Ramadan à Lille : Le Belvédère accueille tous les soirs 150 personnes pour un repas gratuit

PAR PATRICK SEGHI, 22/6+/2016

150 convives qui mangent gratuitement (et bien) tous les soirs ! Mohamed Idrissi s’est lancé dans une belle aventure humaine qui aujourd’hui le dépasse. « Le Ramadan est un moment de partage », rappelle le patron du Belvédère qui, au bord de la rupture, espère un coup de pouce.


Mohamed Idrissi, au four et à Moulins accueille 150 convives tous les soirs. «
J’espère que cela pourra continuer.
»
Ce qui pose problème est le poids. La paella est énorme. Mohamed Idrissi, 45 ans, est aux fourneaux depuis le matin. Trois ans, que le patron du Belvédère, rue de Condé, au cœur de Moulins, s’active les mois de Ramadan. Trois ans, qu’il aide qui le souhaite à venir rompre le jeûne, « musulmans ou non ». Trois ans passés à bout de bras et de souffle. «Cent cinquante personnes viennent manger ici tous les soirs gratuitement. C’est cela le Ramadan, un grand moment de partage. »

Il est un peu plus de 22 h, la rue s’anime. Les premiers « clients » arrivent par grappes pour rompre le jeûne. Le bouche-à-oreille fonctionne à merveille. Pour beaucoup, il s’agit du seul repas accessible. Catherine est là pour l’aspect convivial ; Hassane parce qu’il n’a d’autre choix. Mineurs isolés étrangers du jardin des Olieux, SDF, riverains, enfants avec leurs parents… Malgré la foule, le patron se sent seul. « J’ai débuté sous l’impulsion de la mosquée, aujourd’hui, il n’y a que quelques amis et l’association Le Message qui m’accompagnent. »

« Les partenaires officiels sont aux abonnés absents »

Les plats entament leur ballet. « La soupe est excellente. » Chacun vante la qualité des mets offerts. Mohamed brandit un mixer hors course. « Je viens de le casser. Trop de légumes et de fruits frais à nettoyer. » Factures à la main, il angoisse sur le futur. « Je me demande si je ne dois pas créer une association ? Mais je n’y connais rien… » Restaurateur de formation, la quadra est dans le rouge vif, tendance harissa. Exténué par une charge qui le dépasse. «J’ai trois mois de loyers en retard. »
Dans son réfrigérateur s’amoncellent tomates et poulets. Demain est un éternel recommencement. « Les partenaires officiels sont aux abonnés absents. La solidarité ne repose plus que sur des initiatives privées dans ce quartier », poursuit un habitué qui renvoie à la situation du jardin des Olieux.

Vidé

Photo de Sam Bouanane.Pour que la soupe ne génère aucune grimace, Mohamed espère du concret. Il ne lâchera pas le morceau. « J’ai connu la rue et j’ai appris qu’on ne peut y laisser personne. » Les mangues qui se trouvaient sur le comptoir sont englouties. « Entrée, plat, dessert. » L’investissement est total. Démesuré. Dans deux semaines, Le Belvédère redeviendra un salon de thé et de café « normal » ouvert à partir de 18 h. Mohamed se rend à la cave. La descente est surréaliste. Une vingtaine de convives supplémentaires, deux tables ouvertes et un service. Il est près de 23 h 30, El Hadji promet de revenir. « C’est vraiment très bien », résume le Sénégalais. Tout le monde quitte les lieux dans le calme. Les plus religieux feront la prière de minuit. La salle ressemble à un champ de bataille. « J’espère que cela continuera l’an prochain. » Mohamed jette un œil vers le plat de paella, vidé comme lui.

Le journal du jor à prtir de 0,79