La Ville Nouvelle, 29/6/2015
La moitié de l’Europe ferme ses portes aux
immigrants, mais en Italie, un village de pêcheurs offre l’asile aux
réfugiés garantissant ainsi sa propre survie.
Les moutons bêlent depuis les pentes
rocheuses, la mer murmure depuis la côte et ici l’utopie de Mimmo est
devenue réalité – celle d’un endroit réputé pour son hospitalité plutôt
que pour ses frontières.
Mimmo s’appelle en réalité Domenico Lucano (mais personne ne l’appelle ainsi), et il est le maire de Riace, petit village de pêcheurs sur la côte de la Calabre. Trois églises pour seulement 1500 habitants, dans la rue quelques douzaines de poules et un chien en mauvais état. Un endroit si insignifiant où aucun touriste s’arrête, même pas par accident.
Lucano a proclamé son village natal patrie des réfugiés, tandis que la moitié de l’Europe tente d’isoler les migrants illégaux en créant des frontières de plus en plus impraticables. «Dans notre pays, » dit Lucano » nous accueillons les réfugiés à bras ouverts. »Aujourd’hui à Riace vivent plus de 500 migrants, près d’un résident sur trois. Personne ne possédait un permis de séjour ou un document de travail valide quand il est arrivé. Ce sont des jeunes hommes de la Tunisie, le Sénégal et l’Érythrée, des femmes et les enfants de la Syrie et de l’Algérie, qui se sont enfuis de leur pays d’origine en raison de la guerre et de la pauvreté.
Adama Kone, 33, est arrivé il y a deux ans en provenance du Mali, où il ne pouvait plus trouver du travail, pour nourrir ses deux enfants. Aujourd’hui,
il vit à Riace, est propriétaire d’une maison et travaille dans le
garage attenant où il a ouvert son propre atelier de réparation de
voitures.
Trois rues plus loin, Fatma, une jeune Afghane de 24 ans, travaille dans un magasin de tissus. Elle a fui son pays natal à cause des talibans et travaille maintenant comme couturière et tisserande de tapis à Riace. Elle reçoit
environ 600 euros par mois de la Ville, qui lui a également mis
gratuitement à disposition une vieille maison abandonnée. Les villageois ont également contribué Fatma à la rénover et à la rendre de nouveau habitable. En retour, Fatma prend soin de leurs enfants pendant la semaine ou soigne leurs parents âgés et malades d’Alzheimer.
Les réfugiés aident à reconstruire le village
« À Riace la solidarité n’est pas à sens unique », a déclaré le maire Lucano. « Nous essayons d’offrir aux réfugiés une nouvelle maison ici, et en retour, ils nous aident à la garder vivante. » Les
réfugiés, qui ailleurs sont rejetés car illégaux, à Riace trouvent du
travail, sont intégrés dans le pays et contribuent à la reconstruction
d’un village qui, il y a 14 ans, était presque disparu.
Le village est situé dans l’une des régions italiennes les moins développées. Une triste coulée de béton, des emplois peu rémunérés et un terrain idéal pour la Mafia. Pendant des décennies, les gens ont fui loin d’ici: des
3000 habitants d’autrefois, à Riace aujourd’hui il n’en sont restés que
800. Les dernières pizzerias et gelaterias du village ont fermé
boutique. « Notre village bien-aimé » dit Lucano « était comme un malade en phase terminale qui attend sa dernière heure. »
Et puis, c’est arrivé ce que même aujourd’hui les habitants de Riace considèrent comme un miracle: la nuit du 1er Juillet 1998, un navire transportant 218 Kurdes a débarqué sur nos côtes. Ils fuyaient vers la Grèce, mais ils avaient perdu leur chemin. Affamés et épuisés par le froid et la fatigue, la plupart d’entre eux avait déjà perdu tout espoir. Lucano a travaillé pour que les réfugiés soient accueillis et hébergés par les habitants.
Au fil des années, de plus en plus de
réfugiés sont arrivés, et le maire s’est rendu compte qu’ils avaient
redonné vie à sa ville. Lucano emprunta
de l’argent au nom de la Ville, afin de reconstruire les maisons
délabrées dans le pays et de donner un salaire décent aux migrants. Il
a également demandé une autorisation spéciale à la région Calabre pour
qu’elle accepte les migrants sans trop de passages bureaucratiques.
Selon la Croix-Rouge italienne,
l’hébergement des réfugiés dans les camps en Calabre coûte environ 55
euros par jour et par habitant. À Riace chaque migrant coûte seulement la moitié. « Parce que les nouveaux arrivants s’intègrent rapidement » dit Lucano.
Sa dernière invention est l’euro de Riace: les
migrants, qui, doivent attendre jusqu’à sept mois avant d’obtenir de
l’argent du gouvernement peuvent faire leurs achats dans les magasins
locaux avec une monnaie locale, de manière à obtenir le nécessaire à
leur survie. Une fois qu’ils obtiennent
l’argent du gouvernement, les commerçants peuvent les utiliser pour
convertir les monnaies locales et récupérer leur crédit. Les réfugiés ont également contribué ces dernières années à l’essor économique de Riace. Ateliers, boulangeries et coiffeurs ont repris leurs activités. Les
arts traditionnels du tissage et de la céramique ont été relancées et
depuis a été rouverte même une école, où les enfants qui viennent ici,
avec leurs parents, apprennent les rudiments de la langue italienne.
«Les adolescents ont besoin de plus de temps pour s’adapter ici», dit l’enseignante, Emilia, 51 ans. Beaucoup ont grandi dans des pays dominés par la guerre civile et la persécution, et connaissent seulement la vie de réfugiés. La
plupart d’entre eux ont juste besoin d’un peu de temps pour réaliser qu’ici
ils ont trouvé un endroit où ils peuvent rester en permanence.
Initialement, les habitants avaient peur de n’être plus les maîtres de leur village.
Même les habitants ont eu besoin de temps pour s’y habituer aux nombreux nouveaux visages dans leur village. Les plus âgés étaient les plus sceptiques. Certains ont même craint que la compassion de leur maire aurait conduit leur village à la ruine. Mais au fur et à mesure que le village se redressait, dit Emilia, « les doutes ont disparu. »
Aujourd’hui, les vieux de Riace regardent les enfants africains qui jouent au football sur la place du village. Dans les boulangeries
l’odeur du pain frais se mélange à la musique arabe, et dans les
magasins d’artisanat les autochtones et les étrangers, travaillent côte à
côte où pour produire des décorations et de la poterie.
Toute cette harmonie est une épine dans le pied pour la redoutée ‘Ndrangheta. La
mafia calabraise, qui pendant des décennies a pu exploiter la pauvreté
de Riace, a essayé depuis de saboter la reconstruction du pays. Peu
de temps après la réélection à la mairie de Lucano, en 2009, la mafia a empoisonné son chien et criblé avec une douzaine de coups les murs du
restaurant Donna Rosa, où Lucano dînait avec des amis. Quelques jours plus tard, malgré tout, le maire a mis en place un panneau d’affichage qui lit en grosses lettres: «Riace – ville d’hospitalité. »
Il ya deux ans, pour son engagement, Lucano a reçu le prix World Mayor [le prix du meilleur maire dans le monde]. A
Riace on l’a même proposé pour le prix Nobel de la paix, mais le maire a
répondu: « Le plus important est que l’histoire des habitants de Riace
soit un modèle pour tous ».
Les pays
voisins de Caulonia et Stignano ont suivi l’exemple de Riace et
maintenant ils sont eux aussi en train d’accepter des réfugiés. Et dans l’intervalle, le nom Riace arrive à Hollywood: en 2010 le directeur Wim Wenders est venu en Calabre pour tourner un documentaire sur le problème des réfugiés. Mais après avoir entendu les réfugiés du pays, il a décidé de raconter l’histoire de Riace avec un film intitulé « L’envol ».
« La vraie utopie», a déclaré Wenders la
même année, lors de la célébration de l’anniversaire de la réunification
des deux Allemagnes, « ce ne fut pas la chute du mur de Berlin, mais la
coexistence pacifique des peuples de Riace ». Dans ce village sans attraction entre les falaises dénudées et le murmure de la mer, j’ai vu un monde meilleur.
Article traduit de l’italien
/20/immigrazione-profughi-salvano-riace-dal-declino/419833/ et de l’allemand depuis http://www.zeit.de/gesellschaft/zeitgeschehen/2012-11/italien-dorf-riace-fluechtlinge-zuhause/komplettansicht
La Ville Nouvelle
Projets durables de vie et d'habitat – Marco Castroni, Architecte a Genève
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire