoncé, dans un précédent discours, la levée de l'état d'urgence.

Mais il a, lui aussi, lancé une mise en garde :
« Nul n'a le droit de réinstaller, d'une façon ou d'une autre, la peur dans les familles algériennes, inquiètes pour la sécurité de leurs enfants et de leurs biens ou, plus grave encore, l'inquiétude de toute la nation sur l'avenir de l'Algérie, son unité, son indépendance et sa souveraineté nationale. »

Au même moment, comme en écho à ces paroles, une embuscade attribuée à des islamistes a fait treize morts parmi les militaires algériens en Kabylie, l'un des bilans les plus lourds depuis plusieurs années en Algérie.
La une du site d'El Watan.Les réactions au discours de Bouteflika ont été très mitigées, un « non-événement » pour le quotidien El Watan. Et la plupart des commentaires des Algériens portaient plus sur la forme – la fatigue du chef de l'Etat, qui est agé de 74 ans – que sur le fond, des réformes dont nul ne s'attend à ce qu'elles changent réellement la donne dans le pays.

Maroc : libération de prisonniers politiques

Au Maroc, enfin, où le roi Mohammed VI a déjà pris l'initiative de lancer un chantier de réforme constitutionnelle en réponse aux premières manifestations lancées sur Facebook par des jeunes de la société civile, une grâce royale a été prononcée vendredi en faveur de 190 prisonniers (dont quelques prisonniers politiques ndlr)
Les premiers sont déjà sortis de prison, d'autres ont vu leurs peines réduites ou même, dans certains cas, des peines de mort pour terrorisme commuées en peines de prison.
Le roi veut visiblement garder l'initiative pour marginaliser le mouvement de protestation, qui est divisé sur la voie à suivre alors que le pouvoir donne l'impression de s'ouvrir et de se réformer.
L'éditorialiste du magazine marocain Tel Quel résume ainsi la donne :
« La tiédeur dans laquelle on s'est installé depuis la (formidable) marche du 20 mars est un leurre. Elle ne signifie pas que tout est rentré dans l'ordre et que chacun peut vaquer, après la “parenthèse révolutionnaire”, à ses petites occupations.
Oh que non. Le Maroc bouillonne, même si c'est plutôt de l'intérieur, sous la surface. La parenthèse ouverte depuis le 20 février n'est pas refermée, elle a simplement pris la forme d'une partie d'échecs et ce n'est pas plus mal. Chacun dispose ses pions et essaie de les avancer selon les possibilités qui lui sont offertes, en fonction des moyens et des cartes en sa possession.
Et, à ce petit jeu-là, il est clair que le roi a pris une certaine longueur d'avance. Il a marqué des points. Mais, étant donné que c'est lui et lui seul qui détient (par la Constitution et par les codes qui définissent l'acte politique au Maroc) tous les pouvoirs et toutes les clés, on n'en attendait pas moins de sa part. »
Ces annonces politiques, en Syrie, en Algérie ou au Maroc, sont autant de réponses à un mouvement de fond qui ne faiblit pas dans le monde arabe, malgré les victimes, très nombreuses désormais, qui, en Libye où le soulèvement de la population s'est transformé en guerre ouverte avec la participation des avions de l'Otan, ou dans des pays comme le Yémen, Bahreïn ou la Syrie, qui ont réprimé sans ménagement les protestations.

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