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lundi 24 août 2009

LE PAIN NU DE MOHAMED CHOUKRI : Chronique d'une enfance douloureuse


Par Aomar Moellebi, L'Expression (Alger), 24/8/2009

Une enfance aussi pénible, il en existe des tas, mais celle que raconte l’écrivain marocain, Mohamed Choukri, est vraiment atypique.
Ce roman, qui ne cesse d’être réédité parce que très lu et considéré, à juste titre, comme un classique, nous plonge dans un monde où la souffrance n’a pas de limite. A telle enseigne que vivre sans endurer devient utopique. D’abord, quelques détails primordiaux sur Mohamed Choukri. Jusqu’à l’âge de vingt ans, ce dernier ne savait ni lire ni écrire. Il était complètement analphabète. Il faut dire qu’avant cet âge-là, il ignorait jusqu’à l’existence des chiffres et des lettres. Ceci a fait de lui un auteur spécial. Sur toutes les couvertures de ses livres, l’éditeur n’oublie jamais de mettre en avant ce détail. Mohamed Choukri, est donc devenu écrivain «in extremis». A aucun moment de sa biographie, il n’a rêvé de finir auteur et comment pouvait-il rêver? Lui, l’enfant battu tous les jours par un père, dont la place devait être la psychiatrie, un père qu’on ne pourrait même pas juger, tant ses actes dépassaient tout entendement. Comment Mohamed Choukri pouvait-il formuler des rêves après avoir assisté, en direct, à la mort de son frère. Une mort causé par ce père tyrannique. En effet, le père, dans un accès de colère bat son fils jusqu’à le tuer. Un secret que Mohamed Choukri a dû cacher dans ses tréfonds jusqu’au jour où il décide de tout déballer en écrivant son roman.

En savoir plus :



Mohamed Choukri, né en 1935 et décédé en 2003, est un auteur marocain arabophone d'origine berbère.
Mohamed Choukri est né en 1935 à
Beni Chiker, un petit village berbère du Rif près de Nador au Maroc. Élevé dans une famille pauvre, il s'enfuit à l'âge de 11 ans et devient enfant des rues de Tanger, où il vit dans les bas-fonds de la ville, au milieu de la misère, de la violence, de la prostitution et de la drogue. À l'âge de 20, il décide d'apprendre à lire et à écrire et deviendra instituteur.
Dans les années 60, dans le
Tanger cosmopolite, il fera la rencontre de Paul Bowles, Jean Genet et Tennessee Williams. Il commence à être publié dès 1966 (dans Al-adab, mensuel de Beirut, la nouvelle Al-Unf ʿala al-shati (Violence sur la plage). Son succès international viendra avec la traduction en anglais par Paul Bowles de Al-khoubz Al-Hafi (Le Pain nu, For Bread alone, Peter Owen editions) en 1973. Le livre sera traduit en français par Tahar Ben Jelloun en 1980 (éditions Maspero), publié en arabe en 1982 et interdit au Maroc de 1983 à 2000.
Ses principales œuvres seront la trilogie autobiographique commencée avec Le pain nu, suivi de Zaman Al-Akhtaâ aw Al-Shouttar (le temps des erreurs ou la sagesse de la rue, 1992) puis Visages. Il écrira aussi une série de nouvelles dans les années 60-70 (Majnoun Al-Ward, le fou des roses, 1980 ; Al-Khaima, la tente, 1985), ainsi que des recueils de mémoires concernant ses rencontres avec les écrivains
Paul Bowles, Jean Genet et Tennessee Williams (Jean Genet et Tennessee Williams à Tanger, 1992, Jean Genet à Tanger, 1993, Jean Genet, suite et fin, 1996, Paul Bowles, le reclus de Tanger, 1997).
Le 15 novembre 2003, à l'hôpital militaire de
Rabat, Mohamed Choukri succombe à un cancer. Inhumé au cimetière Marshan à Tanger le 17 novembre en présence du ministre de la culture, de hauts fonctionnaires, de personnalités du monde de la culture et du porte-parole du palais royal. Avant de mourir, il créa une fondation Mohamed Choukri (président, Mohamed Achaâri), possédant ses droits d'auteur, ses manuscrits et travaux personnels. Il fit bénéficier d'une pension à vie à sa domestique, Fathia, qui passa près de 22 ans à travailler pour lui.
***

Mémoire. La seconde mort de Choukri
TelQuel, 16/9/2006


Mohamed Choukri souhaitait la création d'une fondation à son nom. Dissensions familiales et passivité des milieux culturels bloquent pour l'instant la concrétisation de cette dernière volonté.
Eté comme hiver, le cartable de Mohamed Choukri ne le quittait pas. Il l'a accompagné même sur son lit de mort. Pourtant, ce porte-documents a disparu à sa mort et avec lui la trace de l'existence d'un document juridique qui pose les jalons d'une fondation à son nom. Les héritiers du défunt, notamment son frère Abdelaziz, ont tenté en vain
de retrouver les traces de la sacoche. “Quand mon frère est mort, j'ai demandé à l'administration de l'hôpital militaire et notamment au colonel qui était au chevet de Mohamed, de me rendre ses affaires. Il m'a dit que c'était Abdelhamid El Akkar (actuel président de l'Union des écrivains du Maroc) qui les avait et ce dernier m'a affirmé que elles étaient restées à l'hôpital. Mais n'est-il pas de notre droit de récupérer tout ce que notre frère avait avec lui ?”, s'interroge Abdelaziz Choukri.

Un imbroglio familial et administratif
Abdelaziz, Rhimou et Malika Choukri sont les frère et sœurs de l'écrivain, et ses seuls héritiers. Selon de nombreux témoignages, les relations entre eux n'étaient pas des plus chaleureuses. Les personnes proches de Mohamed Choukri parlent même d'un déshéritement, information infirmée par Abdelaziz : “Mon frère n'a laissé aucun testament. Nous n'avons eu à faire aucun recours auprès de la justice pour annuler un soi-disant testament”.

Abdelaziz Choukri, la soixantaine, vit à Tétouan et tient un magasin de jouets à Fnideq. Il s'est attiré les foudres de ses sœurs quand, plus de deux ans après le décès de Mohamed Choukri, il a accédé à l'appartement de l'écrivain, scellé quelques heures après sa mort. Après avoir rassemblé tous les documents de succession, il avait obtenu l'autorisation d'entrer dans l'appartement de l'écrivain. “C'est en présence de la PJ que je l'ai fait. C'est d'ailleurs un serrurier qui est venu nous ouvrir la porte. La cire du scellé n'existait plus . J'ai récupéré toutes les affaires de mon frère. Il y avait tous les livres de sa bibliothèque, des documents manuscrits, des toiles, raconte Abdelaziz. Mes sœurs étaient au courant de ma démarche. J'avais d'ailleurs une procuration qui me permettait d'agir en leur nom”. Aujourd'hui, tout le legs - du moins ce qu'il en reste- de Mohamed Choukri est dans l'appartement de Abdelaziz à Tétouan. Certains des manuscrits se dégradent puisque ce dernier ne sait comment les protéger.

Quid de la fondation ?
Le soir de l'inhumation, la création d'une fondation a été évoquée par plusieurs de ses proches, écrivains et hommes de lettres, et notamment par son agent littéraire qui a travaillé à ses côtés pendant 17 ans. “Bien avant sa mort, Mohamed Choukri m'avait dit, à maintes reprises, qu'il voulait une fondation après sa mort et qu'il allait prendre les dispositions nécessaires”, affirme M. Roberto De Hollanda, son agent littéraire. Choukri a-t-il rédigé un document ? Selon Zoubir Benbouchta, dramaturge à Tanger, des agents de l'arrondissement se seraient déplacés à l'hôpital militaire, au chevet de l'écrivain, pour les signatures et les légalisations. “Mais à ma connaissance, il ne s'agissait que des statuts de la fondation”, précise-t-il, qui auraient désigné quatre membres : Mohamed Achaâri, Hassan Aourid, Abdelhamid Akkar et Hassan Nejmi. Pour de nombreux observateurs du milieu littéraire marocain, il est très difficile de pouvoir les réunir, les occupations de chacun ne facilitant pas cette tâche. Quelques semaines avant sa mort, Choukri avait modifié une dernière fois les statuts. Il avait “ajouté un article prévoyant une pension à vie de mille dirhams pour sa domestique, Fathia, qui a travaillé près de 22 ans pour lui”, affirme Tarik Slaïki, éditeur à Tanger et proche de Mohamed Choukri. Pendant un certain temps Roberto de Hollanda a versé cette somme à Fathia.

L'agent littéraire ne cache pas sa déception. Il estime que Mohamed Choukri a été mal conseillé. “Il fallait que les personnes que Choukri voulait voir dans sa fondation le conseillent et lui montrent les bonnes procédures. Il y aurait un document, mais aujourd'hui, personne n'est capable de confirmer ou d'infirmer son existence”, s'indigne t-il. Roberto De Hollanda aurait même adressé des lettres à messieurs Achaâri et Nejmi pour avoir plus de détails. Il n'a reçu aucune réponse. Contacté au téléphone, Hassan Nejmi reconnaît l'existence d'un document : “Mais ce ne sont que les statuts de la fondation”, précisera-t-il. L'écrivain, ex-président de l'Union des écrivains ne cache pas son amertume : “Je suis conscient que nous avons failli à la volonté de Mohamed Choukri. Mohamed Achaâri, ministre de la Culture, avait pourtant choisi l'emplacement de la Fondation, dans les jardins du musée de la Kasbah. Le local devait être restauré. Le ministre, ainsi que Hassan Aourid, s'était déplacé sur les lieux. Tous deux avaient même pris contact avec un opérateur économique de la place qui avait accepté de participer aux travaux”, ajoute-t-il. Alors pourquoi rien n'a-t-il été fait ? M. Nejmi affirme qu'en plus des différentes occupations des uns et des autres, subsiste le problème des héritiers. “Ils n'arrivent même pas à s'entendre entre eux. Pour eux, la fondation est une affaire de sous. Il faut que ça leur rapporte. Ils sont un frein à sa création”, s'indigne-t-il. De son côté, Abdelaziz Choukri affirme que jamais, ni Nejmi, ni Achaâri ne l'ont contacté pour en parler.

Une famille qui se déchire
Mohamed Choukri voulait sa fondation. Tout ce que devait rapporter son œuvre devait servir à son fonctionnement. Les héritiers ne savent d'ailleurs pas quoi faire de ce qu'ils ont récupéré dans son appartement. Le frère avait une procuration de ses deux sœurs que celles-ci viennent d'annuler après la signature d'un contrat avec Sochepress. En effet, Malika, qui réside à Casablanca, a signé en 2005 un contrat pour l'impression et la distribution du Pain Nu en arabe, en coédition avec le Fennec.

Il faut rappeler qu'en juillet 2004 la société de distribution et les héritiers représentés par leur sœur, Malika, avaient déjà signé un premier contrat pour la distribution des livres en stock chez Sochepress. Pour les ouvrages qui n'existaient qu'en petite quantité, le distributeur était intervenu pour les faire réimprimer chez Najah El Jadida. “Mais les héritiers n'avaient pas d'argent pour faire imprimer les ouvrages”, affirme Meriem Kabbaj, directrice générale adjointe de Sochepress, qui précise que les contrats signés ont été rédigés et réalisés dans la “transparence complète et ne lèsent personne”. Choukri avait un contrat privilégié qui a été maintenu avec les héritiers.

Ces derniers veillent, tant bien que mal, sur le legs de Mohamed Choukri. Il est aujourd'hui inconcevable que la contribution de l'écrivain tangérois à l'histoire littéraire marocaine se perde entre les frictions des héritiers et l'indifférence des responsables. “Je me suis aperçu que l'écriture pouvait aussi s'avérer une manière de dénoncer, de protester contre ceux qui m'avaient volé mon enfance, mon adolescence et une partie de ma jeunesse. C'est à ce moment seulement que mon écriture est devenue engagée”, disait-il. La création d'une fondation par ses amis et par les défenseurs des lettres au Maroc, permettrait que la lumière de Mohamed Choukri continue à briller, même après sa mort.

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