Les
articles de la rubrique Idées n’expriment pas nécessairement le point
de vue de l’organisation mais de camarades qui interviennent dans les
débats du mouvement ouvrier. Certains sont publiés par notre presse,
d’autres sont issus de nos débats internes, d’autres encore sont des
points de vue extérieurs à notre organisation, qui nous paraissent
utiles.
Mardi 31/1/ 2017
Tahani B., Ouadie E. et Mohamed J.5
Crédit Photo:
Manifestation le 1er novembre 2016 à Al Hoceima, après la mort de Mohcine Fikri. DR.
Le
pouvoir marocain est soucieux de son image internationale. Il cherche à
vendre l’illusion que la monarchie marocaine est ancrée dans la
« modernité » et le respect des « droits humains », là où la réalité
concrète fait apparaître plutôt un pouvoir moyenâgeux et répressif qui
cherche des façades respectables, source de soutien et de complicités au
despotisme.
L’image que véhiculent les médias et un certain
nombre de commentateurs au Maroc est celle d’un pays stable qui respecte
les libertés et droits fondamentaux. On entend souvent « chez vous, c’est tranquille »
ou encore, dans un relativisme primaire, « il y a pire ».
Le Maroc
est-il vraiment un pays qui respecte les libertés et droits
fondamentaux ?
L’image véhiculée à l’extérieur du Maroc est en
grande partie due à d’importants investissements en communication du
pouvoir marocain. Cela, via des sociétés spécialisées et des réseaux
d’agents, journalistes et intellectuels au service du Palais.
Les
révélations de Chris Coleman 1ont
mis à jour une partie de ces réseaux. Elles ont dévoilé que certain-e-s
sont dans la compromission au point de recevoir même des éléments de
langage à utiliser (par exemple : pour contrer les critiques sur la
démultiplication de la fortune du Roi, les services marocains de
renseignements extérieurs incitaient leurs relais, y compris au sein de
la classe politique française, à parler d’un « Roi investisseur» pour le
bien de son pays).
Ces campagnes médiatiques prennent appui sur
des réformes et initiatives entreprises par le pouvoir. Néanmoins,
celles-ci visent uniquement à embellir la façade. A titre d’exemple, au
début du règne de Mohammed VI, il a fait le choix tactique de la
réconciliation avec les anciens opposants. Or, l’Instance équité et
réconciliation (chargée de liquider le passif des années Hassan II ) a
tout fait sauf résoudre la source du problème. La réconciliation a
consisté principalement en deux choses : indemniser des victimes et
faire des recommandations sur le respect des droits humains
(intéressantes mais encore inappliquées, douze années plus tard). Quant
au jugement des responsables de crimes graves (assassinat, disparition
forcée, torture, etc.), ce n’est clairement pas à l’ordre du jour !
Certains de ces responsables continuent même à exercer des fonctions au
sommet de L’État, parfois depuis les années 1970.
Les structures et
institutions de L’État responsables des atteintes aux droits humains
n’ont pas changé entre le père et le fils. Mais au lieu de combattre les
droits humains et le discours des droits humains, au début des années
1990 est venue l’ère de la récupération de ce discours (notamment avec
l’installation du Conseil consultatif des droits de l’Homme en 1990, ou
la libération de certains prisonniers politiques). Depuis, le Maroc ne
jure que par les droits humains !
Il a aussi signé et ratifié
plusieurs conventions internationales, cependant toutes les
constitutions et lois nationales ont gardé la « spécificité marocaine »
et ses « valeurs immuables ». Ce qui permet à L’État marocain
de dire une chose et son contraire, sans la moindre gêne. On est capable
de signer des textes sur l’égalité femmes-hommes tout en conservant
l’inégalité juridique dans les textes de lois internes. On peut signer
et ratifier des textes de l’ONU sur la liberté de conscience tout en
punissant sévèrement qui oserait changer de religion ou revendiquer son
athéisme ou émettre une critique radicale du courant dominant. La
situation sur le terrain continue même de se détériorer.
Les droits économiques, sociaux et culturels
Le
droit à une vie digne et respectueuse est constamment violé. Le dernier
exemple en date est celui du vendeur de poissons Mohcine Fikri, mort
broyé dans un camion-benne à ordures, le 28 octobre 2016, après la
saisie de sa marchandise par les autorités. Ces dernières lui avaient
confisqué son gagne-pain, sa dignité. C’est le sort réservé, directement
ou indirectement, à des millions de Marocains qui tentent de survivre
en dehors des circuits formels de L’État.
Autre exemple, en avril
2016, les autorités marocaines ont confisqué la marchandise de Mi Fatiha
qui vendait des crêpes pour survivre et nourrir sa famille.
« Marchandise confisquée, giflée et malmenée par les sbires de
"l’autorité locale", elle n’a pu digérer cette énième humiliation. Elle
s’est immolée devant les regards des autorités réfugiées dans leur
local. Pire, l’un d’entre eux la filmait jusqu’à ce que le feu eut
raison du corps de la défunte. »
2Ces
deux exemples tragiques témoignent du degré de colère devant la Hogra
(terme utilisé au Maroc pour désigner un mélange de mépris, injustice,
humiliation et domination). Il ne se passe plus une semaine sans
entendre des cas semblables. Plus généralement, le droit à une vie digne
est bafoué. Les richesses naturelles du pays sont spoliées par une
poignée au détriment de millions de citoyen-ne-s, notamment dans les
provinces.
Quant au code du travail, il est majoritairement
inappliqué (même selon le ministre de l’emploi !) Les autorités prennent
en général le parti des patrons et recourent à la détention politique
de syndicalistes selon l’article 288 du code pénal (sur l’entrave à la
liberté du travail). Le travail syndical est criminalisé ; il est arrivé
à maintes reprises qu’un groupe de travailleurs ou travailleuses soit
licencié dès qu’ils/elles se syndiquent. Si leurs collègues se
solidarisent, il est arrivé aussi qu’on ferme l’entreprise pour la
rouvrir plus tard avec d’autres salariés.
Il y a beaucoup à dire sur
le système de santé, le droit à l’éducation, les droits culturels, les
droits de l’enfant, le droit au logement, le droit des personnes à
mobilité réduite et d’autres volets des droits humains. Prenons
uniquement l’exemple du système éducatif : « la part d’élèves dans le
privé au primaire est passée de 4 % en 1999 à 15 % en 2015 »3.
Le PNUD (Programme des Nations-unies pour le développement) a classé le
système éducatif marocain parmi les 21 pires au monde en 20144. C’est un système en faillite et la solution ingénieuse des décideurs est de vendre ce qui reste au rabais !
Les droits civils et politiques
A ce jour, des dizaines de prisonniers politiques croupissent dans les geôles marocaines.
Notamment
les syndicalistes de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM).
Ces étudiant-e-s syndicalistes luttent contre la privatisation de
l’enseignement et sur de nombreux autres terrains, y compris en soutien
aux combats sociaux et politiques – comme ceux des activistes sahraouis
qui militent pour l’autodétermination du Sahara Occidental ou des
militant-e-s du mouvement du 20 février.
L’impunité est partie
intégrante du mode de gouvernement : des dizaines de cas de violences et
d’assassinats policiers restent impunis, et les enquêtes qui sont
ouvertes ne débouchent sur aucun résultat (Karim Chaib à Sefrou, les
cinq de Al Hoceima, Kamal Al-Amari, les victimes de la répression
pendant le Mouvement du 20 février, etc.). Le droit à l’organisation est
entravé. Plusieurs associations et partis politiques sont empêchés,
pour des raisons politiques, de recevoir un récépissé de constitution
légale (la plupart des associations sahraouies, des sections de l’AMDH,
Attac, Al-Badil Hadari, Al-Ouma…).
Les rapports d’organisations
nationales et internationales crédibles donnent l’essentiel de ce qu’il
faut savoir – des organisations internationales voyant leur travail
entravé et étant parfois expulsées du Maroc du fait de non complaisance
envers les autorités. Les droits proclamés sont pour l’image et la
façade d’un pouvoir qui repose d’abord et avant tout sur un appareil
sécuritaire de contrôle et de répression. Les mobilisations collectives
de plus en plus fréquentes montrent que les Marocain-e-s sont
déterminé-e-s à en finir avec la Hogra structurelle.
Enfin, le
pouvoir marocain a noué des fidélités, des relations historiques, avec
les élites françaises, à travers des réseaux anciens auxquels s’agrègent
en permanence de « nouveaux venus ». Ces cercles de connivence se
retrouvent auprès des élites médiatiques, des grands patrons de presse,
du show business, des élus et du patronat. Des avantages sont distribués
à ceux qui apportent des affaires ou soutiennent le pouvoir. La
« diplomatie Mamounia » (en référence à une résidence luxueuse à
Marrakech) est faite de corruption active et passive.
L’Etat marocain
a le soutien de l’Europe et notamment de la France via des partenariats
avancés et des « aides » à tous les niveaux (économique, politique,
militaire, sécuritaire). Ces soutiens portent une responsabilité dans ce
qui se passe. Leur complicité n’empêchera pas le peuple marocain de
tracer son chemin vers la dignité et l’émancipation.
Tahani B., Ouadie E. et Mohamed J.5
- 1. Pseudonyme. C’est un compte apparu sur Twitter pendant la crise diplomatique entre le Maroc et la France. Il a divulgué des dizaines de documents officiels compromettants. Pour plus d’informations : http://telquel.ma/2014/12/01/chris-colem...
- 2. Source et suite : http://www.huffpostmaghreb.com/dr-zouhai...
- 3. En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/20...
- 4. En savoir plus sur : http://www.h24info.ma/maroc/lunesco-tire... et http://unesdoc.unesco.org/images/0022/00...
- 5. Les auteurs sont militant(e)s de l’Association marocaine des droits humains - Paris/Ile-de-France.
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