Reportage
Dans leur villa de Californie, un quartier huppé de Casablanca, Achraf et Zineb*, la trentaine, forment un jeune couple emblématique d’un Maroc ouvert, prospère et dynamique. Ils se sont fraîchement installés dans cette partie de la capitale économique très convoitée par les nouveaux riches. Tous deux sont cadres dans le secteur bancaire et « possèdent » une « petite bonne » de 14 ans. Le père de celle-ci connaît la famille d’Achraf. « Amina* est très attachée à notre bébé Hajar », précise Achraf en esquissant un sourire presque fier.
Avant de travailler à Casablanca, Amina « vivait avec ses parents et ses nombreux frères et sœurs à Béni Mellal », une ville située dans le centre du royaume, au pied du Moyen-Atlas.
« Il y a deux ans, sa mère nous l’a confiée pour qu’elle vive dans une
ville où elle aura plus d’opportunités. Nous la traitons comme notre
propre fille, ajoute le jeune cadre. Ma femme va l’inscrire dès l’année prochaine dans une association pour qu’elle apprenne la couture », conclut-il.
Une loi controversée
La question des « petites bonnes » est un sujet très controversé au Maroc. Un projet
de loi interdisant le travail des jeunes filles de moins de 18 ans a
été adopté le 31 mai par la première chambre du Parlement. Mais le même
texte autorise une période transitoire de cinq ans au cours de laquelle
le travail
domestique des filles de 16 à 18 ans serait autorisé. Les ONG actives
dans ce domaine espèrent que leur plaidoyer portera ses fruits avant le
vote de la Chambre des conseillers, deuxième chambre du Parlement.
L’une de ces ONG, Insaf, a pu aider depuis 2007 plus de 300 filles mineures à sortir du travail domestique. Elles sont désormais 179 à être
scolarisées dans des collèges et des lycées. Huit de ces filles ont
réussi leur baccalauréat entre 2011 et 2016 et poursuivent actuellement
leurs études supérieures. L’ONG espère porter ce nombre à 85, d’ici 2020.
Pour les associations locales, le phénomène des jeunes domestiques
est lié à la question de l’éducation au Maroc, qui fait partie des 21
pays les moins avancés en la matière, selon l’ONU. « Au lieu de les faire travailler, ces jeunes filles doivent acquérir ce qui est considéré partout dans le monde comme un droit fondamental : le droit à une scolarisation de qualité », s’indigne Najat Anwar, la présidente de l’association Touche pas à mon enfant.
« Ftour » royal pour Mme Obama
Le sujet a-t-il été abordé au cours de la visite de Michelle Obama, à
Marrakech, mardi 28 juin et mercredi 29 ? La première dame des
Etats-Unis était au Maroc pour promouvoir le programme « Let girls learn » pour l’éducation des jeunes filles dans le monde dans le cadre d’une tournée africaine qui a débuté dimanche au Cap-Vert et s’est poursuivi lundi au Nigeria.
Un échange symbolique a eu lieu à Marrakech entre Mme
Obama et des adolescentes sur leurs difficultés d’accès à une éducation
de qualité. Selon l’ONU, le taux de scolarisation des filles marocaines
dans le monde rural au niveau du collégial est de 57,8 % seulement ; au secondaire qualifiant, elles ne sont pas plus de 18,8 % à être inscrites.
Accompagnée de ses deux filles Malia, 18 ans, et Sacha, 16 ans,
Michelle Obama a été reçue en grande pompe par la princesse Salma,
l’épouse du roi Mohammed VI. Mardi soir, le roi a offert un somptueux ftour – le repas de rupture du jeûne du ramadan – au palais royal de la ville ocre « en l’honneur » de son invitée de marque, selon la formule du Matin du Sahara, un quotidien proche du palais.
Nounou à 14 ans
Pendant ce temps, entre 60 000 et 80 000 « domestiques » mineures
travaillent au Maroc dans des conditions inhumaines et en dehors du Code
de travail marocain : « Certains enfants travailleurs domestiques –
qui sont majoritairement des filles – travaillent dur pendant douze
heures par jour, sept jours par semaine, pour seulement 10 euros par
mois », selon un rapport de Human Rights Watch datant de 2012.
« Certaines filles ont affirmé que leur employeur les battait et
les insultaient fréquemment, les privaient d’éducation et leur
refusaient parfois des repas suffisants (…) Dans environ la moitié des
cas, des intermédiaires ont recruté ces filles pour travailler dans les
grandes villes », précisait l’ONG.
Dans leur villa de Californie, Achraf et Zineb, diplômés tous deux
d’une grande école de commerce parisienne, ne cachent pas leur « petite
bonne » : « Oui, le salaire que nous versons à ses parents les aide énormément. Ils savent que leur fille est entre de bonnes mains. Il est vrai qu’au début, elle a eu du mal à se séparer
de sa famille, mais elle s’est vite adaptée à sa nouvelle vie. Avec
notre fille de 10 mois, elles sont quasiment inséparables. Amina est un
peu sa nounou. »
* Les prénoms ont été changés.
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