Les compteurs du Haut
Commissariat des Réfugiés s'affolent : leurs chiffres du jour sont
aussitôt démentis par ceux du lendemain. Le flux des migrants ne
ralentit pas, celui des naufragés non plus. Ils se déclinent, les uns
comme les autres, par milliers. Á ce rythme-là, aux alentours du 1er
juillet, près de 20.000 personnes auront péri dans la Méditerranée. Mare nostrum est désormais infestée de cadavres.
Les
statistiques déferlent parmi d'autres, qui reflètent d'autres horreurs.
Mais trop d'information tue l'information. Du coup, l'horreur se
banalise. Même les faits les plus tragiques sombrent dans la banalité.
Comme dit le philosophe Pascal Bruckner : "nous sommes entrés dans la
routine de l'abominable".
De surcroît, pour les Européens, les
migrations des pauvres gens fuyant la guerre civile dans leur pays sont
terminées. Les migrants ? Quels migrants ? La riche Union européenne a
versé quelques milliards d'euros à l'impudent Recep Erdogan, le nouveau
sultan, pour qu'il retienne tous ces manants dans les zones frontalières
de la guerre, assez loin si possible des différents clubs de vacances
où l'on peut bronzer en paix en Turquie. Des camps dans les campagnes
turques, la solution à notre confort. Bon débarras. Que pèsent pourtant 1
million de réfugiés sur un territoire de 500 millions d'habitants ?
Les migrants ne meublent plus l'actualité. Ils sont rejetés aussi des unes de journaux et des médias audio-visuels.
Or, aujourd'hui, le citoyen est un téléspectateur. Ce qu'on ne lui
montre pas n'existe pas. Puisque l'outil audio-visuel fonctionne au
moyen de parts de marchés publicitaires, il est aisément concevable
qu'un reportage sur les bords de mer pour filmer la malédiction humaine
ne rapporte pas autant d'audience que Roland-Garros, l'Euro de football,
et le Tour de France, trois événements qui se succèdent afin de rendre
le printemps joyeux. Qu'on leur donne du pain, comme disait Bart De
Wever, et qu'on nous laisse les jeux ! (Ah oui ! Il disait aussi qu'on
devait leur donner un bain ; mais ça, ils l'avaient déjà pris, et dans
une baignoire si grande que certains n'en sont jamais sortis...)
Monsieur Théo Francken, notre éminent secrétaire d'État à l'Asile et aux
Migrations, est content. Il le dit à la presse : les migrations
diminuent considérablement, tout va bien, les centres fermés sont
ouverts et les lits repliés puisqu'il n'y a plus de candidat pour les
occuper. Il les montre aux caméras. Tout va bien vous dis-je. Il est
même doublement satisfait car n'a-t-il pas aussi en charge la
Simplification administrative ?
Reste l'écume des jours après
celle des vagues. Les migrations doivent être analysées sur un triple
aspect. Le premier est démographique. Un pays à faible natalité comme
l'Allemagne y décèle une aubaine qui planifiera sa prospérité économique
par l'afflux de main-d’œuvre. Partant, la deuxième donnée est d'ordre
économique. Il est démontré là-bas que les réfugiés sont enclins à
chercher du travail le plus vite possible pour leur permettre
d'installer décemment leur famille au sein du pays d'accueil. Vient le
troisième paramètre, il concerne évidemment l'éthique. Loin des grands
discours lyriques vantant la charité, la générosité ou toute autre forme
d'hospitalité bienveillante, il est utile de faire appel au bon sens :
ces gens ne tentent pas l'exode qui pourrait leur coûter la vie pour
leur plaisir. Ils n'abandonnent pas tout leur patrimoine en quittant
leur sol natal par gaieté de cœur.
Leur long voyage ressemble à
tous ceux qui s'inscrivent, au fil de toutes les époques, dans
l'histoire de l'humanité. Tous les peuples - y compris le nôtre, oh !
Combien ! - ont un jour été contraints d'accomplir pareil périple,
abandonnant leurs biens pour emmener ceux qu'ils avaient de plus chers
hors d'un destin de terreur et d'angoisse.
Des esprits chagrins
se demandent si Daesh n'utilise pas les migrations pour infiltrer des
djihadistes en Europe. C'est un point sensible qui touche les natures
émotionnables. Ce serait pourtant une naïveté de croire que Daesh aurait
besoin de ce phénomène-là pour diffuser voire commettre ses méfaits.
Pour attirer l'attention de l'opinion publique, Nicolas Hulot s'est
fait photographier vêtu d'un gilet de sauvetage orange. C'est plus
encombrant qu'une épinglette à la boutonnière mais le résultat est
impressionnant.
L'image, action de la vie qui va, frappe les consciences.
Il en est ainsi également du succès éternel de Charles Trenet, entonné
sur l'intégralité de la planète, que l'on fredonne sur la plage. Cet
été, il est bon de savoir que "la mer qu'on voit danser le long des golfes clairs" évoluera sur une marche funèbre.
Centre d'Action laïque (Henri Bartholomeeusen, Président et Jean-Pol Baras, Président de l'Observatoire des migrations du CAL), Fédération Humaniste Européenne (Pierre Galand, Président), Fondation Henri la Fontaine (Daniel Sotiaux, Président), Mundaneum (Jean-Paul Deplus, Président).
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