Riches d’enseignements, les documents militaires sur l’Afghanistan publiés par le site Wikileaks viennent surtout confirmer ce que les observateurs disent depuis plusieurs années. Et ce n’est pas tendre pour les USA.
La lecture des quelque 90 000 rapports sur la guerre au jour le jour en Afghanistan publiés par Wikileaks sera peut-être une révélation pour ceux qui, depuis 9 ans, ne veulent ni voir ni entendre, pour d’autres elle vient confirmer ce que nous n’avons cessé de dénoncer. On a la confirmation que les taliban disposent de missiles sol-air (tous les hélicoptères qui s’écrasent ne sont donc pas victimes de mauvaises conditions climatiques ou de défaillances techniques !) et que la brigade 373 continue ses raids de nuit pour tuer des insurgés sur la base de renseignements pas toujours fiables.
Les médias français mettent en avant le rôle du Pakistan –ce qui est tout sauf un scoop – sans s’attarder sur les trois cas impliquant des troupes françaises et rangés dans la catégorie « escalade de la force », notamment les 8 enfants blessés à Tangi Kalay en octobre 2008 à la suite de tirs contre un autobus qui s’était trop rapproché d’un convoi. La mort de 4 civils –dont 2 femmes et un enfant – tués par des troupes françaises en avril 2010 n’est pas mentionnée, les documents ne couvrant que la période 2004-2009. Une affaire peu médiatisée en France, c’était pourtant la première fois que l’armée française reconnaissait la mort de civils.
Des chiffres sous-estimés
La publication de ce « journal de guerre » qui intervient en période de vacances, ne suscitera probablement pas beaucoup de réactions en France, si ce n’est pour se démarquer des Etats-Unis et rappeler à nouveau à l’opinion que les troupes françaises font beaucoup de moins de dégâts que les Américains. Depuis les déclarations du général Desportes et la publication d’un sondage Ifop réalisé pour l’Humanité et qui nous apprenait que 70 % des personnes interrogées étaient plutôt ou tout à fait opposées à la présence militaire française en Afghanistan, la presse écrite, exploitant une fois de plus l’ignorance que les Français ont de l’Afghanistan, s’est lancée dans une grande opération de « communication stratégique » qui a pour but de démontrer que nous progressons en Afghanistan, que plus les taliban attaquent plus nous gagnons du terrain et que si la population est hostile à la présence militaire étrangère c’est parce qu’elle vit dans un climat de terreur et de violences imputable aux seuls taliban.
Les documents mis en ligne par Wikileaks recensent 369 civils tués, en majorité par des tirs américains. Ces chiffres sont très probablement sous-estimés, d’une part parce que bon nombre des blessés meurent dans les jours qui suivent, et d’autre part parce que tous les cas ne sont pas signalés. Pour la seule année 2008, moins sanglante que 2009, l’UNAMA recensait 828 civils tués par les forces de la coalition.
Des raids meurtriers non-mentionnés
Par exemple, Wikileaks nous donne un compte rendu de l’embuscade d’Uzbin en août 2008 qui ne nous apprend rien de nouveau, mais je n’ai pas trouvé trace des raids aériens menés en représailles dans les jours qui ont suivi et qui ont fait au moins 17 victimes civiles, dont 6 femmes et 2 enfants, dans le village de Garoch, à la limite du Laghman et de Kapisa. Ces bombardements qui ont détruit plusieurs hameaux avaient été largement rapportés par les médias afghans, mais pratiquement passés sous silence en France. La version des faits donnée par l’OTAN qualifiait comme d’habitude les victimes de taliban. Seule Florence Aubenas dans le Nouvel Observateur en avait fait état et cité les propos du porte-parole de la coalition : « Je ne suis pas certain qu’ils étaient directement impliqués dans l’attaque contre les Français. Cela n’a aucune importance. Ils étaient certainement au moins complices. »
Le « journal de guerre » s’arrête en décembre 2009, il ne permet donc pas vraiment de savoir si la réorientation culturelle prônée par le général McChrystal – les nouvelles règles d’engagement pour minimiser les pertes civiles – a été suivie d’effets sur le terrain. Les Marines expriment régulièrement à des journalistes leur frustration de ne pas pouvoir tirer sur des paysans dont ils croient savoir qu’ils sont taliban, mais qui ne portent pas d’arme quand ils les croisent dans les champs. Par ailleurs, les tirs de drones ont été multipliés par deux depuis l’arrivée au pouvoir d’Obama. Dans la soirée du 24 juillet, au moins 40 personnes ont été tuées et des dizaines d’autres blessées à la suite d’un bombardement contre Jalokay, un village du district de Sangin, dans le Helmand. Les victimes, des femmes et des enfants pour la plupart, faisaient partie des dizaines de milliers de personnes déplacées par les combats. Les médias français n’en ont pas parlé.
Une communication bien huilée
L’affaire a été gérée de la manière habituelle par l’ISAF : dans un premier temps on affirme qu’il ne s’est rien passé, quand l’information commence à circuler (on n’est plus à l’époque de l’occupation soviétique, les villageois ont des téléphones mobiles…), le gouvernement afghan dénonce les attaques contre des civils et annonce l’ouverture d’une enquête. L’OTAN décide à son tour d’enquêter. On peut prévoit sans trop de risque de se tromper que les conclusions de l’enquête - qui seront rendues publiques dans quelques semaines quand tout le monde sera passé à autre chose - reconnaîtront qu’il y a eu des victimes civiles en rendant les taliban responsables puisque, comme chacun sait, cet ennemi invisible et insaisissable utilise les civils comme boucliers humains. L’ISAF offrira peut-être 100 000 afghanis pour chaque mort à titre compassionnel, (ce n’est surtout pas une indemnisation) en croyant que l’argent règle le problème et il se trouvera bien quelqu’un pour laisser entendre, comme d’habitude, que les villageois ont menti sur le nombre des victimes pour toucher de l’argent.
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