Par La Dépêche, 28/01/2011
Des manifestants tunisiens fuient les gaz lacrymogènes, le 28 janvier 2011 à Tunis. AFP
Les mains sur le visage, en pleurs, un manifestant tente de se protéger des fumées épaisses des gaz lacrymogènes. La place de la Kasbah, épicentre de la contestation de la rue tunisienne depuis cinq jours, vient d'être évacuée.
L'odeur âcre emplit la place, sous les fenêtres du Premier ministre Mohammed Ghannouchi dont plusieurs manifestants réclamaient encore dans l'après-midi le départ "comme tous les agents de Ben Ali", l'ex-homme de fer de Tunis.
Tout commence par un discret mouvement: les uniformes verts des militaires, tampon rassurant entre les policiers anti-émeutes et les manifestants, disparaissent d'une des rues qui donne sur la place. Immédiatement, des groupes de jeunes craignent un assaut et vont au-devant des policiers, pierres à la main.
Très vite, casqués, équipés de masques à gaz et de boucliers, les policiers chargent. Les tirs de grenades lacrymogènes s'enchaînent, enfumant toute une partie de l'esplanade.
"Ils arrivent! Ils arrivent!", hurlent plusieurs jeunes.
Une foule paniquée reflue, en courant, criant, cherchant un refuge provisoire qui sous un porche, qui dans une ruelle. Des dizaines de personnes fuient vers la médina tandis que d'autres se ruent de l'autre côté vers l'avenue du 9 avril et slaloment en courant entre les voitures.
"J'ai vu au moins cinq blessés. Plusieurs saignent", raconte Majdi Hammami, un médecin du Samu de Tunis resté dans les parages à la fin de son service "pour aider si besoin". "Des jeunes ont été blessés par des pierres lancées par la police. J'ai vu aussi un manifestant touché par un tir de lacrymogène à bout portant".
En moins d'une heure, la place de la Kasbah a été vidée. Alors que les policiers poursuivent les derniers manifestants dans les ruelles de la médina, les militaires investissent l'esplanade.
"C'est un champ de ruines", lâche un passant. Les tentes qui abritaient les manifestants venus pour beaucoup des villes du centre frondeur et défavorisé du pays ont été éventrées et piétinées. Matelas, couvertures, cartons de lait, tracts jonchent le sol. Méthodiquement, les militaires quadrillent la place, en rangée serrée.
Tandis que des policiers contrôlent les accès des lieux, des collègues exhibent le maigre butin de la journée: une trentaine de petits couteaux de cuisine, quelques bâtons, une paire de ciseaux et du papier à cigarette.
"En cinq jours d'occupation, on n'a pas vu une vitre brisée. Cette violence pour déloger les gens était inutile. Ce mouvement aurait pu mourir de sa mort naturelle. Maintenant, ils sont tristes", dit à l'AFP Fourat Dridi, un sociologue venu aux nouvelles.
De retour sur l'esplanade dès les fumées dissipées, avocats et militants des droits de l'Homme interpellent les policiers, furieux.
"Chiens! Pourquoi vous faites ça?", crie un avocat(...)
"Au moment même où une négociation s'engageait pour voir comment arriver à une évacuation en douceur, les forces de l'ordre ont chargé. C'est scandaleux. J'ai parlé au Premier ministre, je lui ai demandé de faire immédiatement arrêter les tirs de lacrymogène et de libérer les manifestants arrêtés", explique à la presse Mokhtar Trifi, le président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme.
Peu après, une vingtaine de jeunes qui s'étaient cachés dans un hôpital jouxtant la place de la Kasbah quittent leur refuge, encadrés d'avocats. "Nous allons les abriter à la maison du barreau, puis les raccompagner à une station de bus, pour qu'ils rentrent chez eux", en province, explique l'un d'eux.
"Je me sens déshonoré, humilié. On va repartir les mains vides", lâche Hamdi Ben Souf, un jeune de Gbelli (sud).
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