L'horrible décès du vendeur de poissons, broyé sous les yeux des policiers dans une benne à ordures, a fait descendre des milliers de Marocains "excédés par le mépris qu'ils ressentent au quotidien", explique la militante Khadija Ryadi. Interview.
Un
jeune vendeur de poissons marocain est mort vendredi 28 octobre, à
Al-Hoceima, dans le nord du pays, broyé par le mécanisme d’un camion à
ordures alors qu’il tentait d'empêcher la destruction de sa marchandise
saisie par les forces de l'ordre. Une mort tragique qui a entraîné des manifestations importantes
non seulement dans le Rif mais dans d'autres régions. Car les Marocains
"en ont ras-le-bol […] de se sentir méprisés" raconte l'ancienne
présidente de l'Association marocaine de défense des droits de l'homme
(AMDH) Khadija Ryadi.
Comment se fait-il que la mort de ce jeune vendeur ait provoqué davantage de manifestations que d'autres tragédies ?
- Les Marocains en ont ras-le-bol. Cette mort tragique est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Cela fait des mois que les Marocains se sentent mal considérés et manifestent contre cet état de fait. Regardez comment s'est passée la rentrée scolaire : combien d'enfants sont arrivés dans des salles où ils n'avaient pas même une chaise pour s'asseoir ? Des classes de 60 ou 70 élèves de plusieurs niveaux, des enseignants sans affectation…
Et puis la dernière campagne électorale a montré combien la vie politique n'a pas de sens au Maroc.
Les Marocains ont raison de penser que les hommes politiques sont là
uniquement pour leur intérêt personnel, que tout cela est pourri.
Autre exemple : notre système de santé. Nombreuses sont les femmes enceintes qui ne trouvent pas de place et accouchent dans des conditions inhumaines. Toutes ces raisons ont entraîné des manifestations ces derniers mois. Dernièrement encore, des gens ont protesté contre la démolition de leur habitation. Certes, ils sont hors-la-loi car celles-ci étaient construites sans autorisation, mais pourquoi en sont-ils arrivés là ? De nombreux responsables locaux encouragent ces constructions pour obtenir les voix des habitants ou les faire chanter par la suite. La corruption concerne tous les niveaux de responsabilités, mais ce sont ces simples habitants qui se retrouvent aujourd'hui sans toit. Le ras-le-bol est immense.
Beaucoup mettent également en avant la façon abominable dont est mort Mouhcine Fikri…
- Oui, si les gens sont autant descendus dans la rue après cet horrible drame, c'est aussi parce qu'ils ont vécu un choc terrible en apprenant qu'il était mort broyé dans une benne à ordures. Les images qui circulent sont abominables. Tout le monde ressent également cette mort comme une grande injustice. Les policiers lui reprochaient d'avoir du poisson interdit à la pêche en ce moment, mais ce n'est même pas lui qui l'avait pêché, il n'avait fait que l'acheter. Les propriétaires de grands bateaux, beaucoup plus puissants que ce jeune homme, eux, ne sont pas inquiétés. Il y a un sentiment d'humiliation qui est de moins en moins accepté.
Sans compter que ce ne sont pas les premiers morts restés impunis à El Hoceima. Aucune enquête n'a abouti après le décès de jeunes militants du mouvement du 20-Février. Cela joue aussi dans l'ampleur des manifestations. La mort de Mouhcine Fikri est l'acte de trop.
Le fait que cette tragédie se déroule dans la région du Rif a-t-il une influence sur l'ampleur de la réaction populaire ?
- Les Marocains du nord ont toujours été marginalisés, réprimés plus que les autres, se sentent mal aimés malgré quelques efforts du roi actuel pour la région. Ils sont défavorisés par rapport aux autres régions. Et puis, ils ont une histoire de rébellion dont ils sont fiers et cela explique aussi l'ampleur des manifestations. Mais le phénomène dépasse Al-Hoceima, les manifestations ont été très grandes à Tanger et dans le reste du pays, notamment à Rabat. L'indignation n'a pas commencé hier à Al-Hoceima. Depuis le 20-Février, nous avons refoulé au fond de nous un mécontentement et ce genre d'injustice nous fait sortir de nous-mêmes et nous amène dans les rues pour manifester. Ce ne sont pas des gens engagés ou politisés qui descendent en ce moment, mais des personnes qui refusent d'être traités de la sorte.
On entend des slogans "non à la hogra", "non à l'humiliation". Ce sentiment est si fort ?
- Oui c'est un mot commun dans tout le Maghreb, c'est bien plus que l'humiliation, c'est le sentiment d'être écrasé comme un insecte, et là, en l'occurrence, par ceux-là mêmes qui sont là pour servir les citoyens. Trop de personnes utilisent dans notre pays leur pouvoir pour améliorer leur propre quotidien au détriment des masses.
Nous ne vivons pas dans un pays pauvre, nous avons les moyens d'avoir un enseignement de qualité, une médecine de bon niveau, de permettre à chacun d'avoir une vie digne. S'il n'y avait pas ces écarts de richesse entre ceux qui profitent du régime et ceux en sont victimes, tout cela serait possible. Il y a un fort sentiment d'impunité de ceux qui s'en mettent plein les poches, et aujourd'hui ce n'est plus accepté.
Les manifestations vont-elles continuer?
- Je ne pense pas. C'est une réaction assez ponctuelle de mon point de vue, spontanée, émotionnelle. Les forces qui luttent pour le changement sont dispersées, il y a trop de divergences. Après le 20-Février, il n'y a pas eu de maintien d'une coordination. Et si en plus il y a une répression des manifestations, la réaction populaire va s'éteindre.
Ce qui se passe est un phénomène ponctuel mais les gens accumulent les expériences et on ne sait pas ce qui en découlera plus tard. Nous, en tant que défenseurs des droits de l'homme, souhaitons que les choses changent de façon pacifique. Et il faut que ce changement ait lieu car sinon les choses iront dans un sens que personne ne souhaite. J'espère que nos responsables politiques comprennent qu'ils n'ont pas intérêt à maintenir cette voie de répression totale et de pillage des richesses du pays car les gens ne subiront pas éternellement cette situation.
Propos recueillis pas Céline Lussato
Autre exemple : notre système de santé. Nombreuses sont les femmes enceintes qui ne trouvent pas de place et accouchent dans des conditions inhumaines. Toutes ces raisons ont entraîné des manifestations ces derniers mois. Dernièrement encore, des gens ont protesté contre la démolition de leur habitation. Certes, ils sont hors-la-loi car celles-ci étaient construites sans autorisation, mais pourquoi en sont-ils arrivés là ? De nombreux responsables locaux encouragent ces constructions pour obtenir les voix des habitants ou les faire chanter par la suite. La corruption concerne tous les niveaux de responsabilités, mais ce sont ces simples habitants qui se retrouvent aujourd'hui sans toit. Le ras-le-bol est immense.
Beaucoup mettent également en avant la façon abominable dont est mort Mouhcine Fikri…
- Oui, si les gens sont autant descendus dans la rue après cet horrible drame, c'est aussi parce qu'ils ont vécu un choc terrible en apprenant qu'il était mort broyé dans une benne à ordures. Les images qui circulent sont abominables. Tout le monde ressent également cette mort comme une grande injustice. Les policiers lui reprochaient d'avoir du poisson interdit à la pêche en ce moment, mais ce n'est même pas lui qui l'avait pêché, il n'avait fait que l'acheter. Les propriétaires de grands bateaux, beaucoup plus puissants que ce jeune homme, eux, ne sont pas inquiétés. Il y a un sentiment d'humiliation qui est de moins en moins accepté.
Sans compter que ce ne sont pas les premiers morts restés impunis à El Hoceima. Aucune enquête n'a abouti après le décès de jeunes militants du mouvement du 20-Février. Cela joue aussi dans l'ampleur des manifestations. La mort de Mouhcine Fikri est l'acte de trop.
Le fait que cette tragédie se déroule dans la région du Rif a-t-il une influence sur l'ampleur de la réaction populaire ?
- Les Marocains du nord ont toujours été marginalisés, réprimés plus que les autres, se sentent mal aimés malgré quelques efforts du roi actuel pour la région. Ils sont défavorisés par rapport aux autres régions. Et puis, ils ont une histoire de rébellion dont ils sont fiers et cela explique aussi l'ampleur des manifestations. Mais le phénomène dépasse Al-Hoceima, les manifestations ont été très grandes à Tanger et dans le reste du pays, notamment à Rabat. L'indignation n'a pas commencé hier à Al-Hoceima. Depuis le 20-Février, nous avons refoulé au fond de nous un mécontentement et ce genre d'injustice nous fait sortir de nous-mêmes et nous amène dans les rues pour manifester. Ce ne sont pas des gens engagés ou politisés qui descendent en ce moment, mais des personnes qui refusent d'être traités de la sorte.
On entend des slogans "non à la hogra", "non à l'humiliation". Ce sentiment est si fort ?
- Oui c'est un mot commun dans tout le Maghreb, c'est bien plus que l'humiliation, c'est le sentiment d'être écrasé comme un insecte, et là, en l'occurrence, par ceux-là mêmes qui sont là pour servir les citoyens. Trop de personnes utilisent dans notre pays leur pouvoir pour améliorer leur propre quotidien au détriment des masses.
Nous ne vivons pas dans un pays pauvre, nous avons les moyens d'avoir un enseignement de qualité, une médecine de bon niveau, de permettre à chacun d'avoir une vie digne. S'il n'y avait pas ces écarts de richesse entre ceux qui profitent du régime et ceux en sont victimes, tout cela serait possible. Il y a un fort sentiment d'impunité de ceux qui s'en mettent plein les poches, et aujourd'hui ce n'est plus accepté.
Les manifestations vont-elles continuer?
- Je ne pense pas. C'est une réaction assez ponctuelle de mon point de vue, spontanée, émotionnelle. Les forces qui luttent pour le changement sont dispersées, il y a trop de divergences. Après le 20-Février, il n'y a pas eu de maintien d'une coordination. Et si en plus il y a une répression des manifestations, la réaction populaire va s'éteindre.
Ce qui se passe est un phénomène ponctuel mais les gens accumulent les expériences et on ne sait pas ce qui en découlera plus tard. Nous, en tant que défenseurs des droits de l'homme, souhaitons que les choses changent de façon pacifique. Et il faut que ce changement ait lieu car sinon les choses iront dans un sens que personne ne souhaite. J'espère que nos responsables politiques comprennent qu'ils n'ont pas intérêt à maintenir cette voie de répression totale et de pillage des richesses du pays car les gens ne subiront pas éternellement cette situation.
Propos recueillis pas Céline Lussato
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