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mercredi 21 septembre 2011

Taline Moumni: «Zakaria Moumni est en prison pour avoir dénoncé la corruption dans… l’entourage royal»


par Aziz Enhaili, Chroniqueur de Tolerance.ca, 20/9/2011

Zakaria Moumni est un sportif professionnel (31 ans). Ce marocain était champion du monde de Light Contact Senior à 19 ans seulement. C’est le seul Arabe titré dans cette discipline de la Boxe Thaïlandaise lors des Championnats WKA (World Kick Boxing Association) de Malte en 1999. Jusqu’à son arrestation en 2010 et son incarcération depuis, suite à un procès expéditif, il résidait en France, lieu d’exercice de son métier de coach sportif. Nous nous sommes entretenu avec son épouse, Taline Moumni.


Tolerance.ca: Qu’est-il arrivé à M. Zakaria Moumni lors de sa dernière visite au Maroc en septembre 2010? Et qu'était-il allé faire là-bas?
Taline Moumni: À sa descente d'avion à l'aéroport international de Rabat-Salé, le lundi 27 septembre 2010, Zakaria Moumni a été enlevé par la police secrète marocaine. Il avait initialement prévu de profiter d’un séjour de deux jours pour demander à la Fédération royale marocaine de Kick Boxing de lui accorder l’autorisation de représenter son pays aux Championnats WKA qui devaient commencer en octobre à Édimbourg en Écosse. Avant même l’accomplissement des formalités de douane, il a d’abord été conduit par des policiers de l'aéroport dans un bureau et ensuite emmené par des policiers en civil (des membres de la DGED et de la DST) dans une voiture banalisée qui l'attendait sur le tarmac de l'aéroport. On lui a bandé les yeux.

Pour le soustraire aux regards d’éventuels curieux, on l'a fait coucher dans une voiture banalisée et recouvert d'une veste. Une fois dans un endroit inconnu, on lui a ligoté les pieds et les mains et on a commencé à le battre et on lui a ôté ses vêtements et on s’est relayés pendant quatre jours et trois nuits pour le frapper sur les tibias et lui électrocuter les jambes. Durant cette période, il était constamment attaché à une chaise et ne pouvait ni se mettre debout ni se coucher. Il avait les yeux bandés.

Ni sa famille au Maroc, ni moi, son épouse restée à Paris, n'avons eu de nouvelles de lui avant le jeudi 30 septembre. C’est au cours de cette nuit qu’il nous a enfin appelés de la prison de Salé, tout affolé. On a alors appris qu’on l’a torturé à Temara, avant de l’emmener devant un juge qui lui a appris que deux hommes avaient porté plainte contre lui pour escroquerie.

Ce n'est que le vendredi 1er octobre que la famille Moumni a su ce qui était arrivé à Zakaria, grâce à Me Abderrahim Jamaï, l’avocat engagé par elle pour le retrouver. Elle a aussi appris qu'un procès sans plaignants et sans avocat pour le défendre avait eu lieu le jeudi 30 septembre et à l'issue duquel il a été condamné à trois ans de prison ferme pour escroquerie. Ce jour-là, le 1er octobre, Me Jamaï a pu pour la première fois le voir à la prison de Rabat.

Durant sa séquestration dans un lieu tenu secret, à Temara, on lui répétait à satiété: "Tu es à l'abattoir des hommes". Autour de lui, que des hurlements de gens qui criaient. On n’arrêtait pas de le torturer psychologiquement, en lui répétant sans cesse : «On va te faire mourir ici. Tu vas voir, on va te faire mourir. Ici, on va t'égorger et personne n'en saura rien».

Tolerance.ca: Que lui reproche-t-on officiellement?
Taline Moumni: Il aurait promis à deux Marocains des contrats de travail en Europe en échange d’une somme d'argent et les aurait escroqués en prenant l'argent (14 000 Dirhams par personne; soit 1400$, NDLR) sans honorer son engagement. On a condamné mon mari le lundi 4 octobre à trois ans de prison ferme pour escroquerie. Mais si les plaintes datent du 26 janvier 2010, la date des allégations figurant dans le procès verbal est quant à elle illisible.

Tolerance.ca: Pourquoi s'en est-on pris à lui?
Taline Moumni: Si Zakaria a été enlevé, torturé et condamné arbitrairement à la détention au Maroc, c’est parce qu’il est victime d'un règlement de comptes et d'une vengeance personnelle.

Depuis 1999, il réclamait au Ministère de la jeunesse et des sports un poste d'entraîneur ou d’éducateur au sein de la Fédération sportive royale conformément à un décret royal (dahir n°1194-66 fait le 9 mars 1967) qui accorde à chaque sportif de haut niveau titré champion du monde un tel droit. D’ailleurs, d’autres sportifs, moins méritants, en ont joui.

Voyant le caractère vain de ses démarches auprès de sa Fédération et de son ministère de tutelle, il s'est adressé au Palais royal. Sa détermination lui a permis d'être reçu en 2006 au Palais de Méchouar-Touarga à Rabat par Mohamed Mounir Majidi, le Directeur du Secrétariat personnel du roi Mohammed VI. Il lui a alors dit une phrase qui l’a marquée: «Tu sais, le premier Marocain qui a gagné une médaille, c'était une médaille d'argent aux jeux olympiques en 1960. Il a vécu toute sa vie pauvre et il est mort pauvre». Mais tout en l’assurant que, conformément à un ordre royal, c’est lui, Majidi, en personne qui s'occupera de son dossier et qu'il obtiendra enfin ses droits et sera lavé de toutes les années d'injustice qu'il avait vécues. Il a conclu en lui disant qu'il le rappellera dans les 10 jours. Mais ne voyant rien venir trois semaines plus tard, Zakaria rappelle le secrétariat de M. Majidi et se voit répondre que celui-ci lui interdit formellement de le rappeler sous peine d'avoir «des problèmes». En guise d’autodéfense, mon mari a réclamé réparation de l'injustice dont il a été victime, tout en critiquant publiquement dans des médias marocains et français les personnes qu'il estimait à l'origine de la privation de ses droits. Il s’est aussi rendu devant la résidence privée en France de Mohamed VI pour demander audience.

Au lieu d’être reçu à cette occasion, lui le champion du monde, par le «roi du peuple», il s’est fait insulter par la sécurité royale, en présence de gendarmes français, et menacé physiquement: «s'il était au Maroc, les gendarmes ne l'auraient pas protégé et on lui aurait fait "la peau"». C'est parce qu'il a exprimé ses griefs jusque sous les fenêtres de cette résidence royale et en sollicitant audience auprès de Mohamed VI par l’intermédiaire de personnes chargées de la sécurité royale qu'il est aujourd’hui victime de cette vengeance.

Au lieu de lui donner gain de cause, toutes les portes s’étaient fermées devant lui. À titre d’exemple, la Fédération royale marocaine du Kick-Boxing lui a interdit en 2001 de participer aux championnats internationaux après qu’il ait exprimé son mécontentement et dénoncé dans des médias marocains et arabes la corruption, l’affairisme et les pratiques mafieuses gangrénant cette institution. Mais tout en insistant auprès de personnalités très influentes pour obtenir son droit, il n’avait pas hésité, en désespoir de cause, à les accuser publiquement de l’en avoir dépouillé.

Si mon mari est en prison aujourd’hui, c’est d’abord et avant tout parce qu’il a osé exprimer dans les medias ses griefs à l'égard de personnalités puissantes et dénoncer la corruption d’abord dans le milieu qu’il connait le mieux, à savoir la Fédération royale de Kick-Boxing, ensuite au sein du Ministère des sports et enfin dans l'entourage très proche du roi. Il l’a fait à visage découvert.

Tolerance.ca: Comment s'est déroulé le "procès" de Zakaria Moumni?
Taline Moumni: Lors de sa garde à vue, mon mari a été torturé dans un lieu tenu secret, sans pouvoir informer sa famille durant quatre jours. Les policiers lui ont alors offert de le libérer s'il signait une promesse de cesser de s'approcher de la résidence du roi. Quand il a voulu lire ce qu'on voulait lui faire signer, ils ont continué à le battre. C’est les yeux bandés et sous la menace physique qu’il a été contraint de signer des documents qu'il n'a jamais été autorisés à voir.

Le 30 septembre, les autorités l’ont présenté devant un substitut du procureur rattaché au Tribunal de première instance de Rabat. Il n'avait donc su qu'après quatre jours de torture le motif de son enlèvement et de sa séquestration. Le magistrat lui a alors lu l’acte d’accusation et l'a interrogé sur le contenu de sa déposition au procès-verbal de la police datée du 29 septembre dans laquelle il ‘‘avouait’’ avoir escroqué deux Marocains en leur soutirant à chacun 1400$, en échange de la promesse de leur trouver du travail en Europe. Mon mari a évidemment nié les accusations, comme l'indique d'ailleurs le procès-verbal de l'audience. Le procès-verbal énonce aussi qu’il aurait renoncé à son droit à être représenté par un avocat...

Puis, il a été présenté, sans avocat de défense, devant un juge présidant un procès expéditif. Zakaria lui a répété qu'il ne connaissait pas le nom des deux plaignants, lui a dit qu’il a été torturé et lui a demandé qu'on le laisse appeler sa famille (sans nouvelles de lui depuis quatre jours) et un avocat. Mais tout en rejetant toutes les demandes de mon mari, le juge n’a cité à la barre aucun témoin. Même les prétendues ‘‘victimes’’ ou leur avocat n’étaient pas présents. Aussi, ni la déclaration de Zakaria à l’effet qu’il a été torturé ni sa demande d’ouverture d’une enquête judiciaire là-dessus n’ont incité ce juge à ouvrir une enquête! Malgré les faiblesses du dossier d’accusation, mon mari est déclaré coupable. Ce qui a valu à cette décision inique et à la torture que Zakaria avait subi un concert d'indignations de la part d’organisations des droits de l’homme, telles l'AMDH, l'ASDHOM, Amnesty International, Human Right Watch.

L’avocat de mon mari, Me Jamaï, a fait appel du jugement rendu le 4 octobre 2010.

Après deux reports successifs, dus au fait que les soi-disant plaignants ne se sont jamais présentés aux audiences, la cour d'appel de Salé a finalement entendu l'appel le 13 janvier 2011, date à laquelle elle n'a pas cité lesdits plaignants à comparaître, ni l'agent de police qui avait, disait-on, pris leur déposition le 29 septembre 2010. Comme lors du procès en première instance, l'avocat désigné par les plaignants dans leur plainte n'était pas présent. Aucune explication claire n'a été fournie non plus sur l'absence des plaignants. Alors qu'ils accusent Zakaria d'escroquerie, ils ne se sont jamais présentés pour réclamer leur soi-disant dû ou pour le confronter! C’est pour cela que l’avocat de mon mari a mandé un huissier de justice pour les retrouver et a découvert que l'un des soi-disant plaignants était inconnu à l'adresse indiquée dans le procès-verbal de la Police. D’ailleurs, le juge n'a jamais fait le moindre signe pour les faire venir une seule fois au tribunal!

Même si Me Jamaï a mis en relief tous les vices de procédure et les fautes de preuves, le Tribunal a quand même réaffirmé la culpabilité de mon mari, tout en réduisant sa peine à deux ans et demi. Un verdict basé sur des ‘‘aveux’’ extorqués par la police sous la contrainte excessive et la torture et des documents signés par l’accusé les yeux bandés et pourtant jugés ‘‘crédibles’’.

Zakaria Moumni est aujourd'hui un prisonnier politique de fait.

Tolerance.ca: Faites-vous encore confiance à la justice marocaine pour rendre justice à M. Moumni?
Taline Moumni: Aujourd'hui la nouvelle Constitution prévoit de garantir l'indépendance de la justice et l'a consacré dans nombre d'articles. J'attends avec impatience le 2e procès en appel de mon mari. En effet, la Cour suprême marocaine a cassé le 29 juin 2011 l'arrêt en appel du 13 janvier qui avait maintenu la culpabilité de Zakaria (seul procès pour lequel il a eu droit à un avocat de défense, Me Jamaï). Mais la saisine du Conseil national des droits de l'Homme, qui a été constitutionnalisé récemment, est restée vaine.

J'espère que mon mari ne sera pas oublié par le mouvement de justice qui souffle aujourd'hui sur le Maroc.

Tolerance.ca: Qu'attendez-vous de l'opinion publique marocaine et internationale dans ce cadre?
Taline Moumni: Je remercie pour son soutien le collectif créé pour Zakaria (www.liberez-zakaria-moumni.org) et qui comprend de nombreuses ONG et organisations convaincues de son innocence. Aussi, plusieurs titres de la presse grâce au soutien desquels mon combat pour la libération de mon mari trouve un large écho auprès de l'opinion publique marocaine et internationale. Sans oublier le soutien officiel de M. Vincent Peillon, député et membre de la commission des Affaires étrangères du Parlement Européen.

Je compte beaucoup sur l’appui de l’opinion publique marocaine et internationale pour me soutenir dans mon combat pour libérer mon mari Zakaria.

Entrevue réalisée par Aziz Enhaili pour Tolerance.ca®.
http://www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=118150&L=FR

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