Les nouvelles des détenus politiques au Maroc
Par Moha Oukziz, pour le comité de soutien, 5/3/2012
Bonsoir,
Certainement, vous connaissez le Maroc qui ne brille pas que par son soleil. Derrière cette beauté naturelle se cachent des bagnes qui continuent à exister, encore actuellement, au vu et au su de tout le monde.
Nous avons reçu et traduit la lettre ci-dessous du détenu politique Ezedine Erroussi, en grève de la faim depuis le 19 décembre 2011. Oui depuis plus de deux mois et demi. Torturé, blessé, harcelé. Sa vie tient à un tuyau qui le transfuse et des piqures dont on ignore la nature. Il est en permanence entre l'Hôpital de Taza et la prison de la même ville, isolé du monde extérieur. Ces derniers jours, sa famille et ses amis ignorent où il est exactement.
Nous avons reçu et traduit la lettre ci-dessous du détenu politique Ezedine Erroussi, en grève de la faim depuis le 19 décembre 2011. Oui depuis plus de deux mois et demi. Torturé, blessé, harcelé. Sa vie tient à un tuyau qui le transfuse et des piqures dont on ignore la nature. Il est en permanence entre l'Hôpital de Taza et la prison de la même ville, isolé du monde extérieur. Ces derniers jours, sa famille et ses amis ignorent où il est exactement.
Il a pu trouver la force pour écrire au monde extérieur, peut être pour une dernière fois. Nous vous sollicitons de bien vouloir nous aider pour le libérer en informant largement vos amis, connaissances, élus, journalistes, tout le public de sa situation,
Nous faisons appel à votre conscience de citoyen avant tout, pour diffuser la lettre d'Ezedine et ses nouvelles, afin de lui sauver la vie.
D'autres prisonniers politiques sont à plus de quarante jours de grève de la faim, depuis le 23 janvier 2012, dans la prison de Ain Kadouss à Fès: Mohamed Ghloud, Mohamed Zghdidi, Mohamed Fetal et Ibrahim Saidi, tous des étudiants militants de l'UNEM enlevés et incarcérés depuis plusieurs mois sans jugement; d'autres sont en grève de la faim à la prison de Taza, Errachidia et ailleurs. Un mouvement de grève de la faim dans les prisons du Royaume, ami de la France, la Haute France.
Veuillez, agréer, madame monsieur, nos salutations distinguées.
Moha Oukziz
LA LETTRE :
Par Ezedine ERROUSSI, détenu politique
Prison locale de Taza n°d’écrou 7000096
Journal de la torture
Salutations militantes aux étudiants (tes),
Salutations à tous les nobles militants du Maroc blessé, Salutations de résistance à mes camarades de la prison de sinistre réputation Aïn Kadouss à Fès qui sont en grève de la faim à mes côtés depuis le 23/01/2012.
Salutations à tous les prisonniers politiques du Maroc notamment les prisonniers de la révolte de Taza la glorieuse avec, à leur tête, les grévistes de la faim depuis le 14/02/2012.
Salutations aux martyrs du peuple marocain qui resteront immortels.
Je vais parler dans ce qui suit de quelques épisodes de la torture que j’ai subie depuis mon arrestation. Ce récit ne sera pas exhaustif car mon état de santé s’est détérioré suite à ma grève de la faim et à mes va et vient entre l’hôpital et la prison. Pour ces raisons je ne peux pas relater tous les détails en vue d’informer l’opinion publique, tous les militants et les masses étudiantes et populaires. Je ne peux vous informer de tout ce qui a trait aux violations de mes droits commises à mon encontre par le régime en place.
J’en ai parlé auparavant en date du 09/01/2012 dans une chronique intitulée « chronique d’une torture » subie dans ma cellule.
Comme tout le monde le sait, j’ai été arrêté le jeudi 01/12/2011, quand les forces de l’ordre de tous bord sont intervenues alors que nous menions notre glorieuse bataille avec un cahier de revendications bien précises. La réponse du régime a été d’envoyer ses espions et ses agents pour épier nos actions. Les forces de l’ordre ont commis une boucherie à notre encontre. Elles ne cessent de militariser l’université et continuent à s’opposer violemment à notre mouvement contestataire, celui des étudiants et du peuple marocain en général.
J’ai été arrêté par trente agents répressifs, ils m’ont tabassé à coups de matraque jusqu’à ce que je m’évanouisse. Ils m’ont ligoté et tiré par les pieds jusqu’à la voiture blindée, stationnée devant la fac porte ouest du coté du cimetière. Là ils m’ont déshabillé. Ils ont commencé à m’insulter et à me frapper violemment. À plusieurs reprises, ils ont piétiné ma tête et mon ventre avec leurs pieds. Ensuite un des agents m’a mis un pistolet dans ma bouche en disant « une seule balle et c’en est fini de toi, les années de plomb ne sont pas terminées et tu verras les horreurs que tu n’as jamais vues depuis ta venue au monde ». Soudain, l’estafette blindée a redémarré, elle s’est arrêtée plus loin devant la station d’essence OL LYBIA qui est située en face de l’autre porte de la FAC du côté de l’institut de technologie appliquée. Les agents ont ouvert la porte de la voiture, j’ai vu des agents qui ont l’air haut gradés, ils étaient officiers, un des leurs a dit aux autres « voilà un de ces morveux qui vient de tomber » ; ils reprirent alors les insultes, les injures et les coups.
Après quinze minutes, je fus transporté au commissariat. A mon arrivée, ils m’ont poussé de toutes leurs forces. Je suis tombé par terre et mon visage s’est cogné. Ils ont ligoté mes pieds et m’ont roué de coups de pied. Ensuite ils ont bandé mes yeux, ils ont ligoté mes pieds et mes mains.
Ils m’ont fait rentrer dans une chambre et ont commencé l’interrogatoire. J’ai refusé de parler et j’ai gardé le silence. Alors un des agents a mis encore une fois un pistolet dans ma bouche et sur ma tempe, il m’insultait et me menaçait « je vais t’exploser la tête si tu ne parles pas.. » J’ai quand même gardé le silence, alors ils ont commencé à arracher mes cheveux à tel point que qu’il arrachait mon cuir chevelu. Les questions se sont concentrées sur des détails de l’organisation de la mouvance des basistes. J’ai gardé le silence et là, ils se sont tous mis à me tabasser. Ils se sont mis à me provoquer pour m’amener à parler. Comme ils n’ont pas réussi, ils ont repris la torture. Ils ont mis un torchon plein de boue et d’huile de moteurs dans ma bouche. J’ai failli m’étouffer car ils ont continué à me rouer de coups sur la totalité de mon corps surtout sur les parties sensibles. Tout ça était accompagné de provocations verbales et de mots injurieux. Face à mon mutisme, ils m’ont transporté dans la cave, là ils ont trempé ma tête dans un seau d’eau et la torture a continué longtemps à ce rythme. J’ai gardé le silence, ils m’ont alors tiré, ont mis ma tête parterre et ont compressé ma poitrine avec leurs pieds ; ils ont mis encore un torchon plein d’eau de la cuvette des WC sur mon visage et ma bouche. Cette torture a duré plus de six heures non-stop sans que je dise un mot. Ils m’ont alors transporté dans ma cellule. Là, ils m’ont déshabillé encore une fois, et ont refusé de me donner des couvertures avec le temps glacial qu’il fait à cette époque de l’année ; cette séance de torture a perduré pendant tout le temps que j’ai passé au commissariat. Ils me sortaient de ma cellule, j’avais les pieds et les mains ligotées avec les yeux bandés, ils me torturaient et me ramenaient de nouveau dans la cellule. J’avais refusé de parler et mon corps me faisait mal. Tout mon corps était dévoré de douleurs. J’avais les mains et les pieds cassés. Je ne savais pas ce qui était arrivé à mes mains, ils ne m’avaient pas amené à l’hôpital. Je ne pouvais pas bouger et des douleurs aiguës ravageaient mon corps. J’ai refusé de signer leur procès verbal (je ne savais pas ce qu’ils y avaient écrit.) Alors, ils se sont mis à me taper dessus, à me donner des coups de pieds, m’insulter et m’injurier.
Je n’ai pas signé et je ne sais pas s’ils ont signé à ma place.
Est-ce que c’est ça la constitution avancée, la constitution des droits et libertés, la constitution qui garantit les droits de l’homme et les droits des détenus, c’est ce qu’a promis le discours historique du 9 mars ?
Nous étions convaincus de la démagogie de ces étendards et nous ne nous sommes jamais leurrés. Seuls les ennemis du peuple marocain, tous les collabos et traîtres les ont applaudis.
La torture psychologique et physique épuisée, le régime en place a eu recours à d’autres méthodes plus perverses et plus criminelles, me sous-estimant et croyant que tous les marocains sont du bétail. Le régime a même recours à des parlementaires et à des gens qui se prétendent des défenseurs des droits de l’homme et qui ont essayé d’influencer ma famille. J’ignore pour qui ils travaillent.
Dans le cadre de ces pratiques perverses, j’ai reçu, il y a trois semaines, la visite du procureur du roi en présence de mon père. C’était une tentative pour atteindre mon père psychologiquement : ils l’ont convoqué devant le procureur pour me faire du chantage. Ils m’ont promis une bourse permanente comme c’est dû aux étudiants sahraouis. J’ai obtenu le baccalauréat à Esmara dans le Sahara occidental ; j’y ai été scolarisé pendant six ans ; le procureur m’a également promis un droit de visite ouvert à tous mes amis et à tous ceux qui souhaitent me voir ; il m’a promis de me « choyer ». Il est allé loin dans le chantage en me promettant de me trouver un travail stable à condition que je mette un terme à ma grève de la faim , d’arrêter la fronde et de m’éloigner des contestataires.
J’ai refusé et j’ai réitéré ma demande de satisfaire les revendications des étudiants et de libérer les détenus politiques, seules conditions à laquelle je mettrai fin à ma grève de la faim. Il a répondu en s’adressant à mon père « regardez votre fils à qui j’ai voulu du bien , il gâche tout et me le rend en mal ». Mon père lui a répondu : « je préfère que mon fils meure plutôt que de vivre humilié, il sait ce qu’il fait, et si moi-même je faisais des études, j’aurais été avec lui ici en prison ».
Mercredi dernier, le procureur auprès de la cour d’appel de Taza est venu me voir avec d’autres illusions à me proposer ; Il m’a appelé « MONSIEUR ERROUSSI» et m’a demandé de rédiger une demande de grâce, seule solution, selon lui, pour ma libération.
J’ai répondu clairement que je n’écrirai pas de demande de grâce, je ne m’inclinerai pas, je ne baiserai pas leurs pieds pour ma liberté. Je ne solliciterai personne et je ne me soumettrai à quiconque, quelque soit son pouvoir.
Notre cause est juste et légitime. Nous seuls, les militants, nous décidons de nos outils démocratiques pour mener nos combats en face des politiques que mène le régime collaborateur, régime qui est contre les intérêts de la nation, anti-démocratiques et antipopulaires. Il sera toujours l’ennemi historique de notre peuple qui trime et qui, pourtant, souffre de la pauvreté et de la répression.
Jeudi dernier, évanoui, j’ai été transféré à l’hôpital régional « Ibn Bayah » comme ça s’est produit à plusieurs reprises. A mon réveil, j’étais crucifié comme le fut Jésus sur sa croix : ils m’avaient ligoté les pieds et les mains avec huit menottes. J’avais auparavant refusé la perfusion. Pour m’en administrer, ils m’ont ligoté. J’ai alors reçu trente sachets de sérum en soixante-douze heures à l’hôpital ; j’étais sous surveillance très rapprochée. Six personnes alternaient pour me surveiller, m’injurier, m’insulter, me provoquer et m’ajuster les menottes. Ils étaient en extase et jouissaient de leur toute puissance en me demandant « il ne veut pas mourir celui-là encore ! » Ils m’ont en outre envoyé un psychiatre pour me faire douter de mes capacités mentales.
A force d’ajuster mes menottes fortement, mes muscles ont été gravement abîmés et je ne peux plus bouger mes pieds.
Il est clair que le régime est dans l’impasse ; il s’acharne sur moi, en me maintenant en vie sous sérum. Tout ça pour briser ma volonté à mener ma grève de la faim illimitée. Jusqu’à quand le sérum me maintiendra-t-il en vie, jusqu’à quand j’aurai des veines et des vaisseaux sanguins pour continuer à me donner la vie ? Ceci ne durera pas longtemps dans quelques jours ce sérum n’aura plus d’effet ; j’indique aussi qu’on m’a administré des injections dont je ne sais pas l’intérêt ni le besoin. Actuellement, mon état de santé s’est détérioré, j’ai perdu vingt quatre kilos et les derniers jours je vomis et je pisse du sang. Je suis un cadavre couché jour et nuit.
Ce comportement est naturel au régime. Je ne m’attendais pas à des roses de sa part ni de jolis parfums. Ce régime ne peut offrir au peuple que plus d’appauvrissement et de liquidation.
Nous sommes convaincus que notre sacrifice jusqu’au dernier souffle n’est qu’une modeste participation à la libération de notre peuple. Nous offrirons notre vie pour notre cause.
Partant de nos convictions et de nos positions, la prison pour nous est la continuité de la lutte et non un moment de repos. Notre évaluation des expériences des détenus politiques dans notre pays, nous a appris que les quelques concessions que peut accorder le régime ne sont que des tentatives pour nous aliéner et nous dissuader de continuer notre lutte. Nous sommes en phase avec la conjoncture actuelle et nous nous inscrivons dans la voie de nos héros, de nos martyrs, des célèbres grévistes de la faim tel Belhouari, Saïda, Douraïdi,, Chbada…
« Ici nous continuons la lutte, comme disait notre martyr Saïda, pour que personne ne se retrouve demain en prison ».
Notre objectif est d’abord de dénoncer les crimes du régime et sa nature antidémocratique. Nous ne faisons pas de la surenchère politique comme peuvent être accusés tous ceux qui ont comme ambition un changement révolutionnaire.
Loin de toute surenchère, ce sont mes convictions comme militant de la voie démocratique basiste. Je les défendrai jusqu’au dernier souffle. Aucune concession, aucun compromis avec ce régime qui tue, affame, spolie notre peuple depuis plus de cinq décennies, depuis l’indépendance formelle.
De là, je déclare à l’opinion publique nationale et internationale la continuité de ma grève de la faim illimitée jusqu’à la satisfaction des revendications des étudiants et la libération de tous les détenus politiques.
Je salue chaleureusement mes camarades de la voie démocratique à la prison de Ain Kadouss à Fès qui entament leur 28ème journée de grève de la faim. Je salue également les prisonniers politiques et essentiellement les détenus de la révolte de Taza la glorieuse.
Je salue plus spécialement les grévistes de la faim de Taza. Je meurs d’envie de les voir, de les rencontrer, d’échanger des sourires avec eux et leur faire signe de victoire. Malheureusement, mon isolement en cellule, mon état de santé détérioré, mes va et vient entre l’hôpital et la leur isolement aussi, tout ça ne me permet pas de réaliser ce souhait.
Je salue tous les hommes et femmes dignes de ce pays blessé, ses révolutionnaires fidèles et tous les révolutionnaires du monde et des peuples qui se sont soulevés pour la liberté et la justice.
Je vous étreins, mes camarades de la voie démocratique, honorables de ce pays, je vous étreins dans ce long chemin de fidélité à nos martyrs, à notre histoire et à notre pensée de basiste . Oh combien je suis fier d’être de cette école révolutionnaire qui a tenu tête pour arriver à nos objectifs stratégiques : bâtir un régime démocratique au service des intérêts de notre peuple et de son épanouissement, débarrasser l’humanité de l’exploitation de l’homme par l’homme. Je sais, malgré tout, que le chemin est semé d’embûches, qu’il est dur. Je sais encore plus que notre peuple est généreux et qu’il y aura toujours des militants dignes pour continuer la mission. Certains tomberont et d’autres viendront pour continuer ce chemin aux côtés de notre peuple. Nous sommes convaincus de la victoire ;
Je salue toutes mes camarades, tous mes camarades qui luttent contre l’asservissement de notre peuple en ce moment historique du printemps arabe ; nous avons l’honneur de vivre cet instant historique et d’être de ces combattants. Je sais que tous mes camarades et tous ceux qui prennent part à cet instant, vont payer de leur personne afin d’offrir ce qui permettra à notre lutte de se radicaliser et d’avancer. Vous pouvez être fiers d’avoir été aux côtés du peuple dans sa révolte à Taza et dans toutes les régions de notre pays. Je n’omets pas de saluer tous ceux qui m’ont manifesté leur solidarité de près ou de loin, de l’intérieur ou de l’extérieur du pays ; tous ceux qui ont soutenu ma famille, en particulier les étudiants.
J’appelle tous les étudiants de Taza sans exception à participer au boycott des examens décidé le 21/02/2012 jusqu’à satisfaction de nos revendications ; l’essentiel est de satisfaire les revendications. Ma libération n’a pas d’importance, c’est ma conviction. Je vous assure que je continue la grève de la faim tant que nos revendications n’ont pas abouti. La lutte jusqu’à la victoire !
Je ne renonce à rien jusqu’à la mort et je reste optimiste jusqu’au bout. Ce ne sont pas les moyens militaires de pression qui vont vous terroriser ni les pistolets ni les armes des serviteurs du régime, ni même les matraques ni les arrestations qui vont vous faire peur.
Nous avons la foi dans les masses résistantes et militantes au sein du bastion rouge de Taza. Il se pourrait que ce soit la dernière force que j’aurai pour m’adresser à vous.
On est vivant si on mène une vie avec un objectif.
J’appelle les étudiants à boycotter les examens jusqu’à satisfaction des revendications.
Restez, restons toujours fidèles aux luttes jusqu’à la victoire ou la mort !
Probablement le 20/02/2012
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