par Luk Vervaet, 21/7/2016
Article paru dans Agenda interculturel - juillet 2016, Eloge des carburateurs. Pour visiter le site cliquez ICI
(photo manifestation à Haren mars 2015)
Récemment, deux mouvements sociaux ont sorti de l’ombre le
monde caché des prisons. Il y a eu la grève du personnel pénitencier en
mai-juin 2016. Et le mouvement contre la méga-prison de Haren, commencé en 2011
et qui continue sa lutte sans relâche.
En prenant des détenus en otage pour obtenir satisfaction, la grève des gardiens a levé le voile sur la situation catastrophique au sein de nos prisons. Elle nous a confrontés à la vie difficile des gardiens. Mais aussi, et surtout, à celle des détenus, qui, en beaucoup d’endroits, y mènent une vie non digne de ce nom. « Grève historique », « mouvement sans précédent » ont écrit certains médias. Cette grève ne donnait pourtant aucune perspective sur l’issue de la crise carcérale. Elle revendiquait avant tout le maintien ou l’augmentation du personnel pénitentiaire et s’est soldée par des promesses de réformes – et surtout de construction de nouvelles prisons - de la part du ministère de la Justice[1].
En prenant des détenus en otage pour obtenir satisfaction, la grève des gardiens a levé le voile sur la situation catastrophique au sein de nos prisons. Elle nous a confrontés à la vie difficile des gardiens. Mais aussi, et surtout, à celle des détenus, qui, en beaucoup d’endroits, y mènent une vie non digne de ce nom. « Grève historique », « mouvement sans précédent » ont écrit certains médias. Cette grève ne donnait pourtant aucune perspective sur l’issue de la crise carcérale. Elle revendiquait avant tout le maintien ou l’augmentation du personnel pénitentiaire et s’est soldée par des promesses de réformes – et surtout de construction de nouvelles prisons - de la part du ministère de la Justice[1].
Deux questions s’imposent de prime abord. Pourquoi invente-t-on
toujours de nouvelles réformes et ne reprend-on pas, par exemple, la loi Dupont,
qui n’est toujours pas d’application ?[2]
Et deux, force est de constater que ces réformes ne constituent jamais une
rupture. Elles laissent la prison intacte, en tant que principal et unique
outil de punition. Pour reprendre Tony Ferri : « L’institution pénitentiaire… persiste à demeurer fondamentalement
identique à elle-même… Par définition, les transformations ne sont que des
accidents, des mesurettes de replâtrages, d’habillages et de consolidation des
institutions (pénitentiaires) qui restent, par définition intacts… ».[3]
Quant au titre « historique »,
c’est bien au mouvement contre la construction de la méga-prison à Haren (Bruxelles)
qu’il revient. C’est en effet ce mouvement qui a suscité une formidable prise
de conscience et élevé le premier barrage contre la politique carcérale en Belgique
en bloquant la construction de la méga-prison depuis plusieurs années. Disons-le,
il n’est pas garanti que ce mouvement arrive à bloquer définitivement la construction
de la prison. Mais ce n’est pas le plus important. Comme le dit Angela Davis, « il nous faut parfois nous atteler à la tâche
quand bien même aucune lueur à l’horizon ne laisse espérer quoi que ce soit ».
Pour elle, il ne s’agit pas de raisonner en termes de « résultats », mais en termes « d’impact » : « Un mouvement peut échouer de fait. Il peut
avoir ses campements détruits, ne produire rien de tangible, ne déboucher sur
rien… Mais il s’agit de penser à l’impact de ces actions inventives et
novatrices… qui doivent nous servir de modèles pour les actions que nous
engagerons dans l’avenir »[4]. A
ce niveau-là, les différentes actions et initiatives des militant(e)s au sein
de ce formidable front contre la méga-prison laisseront des traces indélébiles.
Je pourrais citer les films, les bandes dessinées, les
travaux universitaires, réalisés sur cette lutte.[5]
Les Zadistes et les Patatistes, les militants, venus de différents pays
d’Europe, pour occuper pendant plus d’un an, jusqu’à son évacuation violente et
illégale en septembre 2015, le terrain du Keelbeek où allait se construire la
prison. La plantation massive de patates, le 17 avril 2014, par 400 personnes du
Keelbeek à l’appel du ReSAP[6]. La
condamnation à 10 mois de prison de huit activistes anti-prison, accusés d’en avoir
détruit la maquette. Le tour à vélo patatiste. Les actions de La Cavale et leur
procès à venir. Les prises de position des magistrats et des avocats. Le
travail acharné de la Plateforme pour sortir du désastre carcéral[7],
de l’Observatoire International des Prisons, de la Ligue des droits de l’homme,
d’Inter Environnement Bruxelles, de Respire ou des organisations agricoles. La
force du mouvement contre la construction de la méga-prison réside dans la magnifique
convergence qu’il a réussi à créer entre les luttes menées sur différents
fronts, porteurs d’une société nouvelle.
Mais c’est la conscientisation d’une poignée d’habitants de
Haren qui est à la base de cette lutte et qui en est en même temps le résultat
le plus remarquable. Quelques dizaines d’habitant(e)s de cette petite entité de
4500 personnes, méprisée et utilisée comme poubelle et comme site pour les
grandes infrastructures de la grande ville, se sont investis depuis cinq ans
dans cette lutte. Contre le fatalisme qui disait que leur combat était perdu
d’avance. Contre l’opinion dominante qu’il faut toujours plus d’enfermement et
toujours plus de prison. Contre la privatisation des prisons. Ces Harenois(e)s n’avaient
aucun rapport avec le monde carcéral avant que ne commence la lutte. Leur
Comité des Habitants de Haren ne s’opposait pas à la construction d’une petite
prison sur les terrains abandonnés d’une usine. C’est à travers la lutte qu’ils
et elles se sont développés en tant que porteurs d’un mouvement contre « l’inflation carcérale sans précédent au XXe
siècle »[8] et
contre les solutions des gouvernements successifs.[9]
Le 27 juin 2016 dernier, le collège de
la Ville de Bruxelles a finalement donné son feu vert à la construction de la
méga-prison en échange de la construction d’un parc, d’un pont et de la
promesse que son CPAS ne devra pas payer une assistance aux détenus.
Voici
quelques extraits du communiqué[10]
du Comité des Habitants de Haren, signé par Elisabeth, Fabienne, Laurent,
Nathalie, Philippe, Stéphanie et Zehra, publié avant la tenue de ce conseil
communal.
Il montre que la flamme de la résistance brûle toujours et n’est pas
prête de s’éteindre.
« Le collège de la Ville de Bruxelles veut
forcer le conseil communal à accepter le projet de méga-prison de Bruxelles. Il
n'est pas question de monnayer un projet aussi toxique que cette méga-prison de
Bruxelles contre des compensations locales et étrangères au projet… Nous ne
voulons pas de compensations qui se feraient au prix d'un mauvais projet… Nous
ne voulons pas de compensations qui se feraient sur le dos de la justice et des
conditions de détention… Nous ne voulons pas reporter les problèmes ailleurs…Nous
ne voulons pas prendre des biens qui devraient être destinés à d'autres… Nous
voulons de la justice et pas de la vengeance… On ne détruit plus aujourd'hui les
terres arables. On ne détruit pas l'équilibre d'un village… On ne mélange pas
une prison pour jeunes, une prison pour détention préventive, une institution
psychiatrique, une prison ouverte pour femmes, une prison de peine et tout cela
concentré et soumis aux nuisances harenoises … On ne rend pas la justice en
prison… On n'exclut pas les personnes en détention de notre société… Haren
n'est pas à vendre. »
[2]
« … le 12 janvier 2005, le législateur belge adoptait une loi « de
principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut
juridique des détenus ». Annoncée depuis 1996, cette loi était porteuse
d’espoir pour le monde carcéral en général, et les détenus en particulier... Las
! Dix ans plus tard, près de la moitié des dispositions votées à l’époque ne
sont toujours pas entrées en vigueur.. » http://www.liguedh.be/espace-presse/130-communiques-de-presse-2015/2237-loi-dupont-un-bien-triste-anniversaire
[3]
Tony Ferri, Le système pénitentiaire est-il en crise ?, Revue européenne
de Psychologie et de Droit, www.psyetdroit.eu
[4]
Angela Davis, Une lutte sans trêve, La Fabrique éditions, page 178
[5] Par
exemple : les Ateliers « Affiches
sur les prisons » et le film
« Prisons des villes, prisons
des champs » produit par les Ateliers urbains et l’IEB ; les
reportages de Haren TV, Zin TV ou Via Campesina TV; « Patati & Patata, trois ans de lutte à
Haren », le livre avec les dessins d’Ernesto Moreno ; « Haren, vers la prison de demain »,
travail de fin d’études de Notaro Gennaro; « Dé/construire la
prison », les workshops ULB faculté d’architecture; les travaux des
étudiants sur le terrain de l’unité de Socio-Économie, Environnement et
Développement (SEED) de l’université de Liège…
[8]
Fabienne Brion, Cellules avec vue sur la
démocratie, Fragment 1, « une
inflation carcérale sans précédent au XXème siècle, du moins si l’on excepte
l’immédiat après-guerre. » https://conflits.revues.org/18906
[9] En
trente ans le nombre de détenus a doublé. Pour remédier à cette explosion, les
gouvernements successifs ont décidé de construire des prisons : Bruges (1991),
Andenne (1997), Ittre (2003), Hasselt (2005), Marche-en-Famenne (2013),
Leuze-en-Hainaut (2014), Beveren (2014). S’y ajoute la construction de six
prisons pour illégaux sous le nom de « centres
fermés », en vingt ans de temps.
[10] http://1130haren.be/fr/ : RDV à l'Hôtel
de Ville de Bruxelles ce lundi soir dès 17h : Haren pas à vendre
Publié : 27-06-2016
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