À PROPOS DE LA LUTTE DES TRAVAILLEURS DE L’OCP
Propos recueillis par Lotfi Chawqui, 13/6/2010.
Le secteur du phosphate a joué depuis longtemps un rôle décisif dans l’économie marocaine et l’OCP a constituél’une des toutes premières entreprise / unité économiques. Celle-ci s’est transformé en 2008 en SA, mettant en œuvre une politique de compression des coûts de production, notamment en s’appuyant sur des sociétés d’intérim. Par ce biais, les travailleurs recrutés sont automatiquement privés des acquis dont bénéficient les employés de la société, acquis issus de luttes qui n’ont cessé depuis les années 30 du siècle dernier. C’est ainsi que l’OCP s’est débarrassé sans préavis, ni indemnités de 850 ouvriers affiliés à la société Smesi, filiale à 100% de l’OCP, les incitant à signer des nouveaux contrats avec des sociétés d’intérim, en même temps qu’elle ouvrait certaines branches de la production, notamment de produits chimiques, aux capitaux étrangers.
Quant au «dialogue social», s’il faut noter l’existence d’une représentativité syndicale et le déroulement régulier de pourparlers, l’administration de l’OCP, par une politique associant le bâton et la carotte, a su intégrer les directions et nombre de responsables syndicaux sont devenus des conseillers de l’administration sur la manière de contrer toute activité syndicale réelle.
Au moment de la formation d’une section syndicale par les travailleurs de Smesi, on a eu droit à des communiqués provenant de trois syndicats dénigrant leur lutte et soutenant l’administration! Il n’y a pas lieu de s’étonner dans ces conditions de l’absence totale de solidarité à l’intérieur de l’OCP d’autant plus que l’administration craint, en cas de réintégration des ouvriers, l’affirmation d’un véritable syndicalisme indépendant.
Comment s’étonner que 13 mois après sa constitution, la direction de l’OCP n’a pas daigné recevoir la dossier de légalisation du syndicat et son cahier revendicatif ?
Il faut aussi se rappeler nous sommes en face d’une administration, qui constitue un Etat dans l’Etat et la tutelle du premier ministère ou du ministère de l’énergie et des mines est purement formelle, le directeur étant nommé directement par décret royal lui donnant des pouvoirs supérieurs à n’importe quel ministre !
L’administration et le pouvoir central ont parié sur l’épuisement rapide de la mobilisation en comptant sur la faiblesse de l’expérience syndicale des travailleurs, du peu de soutien des structures syndicales de l’UMT au niveau local et national et de la faiblesse générale de la solidarité sur le plan national et international. La pression de la faim qui pèse sur les ouvriers et leurs familles privés de toute ressource ferait qu’ils accepteraient rapidement les conditions imposés par l’OCP et notamment la signature des contrats précaires avec les sociétés d’intérim. Mais quand ils se sont aperçus de la détermination intacte des travailleurs, du développement des actions de solidarité et de soutiens syndicaux, le niveau de répression a augmenté.
Ainsi le 15 septembre 2009, il y a eu une descente musclée et l’arrestation de 44 ouvriers dont des membres du bureau syndical, la poursuite judiciaire de 4 d’entre eux, relaxés par la suite. Ils sont allés jusqu’à interdire toute forme de protestation et de manifestation dans toute la ville de Khouribga. Et chaque action s’est retrouvée confronté à une répression méthodique.
Ainsi les 1et 25 février 2010, plusieurs corps répressifs (police, forces auxiliaires, forces d’intervention rapide) sont intervenus laissant sur le carreau des dizaines de blessés. Mais cela, n’a pas brisé la détermination des salariés qui sont restés fermement attachés à leur revendication d’une intégration sans condition et titularisation réelle, soutenus par un large courant de sympathie présent jusque dans les campagnes environnantes.
C’est dans ce contexte que le 22 avril, on a eu droit à une escalade en réponse à un sit-in/ occupation devant une entreprise du site dans la région de Khouribga: gaz lacrymogènes, tirs d’intimidation à balles réelles, arrestation de 13 travailleurs et 2 citoyens solidaires. Cette vague de répression vise à imposer un climat de terreur visant aussi bien les travailleurs mobilisés que les soutiens actifs.
D’un point de vue général, la vague de solidarité est restée modeste, même si récemment, il y a eu l’implication d’unions locales et régionales liés à l’UMT. Ainsi l’union régionale de Rabat a décidé d’organiser une caravane de solidarité le 30 mai qui se déplacera à khouribga. L’union locale mobilisée depuis le début est fortement impliqué dans ce qu’elle considère comme sa propre lutte. L’AMDH a pu mobiliser prés de 40 sections le 13 septembre 2009 un temps fort de solidarité appuyé par la présence de 36 organisations, associatives, politiques, de défense des droits et l’implication d’organisations politiques, notamment de la voie démocratique qui a donné un écho constant à travers sa presse à la mobilisation.
La commission nationale de solidarité avec les ouvriers de Smesi a joué un rôle important pour faire connaître la lutte et les exactions commises aussi bien dans notre pays qu’à l’étranger mais il est important de noter que la solidarité a été principalement morale alors que la solidarité matérielle a été absente. Par ailleurs, la diffusion de l’information s’est faite essentiellement par le biais d’internet, la presse écrite et audiovisuelle n’a quasiment pas couvert le conflit malgré son ampleur.
L’OCP qui possède d’énormes moyens financiers et de solides appuis dans les corps de l’état a pu imposer un barrage médiatique quasi-total.
Dans ce contexte, la pression internationale a une importance aigue d’autant plus que l’Etat est sensible à son image et cherche à apparaitre comme défenseur des droits de l’homme et l’OCP à se présenter comme une entreprise moderne qui respecte les droits des travailleurs et des libertés syndicales.
C’est pourquoi nous pensons que des protestations publiques devant les ambassades, les consulats en Europe et en France, devant les bureaux de l’OCP ainsi qu’un relais large au niveau de la presse, des actions diverses de solidarité seraient les bienvenus. Et pourquoi pas une caravane de solidarité européenne ? Sans oublier d’intégrer des organisations qui ont un «poids» comme l’OIT, Amnesty, les grandes centrales syndicales telle que la CGT en France ou les commissions ouvrières en Espagne et d’autres dans le mouvement de solidarité, ce processus peut être un facteur réel pour gagner la bataille au profit des trvailleurs et imposer la libération de nos camarades.
Enfin, au nom des militants de l’Umt de Khouribga, nous adressons nos salutations fraternelles à tous ceux qui se solidarisent avec les travailleurs et leurs familles, notre syndicat et vive la solidarité ouvrière et internationaliste.
Propos recueillis par Lotfi Chawqui.
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