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vendredi 8 juillet 2011

Maroc : où est le changement ?


Auteur anonyme,Mamfakinch, 3/7/2011


Ni révolution, ni rupture au Royaume des ouiouistes : le 1er juillet restera un jour historique où le Maroc a rendu hommage aux années les plus frauduleuses de son passé. Le projet de Constitution, « fait par les Marocains, pour les Marocains » a été adopté à plus de 98% des suffrages exprimés, avec un taux de participation qui avoisinerait les 72%. Le scrutin, qui devait être l’avènement d’une nouvelle ère démocratique marocaine, fut la démonstration exemplaire d’une manipulation que la monarchie opère depuis déjà plusieurs mois.

Celle-ci a débuté dès le 10 mars dernier, alors que Mohamed VI nommait la « Commission Mennouni » pour élaborer une révision constitutionnelle profonde, censée mener le Royaume vers plus de libertés et de démocratie. C’est cette commission, constituée de 19 membres, qui a représenté les Marocains et s’est réunie à huit-clos pour débattre, en privé, de l’avenir du pays. Elle se targuera par la suite d’avoir reçu des centaines de mémorandum, principalement des partis politiques, dont on se demande ce qu’ils représentaient, étant donné qu’ils disposent encore de très peu d’ancrage local et de popularité. Les travaux de la Commission consultative de la révision de la Constitution (CCRC) se sont alors déroulés entre quatre murs durant plusieurs mois, pendant que dehors, les membres mouvement du 20 février continuaient à se faire tabasser en manifestant contre le processus d’élaboration d’une Constitution imposée.

Le verdict fut rendu le 17 juin dernier : une Constitution octroyée par le bon vouloir de Sa Majesté, qui nomme un pouvoir Exécutif (elle en constitue elle-même un second), peut dissoudre comme elle l’entend le Parlement, et est à la tête du tout nouveau pouvoir Judiciaire. Cette stricte concentration des pouvoirs est intelligemment dissimulée par l’article premier, qui stipule que « Le régime constitutionnel du Royaume est fondé sur la séparation, l’équilibre et la collaboration des pouvoirs ». On a ainsi pu regretter que de nombreux journalistes, chercheurs et politiciens, avant de se lancer dans l’éloge de la séparation des pouvoirs, ne se donnent pas la peine de se rendre à l’article 115 où il est pourtant clairement écrit que « Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire est présidé par le Roi » (pour ne citer que cet exemple).

Avant d’être rendu public, le projet passe d’abord entre les mains du Souverain, où il subit quelques modifications. Interrogé sur l’ampleur de ces changements, Abdeltif Mennouni répondra « Il y a eu des changements dans le texte (…) mais je ne pense pas que les modifications apportées soient illégitimes et en tout état de cause, le texte proposé au référendum présente de grandes avancées par rapport à celui de 1996 » (comprendre : le Roi a apporté ses propres modifications, mais quoiqu’il en soit, le texte final est toujours mieux que rien).
La campagne référendaire pouvait alors commencer.

Celle-ci s’inscrit dans la continuité des changements en cours : elle est anti-démocratique, hypocrite, et parfois mensongère. Appuyée par une presse majoritairement à la solde du régime, elle s’est faite en dix jours, une période extraordinairement courte qui permet d’éviter toute discussion sérieuse sur le projet. Dix jours pendant lesquels se multiplieront dans la presse et les médias les éditoriaux, interventions et prises de positions en faveur du projet. On n’hésitera d’ailleurs pas à faire dans le grandiloquent : le 18 juin, un éditorial du Matin félicitera le Roi qui a anticipé « une évolution qui est au Maroc de ce troisième millénaire ce que la Révolution copernicienne fut à l’humanité. »

En dix jours, les gros titres marocains ont pu couvrir la planète : faisant intervenir les Marocains de Montréal, de Bruxelles, de Shanghai et de Rome, tout est fait pour montrer le consensus et l’adhésion internationale dont bénéficie le projet. Comme si cela ne suffisait pas, l’on rajoute en grandes pompes les salutations des chefs d’Etats et de gouvernements, celles du président Sarkozy par exemple, qui salue des « avancées capitales » et une stricte séparation des pouvoirs (que l’on cherche toujours…).

Dix jours également pour faire le tour de la scène politique et syndicale marocaine, acquise (à l’exception de trois partis politiques) également au projet. Ses principaux acteurs se satisfont de voir leurs mémorandum pris en compte dans un projet qui reste pourtant insuffisant sur bien des points. Trahissant là le manque de ligne politique claire qui caractérise la majorité d’entre eux, les partis politiques n’ont plus qu’à se faire porte-paroles de Sa Majesté, à qui ils n’ont jamais su dire « non ».

Dans toute cette fanfaronnade d’hypocrisie, même les plus grands centres de recherche et chercheurs, notamment de l’autre côté de l’Atlantique, loueront un projet démocratique qui répond, selon eux, aux aspirations de peuple marocain, sans chercher à faire preuve du moindre sens critique.

Ceux qui oseront monter la voix contre le projet seront limités à le faire sur les blogs et sites internet. Dans la rue, ils seront vite stoppés par les « chmakrias » et « baltagias » payés par le régime pour circuler dans les rues armés de sabres et de couteaux, arborant fièrement les drapeaux du Royaume et les photos de Mohamed VI.

Le jour du vote, beaucoup ont en mémoire le discours du Roi du 17 juin dernier, dans lequel celui-ci a fait du vote en faveur du projet un « devoir national » (et religieux). Le référendum, censé consacrer la nouvelle démocratie marocaine, se transforme alors en un plébiscite pour ou contre la monarchie. Le Roi réussit à créer un débat qui n’avait jamais existé au sein de la société marocaine, puisque personne n’a jamais remis en cause la légitimité monarchique du Royaume chérifien. Il n’est alors plus question d’adhérer au projet de Constitution, mais bien plutôt de porter secours à Sa Majesté, menacée par les « extrémistes » du 20 Février.

Sur le terrain, rien n’est oublié pour s’assurer une victoire absolue : on embarque les « citoyens » les plus indécis dans des bus à destination de bureaux de vote où ni pièce d’identité, ni carte d’électeur, ni signature ne seront demandées (le taux de participation, lui, sera fixé on ne sait comment, pourvu qu’il ne soit pas trop faible). Quant aux imams, ils ont tous reçu des « instructions » afin d’appeler les fidèles à accomplir la volonté d’Allah en votant « oui » (phénomène qui se répandra jusque dans les mosquées belges).

Quel sens donner donc au vote ? Difficile d’analyser des résultats dont on ne peut établir la fiabilité. De nombreux témoignages publiés tout au long de la journée sur les blogs et sur Facebook font état de bureaux de vote vides, bureaux auxquels les journalistes n’avaient même pas accès.

Ce vendredi premier juillet, une grande majorité de ceux qui se sont exprimés pour le « oui » ont dit oui à leur Roi. La plupart a répondu à son appel du 17 juin, dans lequel la seule chose qu’ils ont retenu c’est qu’il fallait voter « oui », même sans savoir pourquoi. D’autres, dont le chiffre est difficilement estimable, ont voté oui en leur âme et conscience, parce qu’ils croient au potentiel de la nouvelle loi fondamentale, et font le pari d’un avenir démocratique. Quant à ceux qui ont voté non, ils se retrouvent noyés, avec les abstentionnistes et ceux qui ont boycotté le scrutin, aux oubliettes. Finalement, le nouveau texte de référence du régime marocain est entériné dans de biens funestes circonstances.

Conclusion : quel changement pour un Maroc en crise ?

Si rupture il y a eu, elle ne s’est pas produite le 9 mars, ni le 17 juin, encore moins le 1erjuillet. La rupture a été celle de mois de débats et de (re)politisation, de la jeunesse d’abord, et de beaucoup de Marocains ensuite. Ceux-ci ont ainsi renoué avec la politique, se sont retrouvés dans des cafés pour débattre de l’avenir de leur pays, débats qui ont divisé des amis, des familles. Là est le réel changement, là est l’espoir démocratique du Maroc. Si des médias, tels que Medi1 ou SNRT, se sont démarqués par des programmes et débats télévisés relativement équilibrés lors de la campagne référendaire, la floraison de journaux internet indépendants et des blogs donne espoir quant à l’émergence de médias « libres » en mesure de constituer un contre-pouvoir prometteur. Ainsi, Mamfakinch, Lakome, Goud, ou Demain ont permit de donner une plateforme d’expression remarquable à de nombreux jeunes et moins jeunes, qui ont pu dévoiler les scandales et exactions que le Makhzen continue de commettre.

Si le Palais royal semble avoir réussi son tour de passe-passe constitutionnel, on lui accordera volontiers d’avoir compris que le Maroc avait besoin de changement. Mais une Constitution ne fait pas le printemps. Ce dont le Royaume a besoin, c’est d’un nouveau pacte social, qui saura réconcilier toutes les franges de la société marocaine. On peut alors se satisfaire de plusieurs instances de la société civile et acteurs politiques d’avoir compris le réel défi qui attend le Maroc, qui est celui de l’engagement personnel de chaque Marocain à œuvrer pour l’avenir économique, politique et social de son pays. Si la nouvelle Constitution donne suite à une mobilisation générale des acteurs politiques et des citoyens au sein des institutions, syndicats, conseils, instances et associations du pays, alors peut-être aura-t-elle le mérite d’avoir avivé chez davantage de Marocains la conscience qu’ils ont leur mot à dire, et leur pierre à poser dans l’édifice.

Ce texte nous a été adressé par un lecteur anonyme. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Mamfakinch.

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