Gazette Debout,Journal indépendant de la Nuit Debout
REPORTAGE – Fracasser les vitres d’un hôpital pour
enfants. Quel beau symbole pour le gouvernement, avide d’images choc
pour discréditer les manifestants et minorer leur rancœur à l’encontre
de ses choix politiques. Mais Gazette Debout a pu contacter
certains militants qui étaient dans la tête du cortège. Et leur avis est
sans appel : tous condamnent ce dommage collatéral à l’encontre de
l’hôpital Necker. Retour sur ce qu’il faut bien appeler une manipulation
politique.
Dès le lendemain du défilé du 14 juin, le Premier ministre Manuel
Valls, s’est précipité à l’hôpital Necker en compagnie de la ministre de
la Santé, Marisol Touraine, et du directeur général de l’Assistance
Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch. « Ce qui s’est passé ici est intolérable et doit sonner comme un signal d’alarme pour notre société », a-t-il déclaré. Lors d’une interview sur France Inter, il a parlé d’un établissement « dévasté ». De son côté, Bernard Cazeneuve a fustigé « les hordes de manifestants violents » qui s’en prenaient aux « vitres de l’hôpital » annonçant que « l’enfant des policiers tués à Magnanville était hospitalisé ».
Un collectif de chercheurs de l’Institut des maladies génétiques Imagine a également publié dans (ô surprise) Le Figaro une tribune pour dénoncer « la
frénésie destructrice et aveugle de ceux qui se sont attaqué au
bâtiment » (…). « Cette violence est d’autant plus condamnable qu’elle
était préméditée, comme le prouve l’usage d’instruments suffisamment
puissants pour briser des vitrages de sécurité d’un bâtiment clairement
identifié comme hôpital, structure neutre ouverte à tous mais contrainte
de s’enfermer par crainte de l’agression. »
Cette récupération politique a rapidement agacé. Le site Lundi matin a publié le témoignage d’un parent d’enfant soigné à l’hôpital. « Certes,
briser les vitres d’un hôpital, même par mégarde, c’est idiot ; mais
sauter sur l’occasion pour instrumentaliser la détresse des enfants
malades et de leurs parents pour décrédibiliser un mouvement social,
c’est indécent et inacceptable ».
Par ailleurs, un membre du personnel soignant, interrogé par France Tv Info, qualifie d’entorse au secret médical les propos de Bernard Cazeneuve. « Beaucoup
d’entre nous ne savaient pas que cet enfant était là, et ce n’était pas
au ministre de l’annoncer en ‘prime time’. Les médecins ont besoin de
tranquillité pour gérer ce petit garçon qui, en l’espace de 24 h, est
devenu orphelin et a été instrumentalisé par l’échec politique de ce
gouvernement, explique-t-elle. Des voyous ont vandalisé l’hôpital, mais il faut laisser la justice faire son travail. »
Même son de cloche du côté des syndicats, qui dénoncent, toujours chez France TV Info, une récupération politique. « Nous
condamnons d’emblée les faits. Cette attaque de casseurs contre un
hôpital public est inacceptable et n’a rien à voir avec la
mobilisation », explique ainsi Olivier Cammas, représentant CGT à l’AP-HP. « Le problème, c‘est
qu’on se retrouve à ne plus traiter le fond, c’est-à-dire l’opposition à
la loi Travail, mais seulement à se focaliser sur cet événement
médiatique et politique. »
En effet, ni Manuel Valls, ni Marisol Touraine, ni même Martin Hirsch
n’ont évoqué la réforme des hôpitaux, dénoncée entre autre par Hôpital Debout.
Budgets restreints, cadences de travail harassantes, déshumanisation
des relations avec les patients : l’hôpital public doit aujourd’hui se
plier aux mêmes logiques de rentabilité que les entreprises.
Mais revenons un instant à l’événement : « l’attaque » des vitres de
l’hôpital par ceux que les médias appellent les « casseurs », que nous
désignerons ici comme « Black Blocs » par commodité.
Pourquoi auraient-ils décidé de s’en prendre à un tel lieu ?
Leurs cibles sont habituellement plus symboliques et anti-capitalistes :
banques ou panneaux publicitaires… Cette initiative ne correspond pas
vraiment à leurs méthodes d’actions. Pour bien s’en rendre compte, il
faut regarder la vidéo d’un journaliste du Monde, Pierre Trouvé, qui était présent sur les lieux. Elle a publiée notamment dans L’Autre Quotidien :
Dans l’extrait que nous avons isolé, on voit un homme seul attaquer
au marteau les vitres de l’établissement, avant qu’un manifestant
(membre de la CGT) ne vienne l’arrêter. Un mode opérationnel bien éloigné de celui des « Black Blocs » comme l’explique Alexandre, militant de longue date : « Ils
agissent souvent à plusieurs, et une fois qu’ils ont terminé, ils
repartent en courant. Cet homme est reparti seul, les mains dans les
poches. C’est très étrange ».
Pour lui, il s’agit soit d’un policier en civil, comme on a pu en voir pendant les manifestations contre la réforme des retraites, soit d’un individu isolé, un « abruti ».
« Si les Black Blocs avaient réellement voulu s’en prendre à
l’hôpital, plus aucune vitre ne serait intacte aujourd’hui. Regardez ce
qui est arrivé à celles des banques qui se trouvaient sur le parcours du
cortège », poursuit-il.
Dès le lendemain, les vitres de l’hôpital ont été recouvertes de ballons et de mots « d’excuse » signé des « casseurs ». Certains y ont même déposé des jouets. Les vilains « casseurs » auraient-ils eu des remords ?
Si certains membres ont refusé de s’associer à ces mots d’excuses, au
motif que c’était reconnaître quelque chose dont ils ne se sentent pas
responsables, tous se sont dits émus qu’un individu s’en soit pris à un
tel établissement.
« La majorité, dans la tête de cortège, voit plus ça comme un
dommage collatéral qui s’est produit à cause de l’ignorance d’un
autonome », explique un proche des autonomes à la Gazette Debout.
« Car nous savons bien que la casse de l’hôpital, c’est le
gouvernement qui veut économiser 400 millions d’euros en supprimant 22
000 emplois, pas trois vitres brisées ».
Au final, personne, parmi nos contacts dans les manifestants en tête de cortège, ne cautionne de tels actes.
Rappelons au passage que les manifestations contre la loi travail
sont bien moins violentes que celles qui ont eu lieu pour protester
contre le CPE. À l’époque, on comptait une trentaine de cocktails
molotov par soir, et des voitures étaient retournées pour ériger des
barricades. « Les violences étaient autrement plus puissantes. Et
que dire de mai 68, ou les « autonomes » pouvaient être 15 000 dans les
cortèges. Rares sont les grandes avancées sociales qui se sont faites
sans violences en France » conclut Alexandre.
Edit dimanche 19 juin : nous avons rajouté les citations et avis que nous avons recueilli auprès de certains militants en tête du cortège.
L-A & G-H pour GAZETTE DEBOUT
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