Propos recueillis par Saïd AFOULOUS, entretien avec Rachida NOUAÏM, spécialiste en agroforesterie, l'Opinion, 19/8/2010
Rachida Nouaïm, Professeur universitaire Chercheur, spécialiste en agroforesterie, avait travaillé et travaille toujours depuis 1988 sur l’arganier dans le cadre de ses études à l’Université d’Agadir. Elle avait obtenu un doctorat d’Etat autour du même sujet en 1994 et est auteur de l’ouvrage « L’Arganier au Maroc entre mythe et réalité, une civilisation née d’un arbre » (L’Harmattan, 2005). Ses recherches avec Rémi Chaussod, directeur de recherche à l’INRA France, expert agronome, se sont orientées vers la plantation de l’arganier. Des recherches qui ont donné des fruits.
Alors que dans le passé l’arganier replanté ne survivait pas, échecs constatés jusqu’en 1998 !, les recherches conduites ont permis de dévoiler les causes réelles des échecs qui ne sont pas dues à l’arbre et aujourd’hui plusieurs vergers sont nés grâce aux résultats des recherches. Aujourd’hui on se réjouit : les arganiers plantés à Massa, Doukkala, Sahel et Benslimane ont déjà fleuri et ont donné des fruits ! Plusieurs exemple frappants, de quoi convaincre les plus sceptiques. C’est dire que la porte de l’avenir de l’arganier est ouverte dans le cadre d’un véritable développement durable.
Dans l’entretien suivant Rachida Nouaïm nous livre les résultats des recherches menées depuis 1988 à aujourd’hui pour replanter l’arganier.
- Au début de vos recherches sur l’arganier, quel a été le résultat de l’état des lieux des travaux scientifiques sur l’arbre ? Partiez-vous vraiment d’un terrain presque vierge ?
-Quand j’ai commencé en 1988, il n’y avait pratiquement pas de travaux scientifiques, mises à part quelques thèses sur la production des arganeraies et sur l’huile d’argane. En tout cas il n’y avait rien sur l’arbre lui-même. J’ai publié une analyse bibliographique en 1991 sur le sujet, année où j’ai co-organisé avec Rémi Chaussod et à l’aide du ministère des Affaires étrangères français, le premier colloque international sur l’arganier. Nous avons organisé ce colloque à la faculté des sciences d’Agadir, nous avons regroupé de nombreux chercheurs marocains et étrangers susceptibles de s’intéresser à l’arganier. Ce colloque a été le point de départ de nombreuses études. Nous avons co-dirigé ensuite une équipe pluridisciplinaire franco-marocaine sur l’arganier qui a travaillé sur différents aspects, y compris l’effet de l’huile sur la santé de l’homme.
- Vous dites que durant «l’époque de 1990 à 1998 aucune transplantation (reboisement) forestière de l’arganier n’avait réussi». Que doit-on comprendre au juste? Faut-il comprendre que jusqu’à 1998 tout essai de replantation d’arganier était réduit en échec?
-En effet tous les essais de reboisement étaient des échecs. Des dizaines de milliers de plants d’arganier étaient produits dans les pépinières forestières, mais tous finissaient par mourir un ou deux ans après la transplantation sur le terrain. C’est d’ailleurs à cause de ces échecs que les gens avaient fini par penser qu’on ne pouvait pas replanter des arganiers.
- Quelle est la raison de ces échecs ?
-Pour comprendre les problèmes de transplantation, nous nous sommes intéressé d’une part au système racinaire des plantules et d’autre part aux symbioses mycorhiziennes. Nos études ont permis d’expliquer qu’en grande partie ces échecs sont liés à une mauvaise gestion du système racinaire. La croissance des racines de l’arganier est très rapide, 1 à 2 centimètres par jour. Quand une plantule mesure 10 cm, ses racines dépassent un mètre en profondeur. A cette époque les arganiers étaient produits en pépinières forestières à l’aide d’un système de mottes compactes. Au moment de la transplantation les racines de la plantule sont sérieusement amputées. D’ailleurs les pépinières forestières ont dernièrement abandonné la production de plants d’arganier dans des mottes pour adopter des sachets.
L’amélioration de la reprise des plantules peut aussi se faire par une bonne gestion des symbioses racinaires. Au moment de la transplantation, ces champignons peuvent éviter le stress hydrique à la plantule. Le mycélium s’étend beaucoup plus vite que les racines et peut explorer des volumes de sol plus importants et compenser au moins en partie l’effet de l’arrachage des racines. Nous avons trouvé que l’arganier porte des endomycorhizes et nos expérimentations ont révélé que l’arganier est très dépendant de la symbiose mycorhizienne. C’est-à-dire qu’il se développe mal ou pas du tout en absence de ses champignons mycorhiziens. Or, les techniques de production de plants d’arganier en pépinière défavorisaient cette symbiose.
- Vous dites que c’est la première fois qu’on produise au Maroc des plants mycorhisés. Si vous explicitez un peu pour le profane en indiquant de manière aussi simple que possible les progrès réalisés dans le domaine de la replantation en général depuis les années 80?
-Les mycorhizes sont des associations symbiotiques entre les plantes et des champignons du sol. Au moment de la transplantation (passage de la pépinière sur le terrain), le jeune plant subit de nombreux stress (stress hydrique, sensibilité aux maladies...). Un plant mycorhizé en pépinière a plus de chance de se développer après sa transplantation. Dans la nature, la plupart des plantes sont mycorhizées, mais leur croissance dépend plus ou moins de cette symbiose. Nous avons montré que l’arganier est très dépendant de cette symbiose. Dans la nature, il existe aussi de nombreuses espèces de champignons mycorhiziens dans le sol, mais leur efficacité dans la croissance et la protection des plantes est différente. Un plant transplanté peut être mycorhizé de façon naturelle, mais pas forcément par un champignon efficace. Par ailleurs, le champignon choisi pour mycorhizer un plant a d’autant plus de chance d’être efficace et de se maintenir dans le sol parce qu’il est originaire de ce sol.
Nos travaux sur les champignons mycorhiziens des arganeraies nous ont permis de choisir des champignons très efficaces et de mettre au point les techniques de multiplication des ces champignons pour en faire un inoculum utilisable en pépinière. Nous avons également mis au point les techniques d’inoculation (mycorhization) des plants produits en pépinière.
Nous avons ainsi établi les étapes de production de plants d’arganier de haute qualité en pépinière. Nous en avons produit quelques milliers dans une pépinière expérimentale mise en place à cet effet. Il faut signaler que nous avons aussi amélioré les conditions de plantation, utilisation de systèmes d’irrigation en profondeur, protections individuelles des jeunes plants…
Ces techniques utilisées ensemble ont d’ailleurs fait leurs preuves dans nos expérimentations de plantation sur le terrain.
- A lire les résultats de vos travaux on se rend compte qu’on est passé, tout au long des deux dernières décennies d’une préoccupation pour le reboisement d’une arganeraie rétrécie comme une peau de chagrin à une préoccupation de création d’exploitations d’arganiers. Justement vous semblez résumer cette évolution en parlant du « passage de l’arganier arbre forestier à l’arganier arbre oléagineux ». On peut se demander s’il ne s’agit pas d’un glissement du domaine public (la forêt) au domaine communautaire (village) où les habitants auraient un droit plus élargi sur l’arbre et seraient de ce fait même plus motivés à le protéger dans le sens du développement durable ?
-D’abord, n’oublions pas que les arganeraies, bien qu’elles soient un milieu forestier» sont habitées (et l’ont toujours été) et toute action dans ces milieux doit prendre en considération les populations, donc les gens qui y habitent.
Il ne s’agit pas de remplacer des cultures rentables ou d’occuper des terres fertiles par l’arganier, mais de l’utiliser pour «végétaliser» des zones pauvres presque à l’abandon. Ce sont en fait les résultats de nos travaux et une meilleure connaissance des attentes des usagers qui ont fait évoluer notre point de vue. Si au départ on se préoccupait de sauvegarder l’arganier et d’apporter une solution aux échecs de transplantation, la mise au point de la multiplication végétative de l’arganier nous autorise à penser que nous pouvons améliorer les systèmes agroforestiers traditionnels à base d’arganier pour qu’ils répondent à la demande actuelle et pour qu’ils permettent le développement des zones rurales. Nous avons montré qu’il est possible de produire par multiplication végétative des plants d’arganier totalement conformes au pied-mère. Ceci ouvre la possibilité de produire en grand nombre des arganiers sélectionnés.
Nous nous sommes ensuite posé la question relative au type d’arganier qu’il faudrait replanter et nous avons fait le choix de répondre d’abord aux souhaits et besoins des populations. Nous avons travaillé sur la sélection d’arbres « PLUS » jugés intéressants par les populations des arganeraies. Après plusieurs années d’enquêtes sur le terrain, il s’avère que le seul critère connu et reconnu par les usagers des arganeraies est la facilité de cassage des noix.
Et si comme on dit souvent la «meilleure façon de protéger un arbre c’est d’en faire un arbre qui rapporte», nous avons aussi montré qu’on peut non seulement améliorer la production, la plantation des arganiers, mais qu’on peut y associer des plantes à haute valeur ajoutée pour augmenter le revenu «LOCALEMENT»
Quant au glissement du domaine public au domaine communautaire, ce sont les sociologues et les juristes qui peuvent en juger. Nous pensons seulement que pour le développement de la région, il faudrait penser l’espace « arganeraies » autrement. Il faut définir des zones différentes selon leurs conditions pédo-climatiques, mais aussi socio-économiques. Les solutions (ou les cultures) à adopter ne seront pas les mêmes selon qu’on s’adresse à une plaine fertile, à la région d’Aït Baha ou celle d’Argana. On pourrait ainsi définir : des zones de forêts protégées, nécessaires pour conserver la grande variabilité génétique de l’arganier et l’exceptionnelle biodiversité des arganeraies. Des zones intermédiaires où les usagers ont des droits et où l’arganier peut être réhabilité (par des reboisements type forestier). Enfin, des zones favorables (et qui sont déjà cultivées) où le système agroforestier traditionnel peut être amélioré. Cette notion a été, en partie, retenue par les forestiers qui ont un programme de « zonage » pour définir des zones d’action différentes.
- On aurait commis des erreurs contre l’arganier millénaire en plantant, à ses dépens, en l’arrachant, des arbres fruitiers qui exigent gaspillage d’eau. Mais n’y a-t-il pas à craindre pour l’introduction de « plantes accompagnatrices » importées que vous pensez bonnes pour l’exploitation agricole entre les arganiers et qui pourraient éliminer des plantes traditionnelles du terroir, soit un bouleversement qui ressemble à celui produit par les arbres fruitiers?
-Très bonne question. Il ne s’agit absolument pas de remplacer des plantes autochtones par des plantes introduites. Nous avons souvent regretté l’arrachage des arganiers pour mettre en place des cultures intensives, essentiellement parce que les conditions du milieu ne s’y prêtaient pas. La plaine du Souss a un climat aride où les sols sont superficiels et les apports d’eau réduits. La culture intensive telle qu’elle a été pratiquée pendant des décennies ne prenait pas en considération ces données. Elle était favorisée par des températures clémentes et était rentable tant qu’on pouvait pomper l’eau dans la nappe phréatique à des profondeurs raisonnables. Bien sûr qu’elle a largement participé à l’économie de la région, mais ce n’est pas ce qu’on peut appeler une « agriculture durable ». Nous ne sommes pas contre la culture, mais l’agriculture intensive telle qu’elle est pratiquée actuellement n’est pas durable. Nous prônons une agriculture respectueuse de l’environnement. Nous pensons qu’au lieu de bouleverser complètement le système « agroforestier » traditionnel à base d’arganier, il faut l’améliorer pour qu’il réponde aux demandes actuelles.
Notre objectif ce n’est pas d’introduire des plantes nouvelles, mais c’est d’augmenter les revenus d’une parcelle. Nous avons sélectionné pour nos premiers essais de terrain des plantes étrangères pour lesquelles une forte demande internationale existe, mais ceci n’exclut pas des plantes autochtones. Notre choix prend aussi en compte l’acceptabilité sociale d’une plante et peu de plantes à haute valeur ajoutée originaires du Maroc sont actuellement disponibles.
Nous avons par exemple testé les plants de vigne pour produire des raisins secs sans pépins, dans la région de d’Essaouira. Premièrement parce que la culture de la vigne est une tradition dans cette région. Ensuite parce qu’il existe une forte demande pour ce produit aussi bien au Maroc qu’à l’étranger. Enfin parce que le conditionnement d’un tel produit peut générer du travail localement.
Les plantes « associées » ne sont pas destinées aux forêts d’arganier, mais bien aux parcelles cultivées. Nous insistons toujours sur la nécessité de maintenir la diversité génétique de l’arganier, mais aussi de toute la flore autochtone marocaine.
- En ayant un aperçu sur vos travaux on se rend compte donc qu’il y a eu évolution qualitative entre d’une part le souci de reboisement de l’arganier fin des années 80 et d’autre part la plantation d’un arganier qui donnerait plus d’huile et un fruit à coque occasionnant moins de labeur pour les femmes au cours de l’opération de concassage. Mais l’on ne peut s’empêcher de craindre les effets pervers : par exemple la peur de l’uniformisation avec l’installation d’une variante d’arganier qui ne serait pas naturellement viable. Un bien peut renfermer un mal.
- Nous parlons « d’amélioration » et de « domestication » de l’arganier pour améliorer le rendement et donc les revenus des usagers. L’amélioration ou la domestication de l’oranger ou de l’olivier a demandé des centaines, voire des milliers d’années. Ce sont les biotechnologies modernes qui nous permettent de gagner énormément de temps et d’envisager la domestication de l’arganier sur quelques années.
Les arganiers à coque facile à casser existent dans les arganeraies. Ils sont plus ou moins nombreux selon les régions, mais sont importants pour tous les usagers. Il ne s’agit pas d’introduire une variété nouvelle. Ce sont des spécimens qui existent déjà qui sont sélectionnés pour être multipliés en grand nombre. Nous insistons pourtant sur le fait qu’il faut utiliser une large base génétique et non pas un seul clone ou un faible nombre de clones.
- Comment scientifiquement en êtes-vous venue à prouver la possibilité de replantation de l’arganier en dehors de son fief Essaouira-Taroudant-Agadir ? Autrement dit, quelles sont les conditions de replantation qui permettent la viabilité de l’arbre ?
-Ce sont d’abord les connaissances que nous avons acquises sur la biologie de l’arganier, puis les analyses bibliographiques qui nous permettent de savoir qu’il n’y a pas de problème à introduire (ou ré-introduire) l’arganier hors de son aire naturelle actuelle. L’arganier occupait des zones plus larges au Maroc. Il a été planté avec succès dans la région de Rabat dans les années 60. Il en existe une plantation dans la région de Doukkala. Il a été introduit en Tunisie, Espagne et Israël. J’en ai planté à Settat, là où les conditions sont difficiles et il s’est bien installé et produit des fruits chaque année.
Notre pensons en effet que l’arganier peut contribuer au développement de certaines zones «marginales» au Maroc. Il ne s’agit pas de remplacer des cultures «rentables» ou d’occuper des terres fertiles par l’arganier, mais de l’utiliser pour «végétaliser» des zones pauvres. Nous avons effectivement effectué des plantations dans différentes régions. Le taux de réussite de ces plantations est très élevé et les premières fleurs et fruits sont apparus 3 années après la plantation. Ceci prouve qu’on peut introduire l’arganier dans ces zones et qu’il se comporte comme n’importe quel arbre fruitier.
Signalons que c’est grâce à des passionnés de l’arganier et dans le cadre d’initiatives privées, que nous avons effectué ces plantations. C’est le cas pour la région de Ben Slimane (avec M. Erroussafi), la région de Jorf Sfar (avec Mme Moundib) et la région d’Aoulouz (avec M. Ouissafane). Le premier objectif de ces personnes est de faire la démonstration de la viabilité des plantations d’arganier et l’utiliser pour le développement dans ces différentes régions.
-Entre les résultats du diagnostic des possibilités d’une bonne replantation et la réalisation d’un projet de replantation, il s’est passé beaucoup de temps, pourquoi ?
-En principe le travail du chercheur est pris en charge par des structures de développement ou de transfert de technologies. Nos résultats ont été publiés et c’est aux personnes chargées de reboisement de les utiliser. Cela n’a pas été le cas malgré nos différentes démonstrations. Nous avons donc été plus loin que le laboratoire, que la serre, nous nous sommes chargées nous même des plantations. C’est ainsi que dans le cadre d’un projet européen, géré par l’ADS, nous avons réalisé des plantations type « agroforesterie » dans différentes régions. Il faut souhaiter que le résultat de ces plantations serve d’exemple et que d’autres suivront.
-Pourquoi vous n’avez pas été retenus pour la suite du projet ?
-Nous pensions, en effet élargir l’expérience et poursuivre les efforts de production de plants d’arganier par voie végétative lors de la deuxième étape du projet « arganier » géré par l’ADS, mais malheureusement notre projet n’a pas été retenu. Il semblerait que notre projet a été écarté pour des raisons administratives, mais nous n’avons jamais reçu de réponse écrite à ce sujet.
-Que pouvez-vous dire sur votre expérience auprès des habitants de la région d’Argana et ce que vous souhaitez réaliser dans cette contrée ?
-Il s’agit d’une région très pauvre financièrement, mais très riche par la culture et les valeurs de ses habitants. Les habitants nous ont aidés pour les enquêtes de terrain, ils se passionnent pour leurs arganiers (principale ressource) et aspirent à bénéficier des programmes de développement. Je considère personnellement que ces habitants sont très courageux et méritent beaucoup d’intérêt. La zone d’Argana que je connais est pauvre et l’arganier constitue un revenu important pour les usagers. Leurs parcelles de terre sont très réduites et le climat est rude.
Nous aurions voulu introduire dans cette zone une agroforesterie rentable. C’est le système de base chez eux comme dans toutes les zones rurales des arganeraies, mais nous souhaitons augmenter le revenu en augmentant le nombre d’arganiers et en introduisant la culture des plantes à haute valeur ajoutée. Ils ont par exemple l’habitude de ramasser le thym sauvage et nous voulions introduire la culture de thym Tymol. Ce thym produit beaucoup d’huile essentielle qui est très demandée sur le marché international. Nous pensions les aider à organiser la récolte, le conditionnement et la commercialisation de ce thym, ce qui aurait permis de créer des postes de travail sur place.
Les habitants sont aussi très réceptifs et nous pensons qu’il serait possible de les aider à organiser la production et la commercialisation de l’huile d’argane. Nous avons parlé des «coopératives», nous pensons qu’on peut organiser de petites coopératives qui sont installées dans les douars et qui impliquent aussi bien les femmes que les hommes, qui prennent en considération la production d’huile, le devenir des femmes, mais aussi celui des enfants. Bref améliorer sans renier complètement les structures traditionnelles existantes (Conseils du douar) et qui ont fait leurs preuves durant des siècles.
- En réalisant une bibliographie des études et recherches sur l’arganier fin des années 80 début 90, vous vous êtes rendue compte de la relative pauvreté du domaine. Mais depuis le temps vous avez sorti un livre sur l’arganier, peut-être le seul du genre au Maroc publié en France et non disponible vraiment dans le réseau marocain de librairies. Pourquoi il n’a jamais été réédité au Maroc puisque c’est un livre qui concerne le Maroc au premier chef et pourquoi vous n’avez pas publié vos autres travaux, notamment votre thèse de Doctorat, la première effectuée sur l’arganier ?
-Je n’ai pas cherché personnellement un éditeur au Maroc et aucun éditeur ne m’a contactée pour rééditer le livre au Maroc, en revanche on m’a contacté pour une traduction et édition en allemand. Pourtant, c’est vrai, une édition marocaine serait intéressante parce que ça permettrait de baisser le prix pour rendre le livre disponible et abordable pour un plus grand nombre. Quant à la thèse, ce n’est pas une tradition chez les scientifiques d’éditer leur mémoire de thèse. En revanche, dès que le temps le permettrait, j’en tirerai quelques paragraphes à publier. Ceci dit, j’ai de nombreuses publications dans des journaux scientifiques, y compris grand public comme la revue «Pour la science».
-Vous défendez une thèse qui veut que la sauvegarde de l’arganier n’est possible que si les habitants qui vivent autour sont impliqués et ne peuvent l’être que s’ils gardent une relation directe avec l’arbre en en tirant bénéfice. Vous semblez donner par la même occasion une certaine évaluation de l’expérience des coopératives d’huile d’argane dont la plus-value ne va pas toujours aux habitants et aux femmes qui font le travail le plus pénible du concassage. Peut-on avoir une idée de votre évaluation de cette expérience ?
-Je ne suis pas spécialiste des coopératives, je ne les connais pas toutes, mais celles que j’ai enquêtées ne sont pas toujours satisfaisantes et les femmes se considèrent plus comme des salariées que comme des acteurs actifs.
Le fonctionnement de ces coopératives n’est pas compatible avec le maintien de la cellule familiale. Le fait d’éloigner les femmes de leur foyer n’est pas un point positif. Bien que certains affirment avoir libéré les femmes. Quand on connaît un peu le milieu rural, on sait que le premier problème n’est pas de libérer les femmes, mais c’est bien d’améliorer les conditions économiques de la famille. Cela n’exclut absolument pas de travailler à l’amélioration des conditions de vie des femmes, mais l’amélioration de leur conditions c’est d’abord réduire les nombreux travaux pénibles qu’elles doivent assurer, c’est de leur assurer une aide médicale, un soutien juridique et aussi une prise en considération du devenir de leurs enfants. Il ne doit pas s’agir d’opposer les femmes aux hommes, mais de soutenir la famille pour assurer un développement réel et durable.
Par ailleurs, certaines coopératives semblaient dépendre entièrement de l’aide externe et ne pouvaient pas être viables économiquement. Alors qu’on devait les soutenir au départ, mais leur apprendre les bonnes méthodes de gestion pour qu’elles survivent à l’arrêt des subventions. J’insiste sur le fait que l’augmentation de revenus doit profiter au foyer et donc au douar. L’objectif devrait être d’améliorer les conditions de vie en milieu rural, d’abord pour les habitants de ces douars, mais aussi pour lutter contre l’exode rural qui ne génère, souvent, que misère et désordre. Quand on éloigne la coopérative du douar, on participe à la dégradation de la cellule familiale et on favorise le déplacement des habitants.
Les coopératives sont donc un progrès par rapport à rien, mais elles devraient être adaptées aux conditions rurales et non pas copiées sur des systèmes occidentaux ou sur celles des céréales. Je crois savoir que l’ADS est sensible à ces problèmes et travaille à améliorer les coopératives existantes.
On devrait chercher à lier davantage le volet «coopérative d’huile d’argane» et le volet «optimisation des systèmes agroforestiers à base d’arganier» ; ce n’est pas le cas actuellement et c’est dommage.
La création des coopératives s’est développé très vite, en grande partie parce que l’aide financière étrangère aux coopératives était très importante. La demande d’huile d’argane s’est développée aussi très vite, mais essentiellement grâce aux démarches de personnes privées qui ont commercialisé l’huile d’argane à l’étranger. Donc plus il y a de demande, plus on crée des coopératives, mais à mon avis ces créations n’ont pas pris en considération toutes les conditions de développement durable.
Comme vous l’avez observé, il y a de moins en moins de lien entre la production d’huile et l’arbre. Les coopératives achètent des fruits, le concassage est fait par les femmes de la coopérative et l’extraction est faite par des machines. Des coopératives se sont parfois retrouvées en concurrence pour l’achat des fruits.
Très souvent les femmes se sont considérées comme des salariées de la coopérative et non pas comme des propriétaires de cette dernière qui auraient le souci de pérenniser son existence.
Les sièges des coopératives sont souvent éloignés des habitants et nécessitent le déplacement des femmes sur des distances parfois importantes.
Les conséquences sociales d’un tel déplacement ne sont pas favorables au développement dans le milieu rural. Les femmes, absentes de leur foyer, sont obligées d’abandonner leurs enfants (souvent à la charge de la fille aînée) ce qui, à mes yeux, constitue une régression dans leurs conditions de vie.
On nous répète souvent que les femmes bénéficient de cours d’alphabétisation dans les coopératives. Ceci est important et très bien, mais si les petites filles sont obligées de rester à la maison pour garder les frères et s’occuper des tâches ménagères, nous n’avons pas beaucoup avancé.
On nous répète aussi que les coopératives donnent un revenu aux femmes. C’est à mon avis très bien, mais loin d’être suffisant. Entre la situation d’une femme qui gagne 30 DH par kilo d’amandons produits à la coopérative et celle qui gagne 25 DH pour le kilo fait chez elle, en fonction de ses disponibilités, qu’un marchand vient chercher, je préfère la deuxième situation qui est plus compatible avec la vie familiale.
Il ne faut donc pas comparer la coopérative à rien, mais améliorer ce système pour qu’il réponde mieux aux attentes des usagers. Nous avons pu vérifier que dans certaines conditions, une organisation privée favorise plus le développement dans le douar que la coopérative.
Encore une fois, il n’y a pas de recette miracle : les solutions doivent être adaptées aux conditions du milieu et aux attentes des usagers.
-Quelle suite comptez-vous donner à votre aventure au service de l’arganier ?
-Nous espérons poursuivre les plantations, d’une part pour faire de l’arganier un arbre « agroforestier » de premier ordre, ensuite pour utiliser l’arganier pour réhabiliter certaines zones dégradées au Maroc.
Nous travaillons pour une agroforesterie moderne qui permet d’améliorer le niveau de vie des habitants, en milieu rural. Il faut aussi associer l’arganier à des plantes de haute valeur ajoutée pour augmenter le revenu des parcelles et créer de vrais emplois. Ce n’est qu’un aspect du développement, mais il est primordial pour maintenir les populations en milieu rural.
N.R. mai 2010
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