A l'occasion de la Journée internationale des droits de l'enfant, des personnalités de la société civile dont l'historien Pap Ndiaye dénoncent la nouvelle loi sur la protection de l'enfance, qui légalise la discrimination des mineurs étrangers.
La loi réformant la protection de l’enfance, promulguée
le 14 mars 2016, détruit un ensemble de droits fondamentaux et légalise
la discrimination des jeunes étrangers présents sur notre territoire.
Elle instaure un régime de droit spécial, comprenant un ensemble de
dispositions contraires à celles qui s’appliquent encore aux jeunes
français qui, eux, bénéficient des mesures antérieures, plus
protectrices et conformes au principe d’égalité universel : «Un enfant
doit être protégé».
Pour la première fois dans notre pays depuis Vichy, le critère de nationalité ouvre à un régime de ségrégation nationale.
La nationalité ne doit pas devenir un critère exclusif de la protection
Un jeune, privé du soutien d’une autorité parentale, doit être
protégé par les autorités publiques, jusqu’à ce qu’il soit en mesure de
subvenir à ses propres besoins, quelle que soit sa nationalité. Ce
principe d’égalité fondamental est reconnu par la CIDE (Convention
Internationale de Droits de l’Enfant), ratifié par la France.
Initialement, il convient de le rappeler, seule l’évaluation de la
vulnérabilité figurait dans la loi. Elle reposait donc sur une parfaite
indifférence au critère de nationalité.
L’absence de critères particuliers pour les jeunes étrangers en
faisait une loi positive et ouverte, conforme à l’exigence démocratique
d’un Etat au service de tous.
Or, depuis plusieurs années, l’évaluation de la vulnérabilité est
supplantée par des évaluations dites «sociales» visant à vérifier la
minorité et l’isolement des jeunes étrangers. Ces évaluations écartent
un très grand nombre de jeunes de toute protection effective, malgré
leur situation de vulnérabilité réelle et des parcours migratoires
souvent très éprouvants. Aujourd’hui, ceux qui se présentent comme
«mineurs isolés» ne voient plus leur vulnérabilité prise en compte.
Ceux-ci doivent, préalablement à une éventuelle prise en charge par
l’Aide Sociale à l’Enfance, faire la preuve de leur minorité et de leur
isolement. Or, leurs propos sont systématiquement mis en doute et leurs
documents d’identité contestés sans qu’une vérification administrative
ordinaire ne soit menée.
Cette discrimination, pratiquée depuis des années par de nombreux
départements, puis systématisée sur l’ensemble du territoire par la
circulaire Taubira, demeurait cependant contradictoire avec la loi
elle-même et ses fondements: la prise en compte de la vulnérabilité des
jeunes et l’obligation de protéger tous les mineurs. L’introduction, au
cœur de la nouvelle loi, d’évaluations discriminantes renforce
inévitablement la suspicion, légalise le tri et altère la démarche de
protection tout au long du parcours des jeunes: avant, pendant et après
la période de prise en charge proprement dite.
La protection de l’enfance ne peut se fonder sur la reconnaissance de minorité
En réalité, la détermination de l’âge et de l’isolement a pris le pas
sur l’examen de la vulnérabilité réelle et transformé le devoir de
protection de l’enfance, en obligation de tri et, pour finir, en mesures
de police. Ces évaluations suspicieuses et discriminantes sont
inacceptables. Rien ne légitime un traitement spécifique des jeunes
étrangers; rien ne justifie que des jeunes vulnérables soient soustraits
au droit égal de la protection de l’enfance. Nous ne pouvons tolérer
que le tri soit la nouvelle norme de la protection de l’enfance.
Il importe aujourd’hui que tous les gens soucieux de la protection
des jeunes en situation de vulnérabilité, partisans d’un droit égal pour
tous, se prononcent fermement contre les dispositions de cette nouvelle
loi et plaident ouvertement pour la protection de tous les jeunes
isolés, qu’ils soient mineurs ou très jeunes majeurs.
Les jeunes étrangers doivent être considérés comme des jeunes d’ici
Ces jeunes ne sont plus de jeunes migrants, ils sont aujourd’hui ici.
Quelques-uns ont décidé d’affirmer publiquement «Nous sommes là», «Je
suis là». Ces jeunes doivent être traités à l’égal de tous les autres
jeunes. Un jeune est un jeune. Chaque jeune présent sur le territoire,
en situation de vulnérabilité, doit être protégé par les autorités
publiques. C’est ce qu’ils affirment eux-mêmes par leur volonté d’aller à
l’école. Lors de rassemblements des jeunes déclaraient: «les mineurs à
l’école».
La place de ces jeunes c’est effectivement l’école et non la rue,
l’errance ou l’abandon. Ces jeunes sont là, ils ont toute leur place
ici, à l’école. L’école, ce n’est pas seulement l’apprentissage
indispensable, c’est aussi la place qui leur est due et que nous leur
reconnaissons. Cela inclut également un hébergement, un suivi social et
plus généralement une prise en charge conséquente par les services de
l’Aide Sociale à l’Enfance.
Seules la vulnérabilité et la présence sur le territoire doivent
déterminer les règles de la protection de l’enfant. C’est pourquoi, nous
exigeons:
- l’abrogation des dispositifs dits «d’accueil et d’orientation»
- l’abrogation des évaluations dites «sociales» de la minorité et de
l’isolement des jeunes. Ces évaluations ne sauraient motiver une
quelconque décision concernant la protection de jeunes vulnérables
- la scolarisation immédiate et sans condition de tous les jeunes qui en font la demande
- la protection de tout jeune «isolé» présent sur le territoire par
les autorités publiques jusqu’au terme de ses études et de son insertion
professionnelle.
Pour signer la pétition sur change.org.
Premiers signataires : Nils Andersson,
ancien éditeur (ancien éditeur des ouvrages interdits pendant la guerre
d’Algérie); Jenny Bacry, psychologue clinicienne, Protection de
l’enfance; Emmanuel Bacry, directeur de recherches CNRS, Ecole
Polytechnique; Françoise Balibar, professeur émérite, Université
Paris-Diderot; Lise-Marie Barré, productrice pour France Culture
(Collectif Parisien pour la Protection des Jeunes et Mineurs Isolés);
Michaël Batalla, poète; Philippe Beck, poète; Luc Bénazet, écrivain;
Laurent Cauwet, éditeur; Carine Chichkowsky, productrice; Pierre
Chopinaud, écrivain; Salome Cohen Guez, juriste; Nathalie Collantes,
chorégraphe; Valérie Delarue, sculpteur céramiste; Patrick Deshais,
directeur des ressources humaines; Céline Ducreux, monteuse; Sébastien
Derrey, metteur en scène; Dr Maria da Silva, médecin à Vitry, ex-mineur
étranger; Dr Diawara, médecin hospitalier gériatre, Paris; Antoine
Dufeu, écrivain, éditeur et enseignant; Joël Fallet, directeur CPAM à
la retraite, doctorant en histoire; Pierre-Noël Giraud, économiste;
Jérémy Gravayat, cinéaste (Collectif Parisien pour la Protection des
Jeunes et Mineurs Isolés), Carole Ferrand, cinéaste; Catherine Hass,
anthropologue (Collectif Parisien pour la Protection des Jeunes et
Mineurs Isolés); Régis Hebette, co-directeur du Théâtre L’Echangeur /
Bagnolet; Amar Henni, éducateur, anthropologue; Ghazi Hidouci,
économiste, administrateur du Fonds mondial pour le développement des
villes, président de l’AITEC; Christian Ingrao, historien, CNRS;
Catherine Jabot, comédienne (Collectif Parisien pour la Protection des
Jeunes et Mineurs Isolés); Alain Jean, médecin gériatre, praticien
hospitalier de l’Assistance des Hôpitaux de Paris; Sylvain Jean,
professeur de lettres; Anne Kerlan, directrice de recherche au CNRS,
historienne (Collectif Parisien pour la Protection des Jeunes et Mineurs
Isolés); Sylvain Lazarus, anthropologue, professeur émérite, Université
Paris 8; Johnny Lebigot, co-directeur de Théâtre de L’Echangeur-Cie
Public Chéri; Pierre Linguanotto, documentariste (Collectif Parisien
pour la Protection des Jeunes et Mineurs Isolés); Virginie Linhart,
réalisatrice; Marie-José Malis, directrice, La Commune-Centre dramatique
national Aubervilliers; Chiara Malta, réalisatrice; Renaud Mandel,
éducateur, président de l’ADMIE; Maguy Marin, chorégraphe, directrice de
Ramdam, Centre d’Art, Saint-Foy-lès-Lyon; Natacha Michel, écrivain;
Catherine Milkovitch-Rioux, professeure à l’université Clermont
Auvergne; Djibril Ndiaye, économiste, Paris; Pap Ndiaye, historien,
professeur à Sciences Po; Giusy Pisano, professeur des Universités à
l’ENS Louis-Lumière; Pauline Pitou,
assistante sociale; Camille
Plagnet, réalisateur, Malika Rahal, chargée de recherche au CNRS,
historienne; Juliette Rigondet, journaliste et écrivain; Stéphane Rizzi,
cinéaste; Frédéric Sacard, directeur adjoint de La Commune-Centre
dramatique national Aubervilliers; Emmanuel Soland, poète sonore;
Brigitte Sy, réalisatrice; Murielle Tranchant-Edery, psychologue; Xavier
Vigna, professeur à l’Université de Bourgogne, historien; Isabelle
Weingarten, actrice et photographe.
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