Par Larbi, 9/11/2011
Le 25 novembre prochain je boycotterai les élections législatives marocaines. J’aimerais expliquer, simplement et sincèrement, les raisons de ce choix.
Il me faut d’abord évoquer le contexte de ces élections. En juin dernier, le roi du Maroc a soumis au référendum une révision constitutionnelle présentée comme « une réponse » aux revendications exprimées par la rue à la faveur du printemps arabe et sa ramification marocaine le mouvement 20 février. J’ai eu en son temps l’occasion de dire que cette révision n’était pas à la hauteur des attentes ni à la mesure de la nouvelle donne régionale. Le relooking constitutionnel qui a été proposé reconduit presque à l’identique l’architecture institutionnelle du pays, le roi étant directement et indirectement le vrai chef de l’Exécutif, disposant du premier et dernier mot quant aux choix des politiques publiques et aux orientations de l’Etat. La suite est à l’avenant : les élections législatives marocaines qui sont issues de cette constitution, pas plus que les précédentes, ne constituent pas un enjeu de pouvoir, le gouvernement restant sous tutelle du palais quelle que soit la couleur de la majorité parlementaire et l’identité du parti du chef de gouvernement. Pour pimenter le tout, la campagne référendaire qui a accompagné cette consultation n’a pas arrangé la situation pas plus que le plébiscite surhumain de 98,5% de oui, le tout laissant un sentiment d’effarement. J’ai rejeté la conclusion octroyée par le roi Mohammed VI, j’ai boycotté le référendum, j’ai longuement expliqué pourquoi et je ne m’y étalerai pas de nouveau.
Malgré cette parodie de référendum, participer aux législatives était une option possible. Si durant la période de février à juin, le pouvoir n’avait rien fait pour apaiser les esprits et céder sur les revendications légitimes du mouvement 20 février j’avais estimé de ma part qu’il pourrait mettre à profit la période post-référendum plébiscitaire pour cesser d’être sourd et aveugle. Pour cela il aurait suffi que le pouvoir fasse des concessions et donne des signes d’ouverture, après tout il en avait les moyens et la marge de manœuvre. Il aurait suffi qu’il ouvre les médias publics aux opposants, à la société civile et au mouvement 20 février. Il aurait suffi qu’il respecte le droit de manifester et le droit à la libre expression sans matraquage, ni intimidations, ni procédures judiciaires abusives. Il aurait suffi qu’il traduise devant la justice les symboles de la corruption et éloigne des affaires publiques les personnalités connues pour leur affairisme et qui sont régulièrement dénoncés dans les manifestations. Il aurait suffi qu’il respecte les principes d’équité dans le traitement médiatique des manifestations et qu’il demande à ses officines d’arrêter la désinformation et la propagande. Il aurait suffi qu’il commence à mettre fin aux privilèges et aux rentes accordées aux notables et proches de la monarchie et qu’il freine l’hégémonie de la holding royale sur le secteur privé. Il aurait suffi qu’il commence par sanctionner, ne serait-ce que pour l’exemple, les responsables des exactions et de violations des droits humains, les récentes du moins. Il aurait suffi qu’il arrête les procès expéditifs et les machinations judiciaires contre les contestataires… Il aurait enfin suffi qu’il donne un signe, un seul, signifiant qu’il entend entreprendre ces actions, qu’il est à l’écoute des revendications et qu’il veut bien répondre à l’exigence du temps et changer.
Or qu’a fait le pouvoir entre temps ? A-t-il profité de ce temps de grâce pour entamer les réformes justes et légitimes ? Le pire des procureurs du mouvement 20 février, et ils sont nombreux, ne peut qu’en convenir : rien en tout cela n’a bougé, à croire que la machine du temps s’est figée au 19 février. Pire encore dès le deux juillet, et comme on pouvait s’y attendre, le pouvoir a repris ses pratiques détestables comme avant. Pour le roi Mohammed VI la question était réglée au premier juillet et pour fermer la parenthèse ne restait plus qu’à faire face aux « tentations démobilisatrices, démoralisantes et nihilistes, et les pratiques mystificatrices éculées » (discours du trône 30 juillet). A croire que le chef de l’Etat ne pouvait concevoir les Marocains autrement qu’en une machine à l’applaudir. C’était pourtant à lui de donner l’exemple d’ouverture et d’adopter le ton de l’apaisement.
Force est de reconnaitre au pouvoir marocain son obstination et son machiavélisme : ce que ses ingénieurs politiques ont conçu un certain 9 mars a été appliqué à la lettre et dans l’esprit pour éviter l’effondrement politique. Le 1er juillet, ils ont demandé aux Marocains d’apporter au système l’oxygène indispensable à son métabolisme et ils se sont donnés les moyens pour qu’ils le fassent. Au 25 novembre, ils demandent un peu plus : des sucres lents qui aideront le système à assurer son fonctionnement minimal, à se maintenir pour quelques années supplémentaires de et ils feront tout pour que ça soit le cas. Et c’est ce chemin tracé par les ingénieurs de l’arrogance et de l’immobilisme qui nous mène aujourd’hui aux législatives prochaines. Voilà donc le contexte dans lequel se tiennent ces élections.
Se pose alors la question, quelle attitude adopter le 25 novembre ?
Comme on pouvait s’y attendre, la quasi-totalité de la classe politique marocaine a exécuté l’agenda royal après tout elle n’a jamais été demandeuse de réformes et elle va aux élections comme des disciples envoyés en mission par le Saint-Esprit. Du côté du camp de changement, les coordinations du mouvement 20 février ont appelé au boycott aussi bien que les organisations politiques qui les soutiennent et ce en cohérence avec la position déjà exprimée lors du référendum : cette constitution n’ouvre pas la voie à la réalisation de la revendication première du mouvement à savoir doter le Maroc d’outils et d’institutions réellement démocratiques.
Une troisième position est exprimée par le courant qui se dit « pragmatique » qui s’oppose, parfois mollement, à la constitution, mais refuse de pratiquer la politique de la chaise vide dans les institutions qui en sont issues, pour ne pas les laisser la place aux autres et essayer du moins de profiter des quelques prérogatives nouvellement accordées. En somme un réformisme « de l’intérieur » déjà expérimenté à la fin des années 90 qui ont vu le socialiste El Youssoufi accepter l’alternance « consensuelle » avant de finir cinq ans plus tard à faire un discours dans une obscure salle de Bruxelles.
Je peux comprendre cette position et j’irai même jusqu’à dire qu’il n’y a pas longtemps c’était un peu la mienne. Faut-il vous le confesser ici, en 2007, j’étais parmi les très rares Marocains qui ont voté aux législatives. Ah ça, oui ! Ma première fois et sans doute la dernière. C’est au nom de ce « pragmatisme », accouplé à une certaine résignation, que je me suis déplacé dans un bureau de vote désert comme un peu partout au Maroc. J’avais voté pour la coalition PSU-PADS-CNI pour la liste nationale et, cette dernière n’ayant aucune chance de l’emporter en local, j’avais opté pour Khalid El Hariry comme élu pour ma circonscription malgré son parti. Il y a quatre ans donc j’avais pris sur moi et adopté la logique des « réformateurs pragmatiques» essayant de faire exister dans des institutions auxquelles je ne croyais pas, une coalition avec qui j’ai des affinités et faire élire en même temps une personnalité intègre et compétente pour élever le débat dans l’enceinte du parlement. Je ne regrette pas de l’avoir fait, cela m’a servi de leçon. Car faut-il vous raconter la suite ? L’ironie, qui a ici une vertu pédagogique, c’est que je retrouverai quatre ans plus tard la coalition PSU-PADS-CNI et le député El Hariry dans le mouvement 20 février (du moins à ses débuts). Et en quel état ? Cela a encore une vertu pédagogique, le PADS, le PSU boycottent aujourd’hui les élections et Khalid El Hariry refuse de se représenter comme si tout le monde, eux comme acteurs politiques moi comme électeur, avait tiré les mêmes conclusions qui s’imposent : réformer le système de l’intérieur en acceptant ses règles de jeux préétablies, ça ne marche pas. C’est même la chronique de la vie politique marocaine des dernières décennies : beaucoup de gens intègres ont essayé, au mieux ils ont fini par se décourager et se sentir impuissants, au pire ils ont fini par rejoindre le système devenant un de ses piliers les plus conservateurs. Ainsi de 1998, ainsi de 2002, ainsi de 2007, ainsi de l’histoire de cette transition perpétuelle toujours annoncée, toujours entamée et jamais réalisée. Et pourquoi ça marcherait en 2011 ? Un lifting de la constitution, un discours et le jeu serait tout d’un coup ouvert ?! Il faut se rendre à l’évidence : il ne s’agit pas de présider à la destinée des Marocains mais d’exercer une influence marginale sans aucun impact et de jouer les « collaborateurs » élus de ceux qui se sont octroyé ce droit presque divin.
Chacun de mes amis « pragmatiques », comprendra qu’en la matière j’ai déjà donné et que rien, absolument rien, ne me poussera à donner à nouveau et refaire la même erreur. Et si par cette expérience d’électeur soi-disant « pragmatique et réformateur » je peux aider certains à ne pas commettre la même erreur, j’en serais heureux. Le réformisme aujourd’hui, c’est d’assumer qu’il faut passer par une étape de déstructuration du système politique et cela se traduit à mon sens par le boycott des élections.
Il n’y a qu’à voir la machinerie électorale qui se prépare pour s’en convaincre. Le référendum plébiscitaire fait rêver sur le mode « bis repetita ». N’hésitant devant rien, comme si le 1er juillet l’avait définitivement libéré, le pouvoir a renoué avec ses magouilles et ses méthodes de basse besogne politique créant une coalition de substitution au parti de l’ami du roi qui fait insulte à la démocratie et aux démocrates en se revendiquant « pour la démocratie ». Les partis du trio de sinistre mémoire "Ahmed Osmane – Driss Basri – Fouad Ali El Himma" sont appelés à l’œuvre sous le commandement de cette marionnette incapable d’exprimer la moindre conviction, qui fait office de ministre des finances et qui ne mérite même pas d’être nommé ici. Le tout étant parrainé par l’ami du roi, encore lui, toujours lui ! Gageons que ce panier de partis administratifs, le découpage électoral aidant, arrivera à jouer un rôle de premier plan et verrouiller le paysage politique officiel rendant de facto toute tentative de réformisme impossible. On a beau élire des députés intègres, ils seront toujours incapables d’exister noyés dans cette machine électorale officielle. Au verrouillage constitutionnel, le pouvoir en rajoute un verrouillage politico-administratif, il n’est jamais assez prudent. Encore heureux, qu’il n’ait pas osé décréter des législatives référendaires ! Quant aux islamistes du PJD, depuis le 20 février ils ont démontré d’eux-mêmes en quel camp ils se situent : celui de l’immobilisme et du statut quo institutionnel rajoutant le conservatisme politique au sociétal.
Comme il a le souci du détail et ne fait jamais les choses à moitié, c’est même son style, le pouvoir a aussi pensé au taux officiel de participation. Le Maroc a le triste privilège d’être le seul pays au monde qui voit ses électeurs décroitre passant de 15.5 millions en 2007 à 13,6 millions en 2011 alors que sa population éligible est estimée à plus de 24 millions ! Chacun l’aura compris, dans cette configuration et même avec un nombre de votants n’excédant pas celui de 2007, le taux de participation augmenterait par effet mathématique pour atteindre plus de 42 %. On comprend mieux la précipitation à organiser des élections bâclées, elle permettrait d’éviter une refonte des listes électorales et de se contenter de leur allégement. De la mathématique élémentaire utilisée à bon escient.
Mais encore… s’il faut une raison de plus pour boycotter ces élections, plus personnelle celle-là, c’est de refuser de céder à la politique de la peur. Car même à supposer que l’enjeu est là et que les élections se déroulent sans cuisine électorale, je n’irais pas personnellement voter sous pression. Je n’irai pas voter alors que des militants sont raflés aux postes de police et interrogés pour le seul « crime » d’appeler au boycott, cela-même alors que les artistes affiliés au pouvoir diffusent leur triste propagande dans les médias officiels et ad nauseam. Je n’irais pas voter alors que plusieurs activistes du mouvement sont en prison à commencer par le rappeur Mouad LHaqed ou sous le coup de procédures judiciaires intimidantes. Je n’irais pas voter alors que chaque dimanche des Baltajiyas sont dépêchés pour faire les milices urbaines mutualisant leurs efforts avec celle de la police pour intimider, blesser et agresser les manifestants. Je n’irai pas voter alors que la répression se durcit à l’approche des élections. Boycotter c’est aussi une façon de dire ça suffit, basta à ces méthodes répressives qui n’impressionnent plus grand monde. Plus le pouvoir s’entête et se raidit, plus le boycott s’impose.
Le mouvement 20 février n’a pas à se laisser intimider ou à se décourager, ni céder à la violence. Il serait malhonnête et fortement tendancieux de dire qu’il a totalement changé le pays. Mais il serait encore plus malhonnête que de nier que là où la classe politique officielle va de désastre en désastre, le dynamisme c’est du côté du mouvement malgré une mobilisation toujours pas à la hauteur. Là où le panier des partis Osmane-Basri-EL Himma, pour s’en tenir à eux, peine à remplir une salle, lui au moins arrive à mobiliser des milliers de manifestants qui défilent chaque dimanche pour la liberté et la dignité de tous. Là où tout ce que compte le royaume de politiciens et élites, il est vrai sans prise avec les réalités sociales, est en campagne pour des strapontins administratifs, parlementaires et ministériels lui au moins se range du côté des laissés-pour-compte avec abnégation et dévouement. Là où le mur de silence, la politique du renoncement et de la lâcheté sont monnaies courantes, le courage c’est lui ! La passion de la politique et sa quête par des gens qui en étaient éloignés, c’est encore lui ! Un rapport de force est en train de prendre forme dans la rue, il sera structurant quand le temps des vraies réformes viendra. Cela prendra le temps qu’il faudra, mais une chose est sûre : le mouvement a rendu irréversible le cours de la revendication démocratique et ce n’est pas un 25 novembre qui changera la donne.
Le Maroc ne fera pas l’économie d’une vraie réforme institutionnelle. Le pouvoir avait l’occasion d’entamer les réformes qui s’imposent et d’instaurer une monarchie parlementaire, il ne l’a pas saisie. Le plus dramatique c’est qu’il fait perdre au pays en temps et en énergie ce qu’il aurait dû gagner en transformation démocratique. Telle est sa responsabilité devant l’histoire, la mienne c’est de ne pas valider sa démarche en participant à ses élections.
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Ali Fkir, facebook, 12/11/2011
Le BOYCOTT de la mascarade du 25 novembre est la seule position qui va dans le sens du mouvement des masses populaires pour le changement radical.
Il n'est pas question pour ANNAHJ ADDIMOCRATI de semer les illusions parmi le peuple.
Le changement ne viendra pas des "élections" orchestrées/maîtrisées par le ministère de l'intérieur et cela dans le cadre d'une "constitution" et autres lois antidémocratiques.
Le changement sera certainement imposé par la rue, par les masses populaires conscientes et organisées. Ce qui exige un travail de longue haleine, un travail en profondeur, loin des fanfaronnades petites bourgeoises, et de la phraséologie oiseuse.
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