Rosa Moussaoui, 20/5/2015
Amnesty
International a recueilli les témoignages de 173 victimes de torture et
de traitements inhumains et dégradants. Le rapport de l’ONG brise
l’image d’un pays respectueux des droits humains que veulent cultiver
Mohammed VI et ses soutiens occidentaux, Paris en tête.
«Ils
ont menacé de me violer avec une bouteille – ils ont amené une
bouteille devant moi. (…) Ils m’ont fouetté la plante des pieds avec des
cordes, tandis que j’étais suspendu dans la position du poulet rôti et
ils ont aussi trempé mes pieds dans de l’eau glacée. (…) Alors que
j’étais suspendu, ils m’ont mis une serviette dans la bouche et m’ont
versé de l’eau dans le nez pour me faire étouffer. Ils ont ensuite versé
de l’urine. Puis ils m’ont (…) déshabillé, me laissant en
sous-vêtements et m’ont fouetté les cuisses à l’aide de ceintures. »
Ce
sont des policiers marocains qui ont infligé ces sévices à Mohammed Ali
Sadi, un Sahraoui de vingt-sept ans, après son arrestation dans une
manifestation à Laayoune, au mois de mai 2013. Son témoignage et celui
de 172 autres victimes de torture et de traitements inhumains et
dégradants ont été recueillis par Amnesty International.
L’ONG a
dévoilé, hier, un rapport accablant, « L’ombre de l’impunité : la
torture au Maroc et au Sahara occidental », qui brise l’image d’un pays
ouvert, respectueux des droits humains, si chère à Mohammed VI et à ses
soutiens occidentaux, Paris en tête. « Les coups, le maintien dans des
positions douloureuses, l’asphyxie, les simulacres de noyade ainsi que
les violences psychologiques ou sexuelles font partie des méthodes de
torture employées par les forces marocaines de sécurité afin d’extorquer
des “aveux”, de réduire des militants au silence et d’étouffer la
dissidence », constate Amnesty International. Les tortionnaires
n’attendent pas d’être dissimulés dans l’ombre des cellules de garde à
vue ou de prison pour laisser libre cours à leur violence. Celle-ci se
déchaîne dès l’arrestation, sur la voie publique, au vu et au su de
tous, comme pour entretenir un climat de terreur, puis dans les
véhicules de police où les coups pleuvent sur les personnes
interpellées. Il est impossible de mesurer avec exactitude l’ampleur de
ces pratiques tortionnaires, la plupart des victimes se murant dans le
silence par crainte de nouveaux sévices. Mais la torture n’épargne
aucune région, aucun profil : opposants politiques, militants de
l’autodétermination du Sahara occidental, suspects d’infractions de
droit commun. Depuis les attentats de Casablanca, en 2003, la « lutte
contre le terrorisme » tient aussi lieu d’argument ultime pour donner
carte blanche aux responsables d’actes de torture. Soupçonné d’avoir
participé à un programme américain de sous-traitance de la torture, le
Maroc n’a jamais fait la lumière sur les nombreux cas présumés de
détention secrète.
Ceux qui osent dénoncer la torture s’exposent à de graves poursuites
« Dans la quasi-totalité des cas de poursuites judiciaires
examinées par Amnesty International, les tribunaux se sont basés,
parfois exclusivement, sur des “aveux” obtenus sous la contrainte pour
prononcer des condamnations, alors que la législation marocaine interdit
l’utilisation de tels éléments dans les procédures », indique le
rapport. Victimes renvoyées sur le banc des accusés, ceux qui osent
dénoncer la torture s’exposent à des poursuites pour « dénonciation
calomnieuse » ou « fausse dénonciation d’une infraction », mettant ainsi
le doigt dans un engrenage judiciaire infernal qui assure l’impunité
aux tortionnaires. C’est ce qui est arrivé à Wafae Charaf et Oussama
Housne, ces deux défenseurs des droits de l’homme qui croupissent en
prison après une condamnation pour « allégations mensongères » et
« diffamation ». C’est ce qui est arrivé, aussi, au boxeur
franco-marocain Zakaria Moumni, enlevé et torturé par les services
marocains, finalement poursuivi et condamné pour « escroquerie » tandis
que ses tortionnaires tentaient de salir sa réputation par la diffusion
de grossiers photomontages à caractère pornographique. La plainte déposée
en France en février 2014 par ce sportif contre le chef du
contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi, et le secrétaire
particulier du roi, Mounir Majidi, avait déclenché l’ire du Palais et
assombri les relations entre Paris et Rabat, qui a suspendu l’accord de
coopération judiciaire entre les deux pays. Le parquet de Paris, qui a
conclu l’enquête préliminaire, appelle aujourd’hui la justice marocaine à
se saisir du dossier. S’il est peu probable que des poursuites soient
engagées au Maroc, cette démarche de la justice française prouve, selon
Zakaria Moumni, que ses allégations « ont été prises au sérieux et
jugées suffisamment solides malgré toutes les tentatives pour les
décrédibiliser ». Abellatif Hamouchi, lui, peut dormir tranquille. Visé
par d’autres plaintes déposées par l’Association des chrétiens pour
l’abolition de la torture (Acat) devant le comité contre la torture des
Nations unies et devant la justice française, il vient d’être promu chef
de la police par Mohammed VI. Mieux, ce tortionnaire en chef est invité
à Paris, au mois de juin, pour y recevoir les insignes d’officier de la
Légion d’honneur (voir l’Humanité du 17 février 2015). Pour quels
services rendus à la France ? Mystère.
Cette indécente breloque résume à elle seule la
complaisance de la France pour un régime qui tourne le dos aux principes
élémentaires de l’État de droit. Le roi du Maroc n’a-t-il pas bénéficié
du soutien appuyé de la diplomatie française dans sa croisade contre
l’élargissement du mandat de la Minurso, la force onusienne au Sahara
Occidental, à la surveillance des droits de l’homme ? Ces petits
arrangements entre amis pourraient être bientôt gravés jusque dans le
nouvel accord de coopération judiciaire que la France et le Maroc ont
signé en février, bientôt soumis à l’approbation des députés. « Quatre
des personnes poursuivies par les autorités marocaines ont porté plainte
devant des tribunaux français du fait de leur double nationalité ou de
leur statut de conjoint d’un ressortissant français. Il pourrait devenir
impossible d’intenter ce type d’action en justice si l’Assemblée
nationale approuve un accord visant à faire en sorte que les tribunaux
français ne soient plus compétents pour se prononcer sur les violations
commises au Maroc », alerte Amnesty International. Aux témoignages
détaillés et circonstanciés recueillis par l’ONG, Rabat oppose un
démenti global, que n’étaye aucune enquête. Loin des belles intentions
affichées dans la Constitution de 2011 pour désamorcer l’élan de
contestation du 20 février, le maintien d’un système qui protège les
tortionnaires plutôt que leurs victimes prouve que le Maroc n’a pas
rompu avec les sombres pratiques des années de plomb. Depuis la
communication du rapport aux autorités marocaines, les représentants
d’Amnesty International, eux, sont persona non grata au Maroc…
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