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samedi 4 février 2017

Le Maroc : pays des droits, dites-vous ? Images et réalité


Les articles de la rubrique Idées n’expriment pas nécessairement le point de vue de l’organisation mais de camarades qui interviennent dans les débats du mouvement ouvrier. Certains sont publiés par notre presse, d’autres sont issus de nos débats internes, d’autres encore sont des points de vue extérieurs à notre organisation, qui nous paraissent utiles.


Le pouvoir marocain est soucieux de son image internationale. Il cherche à vendre l’illusion que la monarchie marocaine est ancrée dans la « modernité » et le respect des « droits humains », là où la réalité concrète fait apparaître plutôt un pouvoir moyenâgeux et répressif qui cherche des façades respectables, source de soutien et de complicités au despotisme.

L’image que véhiculent les médias et un certain nombre de commentateurs au Maroc est celle d’un pays stable qui respecte les libertés et droits fondamentaux. On entend souvent « chez vous, c’est tranquille » ou encore, dans un relativisme primaire, « il y a pire ».

 Le Maroc est-il vraiment un pays qui respecte les libertés et droits fondamentaux ?
 
L’image véhiculée à l’extérieur du Maroc est en grande partie due à d’importants investissements en communication du pouvoir marocain. Cela, via des sociétés spécialisées et des réseaux d’agents, journalistes et intellectuels au service du Palais. 
Les révélations de Chris Coleman 1ont mis à jour une partie de ces réseaux. Elles ont dévoilé que certain-e-s sont dans la compromission au point de recevoir même des éléments de langage à utiliser (par exemple : pour contrer les critiques sur la démultiplication de la fortune du Roi, les services marocains de renseignements extérieurs incitaient leurs relais, y compris au sein de la classe politique française, à parler d’un « Roi investisseur» pour le bien de son pays).
Ces campagnes médiatiques prennent appui sur des réformes et initiatives entreprises par le pouvoir. Néanmoins, celles-ci visent uniquement à embellir la façade. A titre d’exemple, au début du règne de Mohammed VI, il a fait le choix tactique de la réconciliation avec les anciens opposants. Or, l’Instance équité et réconciliation (chargée de liquider le passif des années Hassan II ) a tout fait sauf résoudre la source du problème. La réconciliation a consisté principalement en deux choses : indemniser des victimes et faire des recommandations sur le respect des droits humains (intéressantes mais encore inappliquées, douze années plus tard). Quant au jugement des responsables de crimes graves (assassinat, disparition forcée, torture, etc.), ce n’est clairement pas à l’ordre du jour ! Certains de ces responsables continuent même à exercer des fonctions au sommet de L’État, parfois depuis les années 1970.

Les structures et institutions  de L’État responsables des atteintes aux droits humains n’ont pas changé entre le père et le fils. Mais au lieu de combattre les droits humains et le discours des droits humains, au début des années 1990 est venue l’ère de la récupération de ce discours (notamment avec l’installation du Conseil consultatif des droits de l’Homme en 1990, ou la libération de certains prisonniers politiques). Depuis, le Maroc ne jure que par les droits humains !
Il a aussi signé et ratifié plusieurs conventions internationales, cependant toutes les constitutions et lois nationales ont gardé la « spécificité marocaine » et ses « valeurs immuables ». Ce qui permet à L’État marocain de dire une chose et son contraire, sans la moindre gêne. On est capable de signer des textes sur l’égalité femmes-hommes tout en conservant l’inégalité juridique dans les textes de lois internes. On peut signer et ratifier des textes de l’ONU sur la liberté de conscience tout en punissant sévèrement qui oserait changer de religion ou revendiquer son athéisme ou émettre une critique radicale du courant dominant. La situation sur le terrain continue même de se détériorer.

Les droits économiques, sociaux et culturels
Le droit à une vie digne et respectueuse est constamment violé. Le dernier exemple en date est celui du vendeur de poissons Mohcine Fikri, mort broyé dans un camion-benne à ordures, le 28 octobre 2016, après la saisie de sa marchandise par les autorités. Ces dernières lui avaient confisqué son gagne-pain, sa dignité. C’est le sort réservé, directement ou indirectement, à des millions de Marocains qui tentent de survivre en dehors des circuits formels de L’État.
Autre exemple, en avril 2016, les autorités marocaines ont confisqué la marchandise de Mi Fatiha qui vendait des crêpes pour survivre et nourrir sa famille. « Marchandise confisquée, giflée et malmenée par les sbires de "l’autorité locale", elle n’a pu digérer cette énième humiliation. Elle s’est immolée devant les regards des autorités réfugiées dans leur local. Pire, l’un d’entre eux la filmait jusqu’à ce que le feu eut raison du corps de la défunte. »
2Ces deux exemples tragiques témoignent du degré de colère devant la Hogra (terme utilisé au Maroc pour désigner un mélange de mépris, injustice, humiliation et domination). Il ne se passe plus une semaine sans entendre des cas semblables. Plus généralement, le droit à une vie digne est bafoué. Les richesses naturelles du pays sont spoliées par une poignée au détriment de millions de citoyen-ne-s, notamment dans les provinces.

Quant au code du travail, il est majoritairement inappliqué (même selon le ministre de l’emploi !) Les autorités prennent en général le parti des patrons et recourent à la détention politique de syndicalistes selon l’article 288 du code pénal (sur l’entrave à la liberté du travail). Le travail syndical est criminalisé ; il est arrivé à maintes reprises qu’un groupe de travailleurs ou travailleuses soit licencié dès qu’ils/elles se syndiquent. Si leurs collègues se solidarisent, il est arrivé aussi qu’on ferme l’entreprise pour la rouvrir plus tard avec d’autres salariés.

Il y a beaucoup à dire sur le système de santé, le droit à l’éducation, les droits culturels, les droits de l’enfant, le droit au logement, le droit des personnes à mobilité réduite et d’autres volets des droits humains. Prenons uniquement l’exemple du système éducatif : « la part d’élèves dans le privé au primaire est passée de 4 % en 1999 à 15 % en 2015 »3. Le PNUD (Programme des Nations-unies pour le développement) a classé le système éducatif marocain parmi les 21 pires au monde en 20144. C’est un système en faillite et la solution ingénieuse des décideurs est de vendre ce qui reste au rabais !

Les droits civils et politiques
A ce jour, des dizaines de prisonniers politiques croupissent dans les geôles marocaines.
Notamment les syndicalistes de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM). Ces étudiant-e-s syndicalistes luttent contre la privatisation de l’enseignement et sur de nombreux autres terrains, y compris en soutien aux combats sociaux et politiques – comme ceux des activistes sahraouis qui militent pour l’autodétermination du Sahara Occidental ou des militant-e-s du mouvement du 20 février.
L’impunité est partie intégrante du mode de gouvernement : des dizaines de cas de violences et d’assassinats policiers restent impunis, et les enquêtes qui sont ouvertes ne débouchent sur aucun résultat (Karim Chaib à Sefrou, les cinq de Al Hoceima, Kamal Al-Amari, les victimes de la répression pendant le Mouvement du 20 février, etc.). Le droit à l’organisation est entravé. Plusieurs associations et partis politiques sont empêchés, pour des raisons politiques, de recevoir un récépissé de constitution légale (la plupart des associations sahraouies, des sections de l’AMDH, Attac, Al-Badil Hadari, Al-Ouma…).

Les rapports d’organisations nationales et internationales crédibles donnent l’essentiel de ce qu’il faut savoir – des organisations internationales voyant leur travail entravé et étant parfois expulsées du Maroc du fait de non complaisance envers les autorités. Les droits proclamés sont pour l’image et la façade d’un pouvoir qui repose d’abord et avant tout sur un appareil sécuritaire de contrôle et de répression. Les mobilisations collectives de plus en plus fréquentes montrent que les Marocain-e-s sont déterminé-e-s à en finir avec la Hogra structurelle.
Enfin, le pouvoir marocain a  noué des fidélités, des relations historiques, avec les élites françaises, à travers des réseaux anciens auxquels s’agrègent en permanence de « nouveaux venus ». Ces cercles de connivence se retrouvent auprès des élites médiatiques, des grands patrons de presse, du show business, des élus et du patronat. Des avantages sont distribués à ceux qui apportent des affaires ou soutiennent le pouvoir. La « diplomatie Mamounia » (en référence à une résidence luxueuse à Marrakech) est faite de corruption active et passive.

L’Etat marocain a le soutien de l’Europe et notamment de la France via des partenariats avancés et des « aides » à tous les niveaux (économique, politique, militaire, sécuritaire). Ces soutiens portent une responsabilité dans ce qui se passe. Leur complicité n’empêchera pas le peuple marocain de tracer son chemin vers la dignité et l’émancipation.

Tahani B., Ouadie E. et Mohamed J.5

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