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jeudi 29 septembre 2011

L’Arabie saoudite: Le roi Abdallah & le trompe-l’œil du droit de vote des femmes


par Aziz Enhaili, Chroniqueur de Tolerance.ca, 29/9/2011

Le 25 septembre 2011, le roi Abdallah a annoncé l’octroi aux Saoudiennes du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales de 2015 ainsi que celui de siéger au Conseil consultatif du royaume dès 2013. Un rideau de fumée cachant la réalité de la situation désastreuse des droits des femmes de son pays.

L’Arabie saoudite est une monarchie absolutiste. Le régime s’appuie sur une alliance historique entre la famille des Al Saoud et la dynastie des Al Sheikh, une alliance qui remonte à l’année 1744. La première contrôle le pouvoir et la rente, la seconde la culture et l’idéologie. Cette alliance a permis jusqu’ici la reproduction du système mis en place en 1932 par le roi Abdelaziz Al Saoud (1880-1953), le père fondateur de l’Arabie saoudite telle qu’on la connaît aujourd’hui.

Après avoir résisté, au cours de toutes ces décennies, à différentes vagues déstabilisatrices (nationalisme arabe, séparatisme, islamisme, jihadisme), l’Arabie saoudite s’est vue enfin rattrapée à son tour par le vent de liberté qui souffle depuis janvier 2011 sur l’ensemble du monde arabe. Pour prendre de court le mouvement réformateur de plus en plus actif dans son pays et tenter de faire taire les critiques au sujet de la situation des droits des Saoudiennes, le monarque absolu Abdallah (âgé de 88 ans) a cru que l’annonce, le 25 septembre 2011, de deux mesures favorables à la participation politique des femmes pourrait servir de rideau de fumée à la situation des droits des Saoudiennes dans son pays.

Le roi Abdallah et la participation politique des femmes saoudiennes

Ce dimanche, le Conseil consultatif a ouvert ses travaux pour une troisième année consécutive. À cette occasion, le roi saoudien a prononcé un discours remarqué de cinq minutes. Il a annoncé, à quatre jours des élections municipales du 29 septembre, deux mesures-phares. La première octroie aux femmes le droit de vote ainsi que celui de l’éligibilité aux élections municipales partielles de 2015. Une première dans l’histoire de cette monarchie ultraconservatrice. La seconde, celui d’être cooptées en 2013 par le pouvoir au sein de ce Majlis al-Choura.

Mais sachant l’hostilité franche des franges ultraconservatrices au sein de son régime et dans la société à toute intégration des femmes dans la vie politique, Abdallah a cru bon s’entourer des précautions d’usage. C’est pourquoi il a insisté sur deux éléments importants. Le premier clame la conformité des deux projets aux «principes de l'islam». Cet aspect idéologique est d’importance. Il cherche à neutraliser tout argumentaire religieux misogyne dans un pays où l’establishment religieux ne s’est jamais fait remarquer par la moindre ambition favorable aux droits des femmes. Le second élément de l’argumentaire royal s’est revendiqué de la «consultation des oulémas et d'autres personnalités» à l’intérieur et à l’extérieur de l’appareil religieux d’État. En se donnant ce surcroit d’onction de légitimité religieuse, Abdallah cherche visiblement à désamorcer l’opposition des milieux islamistes opposés, au nom de la religion, à toute amélioration du statut de la femme. Des groupes qualifiés par le souverain de «récalcitrants» qui n’ont «plus de place» dans le XXIe siècle!

Comme son nom l’indique à juste titre, le Majlis est une Assemblée consultative qui n'exerce ni pouvoir législatif (puisque s’il évalue les propositions de loi, il ne peut les modifier ou s'y opposer) ni contrôle sur l'exécutif. Tous ses 150 membres (depuis 2005 contre 120 en 2001 et 90 en 1997) sont désignés par le roi. Il compte des religieux et des figures de la «société civile». C’est d’ailleurs ce même Majlis qui avait demandé au monarque d’autoriser le vote des femmes, mais non leur éligibilité, en prévision des élections municipales de 2015. Cette sollicitation allait en partie dans le sens des demandes exprimées depuis de nombreuses années par des féministes saoudiennes.

Mais en renvoyant la date de participation féminine au scrutin de 2015, Riyad empêche ses ressortissantes de prendre part au scrutin du 29 septembre 2011. Le deuxième du genre et le seul à se tenir dans le royaume wahhabite.

À cette occasion, Riyad laissera aux seuls électeurs mâles le choix parmi plus de 5000 candidats de la moitié des 285 conseillers municipaux pour un mandat de quatre ans. Le pouvoir choisira quant à lui la moitié restante. À ce premier filtre de contrôle de cette élite s’ajoute le fait que les prérogatives de cette institution sont strictement limitées.

En prenant la décision d’exclure les femmes du scrutin de cette année, Abdallah a déjoué les pronostics de tous ceux, à Riyad ou Djedda, qui pensaient qu’il allait dès cette année leur faire une place parmi la moitié de cooptés de la Couronne. Deuxième surprise: le souverain ne s’est pas contenté de l’octroi du droit de vote aux femmes, puisqu’il leur a aussi accordé dans la foulée celui de l’éligibilité.

Mais autoriser les Saoudiennes à voter et à se porter candidates est notamment dû aux pressions de «l’aile» libérale du Majlis en faveur de leur participation. Un milieu qui n’avait pas hésité à menacer Riyad de boycott les élections de cette année en cas d’attitude négative. Tout en cédant sur la forme, Abdallah a gardé le contrôle de l'agenda, sauvant au passage la face, conformément à l’image du puissant chef tribal à qui le dernier mot devrait revenir. La preuve: il a renvoyé la date de cette participation au scrutin de 2015.

Mais ce n’est pas la première fois que Riyad exclut ses ressortissantes d’un scrutin municipal. Elle l’a déjà fait une première fois en 2005. À l’époque, un vif débat agitait la société. On pensait alors que la loi électorale accordant le droit de vote à «tout citoyen» allait permettre également aux femmes de prendre part au choix des élus municipaux. En vain!

Cette exclusion a énormément déçu les féministes dans ce pays. Elles pensaient que le débat social très intense de 2004 sur le statut de la Saoudienne avait fait mûrir les mentalités, mais c’était mal juger l’opposition culturelle d’une partie importante de la société, de l’establishment religieux, des chefs tribaux et même d’une partie de la famille régnante. Cette opposition montre que ni l’affaire Rania Al Baz-Al Fattalla en 2004 ni celle en 2002 des filles empêchées par la police religieuse de quitter un édifice scolaire alors qu’il brûlait en raison d'une tenu jugée non-conforme aux canons islamiquement acceptables, ne semblaient suffisantes à vaincre la réticence des milieux conservateurs. Cet incendie a causé la mort de quinze fillettes. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la vie culturelle saoudienne, rappelons que Mme Al Baz était une présentatrice vedette d’une chaîne de télévision nationale. L’ayant soupçonnée d’avoir un amant, Mohamed Al Fallatta, son mari d’alors, l’a battue et l’a laissée pour morte devant un hôpital, avant de fuir. En raison de l’influence de la famille Al Baz et de la popularité de la présentatrice, ce qui devait rester une affaire privée s’est transformée en quasi affaire d’État. Mais les Al Fattalla n’avaient pas dit leur dernier mot. Sa condamnation initiale à la prison à vie, pour tentative de meurtre, a été par la suite commuée en assaut aggravé! Rania Al Baz a relaté son histoire dans un livre paru en 2005 chez Michel Laffon (Quand un crime passionnel devient affaire d’État).

Rideau de fumée et vagues à venir

Même si tout compte fait, les deux récentes décisions d’Abdallah sont en soi un pas dans la bonne direction, il n’en demeure pas moins que la situation juridique et sociale des Saoudiennes est à la traîne de la plupart des autres pays arabes et musulmans. Ces femmes ne peuvent pas voyager seules, ni travailler ou subir la moindre intervention chirurgicale sans l’autorisation d’un tuteur mâle (père, frère, mari, etc.) Elles sont placées en position d'infériorité notamment en cas de divorce. Elles n’ont pas le droit non plus de conduire une voiture!

Une féministe comme Manal Al Chérif en connaît quelque chose. Cette consultante en sécurité informatique de 32 ans, devenue une icône des féministes saoudiennes, a été inculpée à deux reprises en mai 2011 à Khobar, dans l'est du pays, pour avoir «incité les femmes», selon les autorités, à prendre le volant après avoir mis sur YouTube une vidéo d'elle où on la voit conduire une voiture. On l’entend argumenter que cette interdiction n’a aucun fondement religieux et qu’elle est due en réalité à des considérations culturelles. De plus, conformément à la législation saoudienne, inciter les femmes à prendre le volant n’est pas un délit. Par conséquent, point de châtiment prévu dans ce cas de figure. Cette situation a mis les autorités dans l’embarras.

Des féministes ont multiplié les gestes de soutien à l’icône saoudienne. Elles ont créé sur Facebook une page dédiée à son combat. Elles ont demandé au roi Abdallah d’intervenir pour qu’elle soit libérée. Ce sera chose faite le 30 mai, soit deux semaines après sa seconde incarcération. Elles se sont également servies du tapage médiatique autour de Manal Al Chérif pour lancer la campagne Women2Drive (@W2Drive Saudi Arabia) sur Twitter, un appel aux femmes saoudiennes pour qu’elles bravent le vendredi 17 juin cette interdiction qui leur est faite de conduire. Le succès, aussi relatif soit-il (seulement une cinquantaine de femmes l’ont suivi), de cet appel a encouragé ces féministes qui veulent désormais que Abdallah signe un décret royal autorisant les femmes à conduire leurs voitures. Cette initiative féministe a trouvé en la Secrétaire d’État américaine Hillary Clinton un puissant appui. Aussi, plusieurs membres de la famille royale l’ont vu d’un bon œil.

D’importantes féministes saoudiennes ont salué le geste d’Abdallah en faveur du droit de vote des femmes. Mais ce n’est que l’arbre qui cache la forêt des multiples discriminations systémiques dont souffrent les femmes dans ce pays. De plus, le 27 septembre, deux jours seulement après l’annonce royale, une cour de justice de Djeddah a condamné une féministe, Sheima Jastaniah, à dix coups de fouet pour avoir conduit une voiture à Djedda en juillet dernier. Mais, la princesse Amira Tawil a confirmé la décision du roi Abdallah d'annuler cette condamnation.

Plusieurs changements sociaux et éco-politiques rendront désormais plus difficile la reproduction culturelle du schéma traditionnel des rapports de pouvoir entre sexes. D’abord, les Saoudiennes représentent désormais plus de la moitié des effectifs des diplômés universitaires. Même si ce changement n’a pas encore trouvé sa pleine traduction dans le marché du travail, puisque seulement 17% d’entre elles travaillaient en 2009 (selon les chiffres de l’Organisation internationale du Travail, contre 50% au Qatar et 42% aux Émirats arabes unis), ses répercussions à moyen et long termes sur l’ordre social en général seront majeures. Aussi, leur arrivée massive dans les années à venir sur le marché du travail sera inévitable pour deux raisons. D’abord, ce sera un des moyens privilégiés par les politiques publiques pour résorber un taux de chômage des jeunes (dont des femmes) qui a dépassé en 2009 les 30%. Une partie de ces travailleurs remplacera graduellement la main d’œuvre étrangère. Ensuite, la baisse des revenus du pétrole et l’amorce de sortie de l’économie mono-pétrolière seront davantage à l’avantage des citoyens qui ont fait des études universitaires, et donc des femmes. N’oublions pas aussi que dans ce pays, la plupart des garçons ne font pas de longues études et certains d’entre eux souffrent de taux élevés de décrochage scolaire. Au niveau éco-politique, le rôle crucial joué par leurs sœurs en Tunisie, en Égypte et (dans une moindre mesure) en Libye dans la chute de tyrans coriaces, a déjà montré aux Saoudiennes que le changement sociopolitique est possible. Cela leur a aussi permis de prendre conscience de l’utilité des réseaux sociaux pour tout nouveau mouvement de mobilisation populaire. C’est dans le cadre de ce nouveau paysage que leur présence dans la société se fera de plus en plus sentir et que l’on assistera par la force des choses à de plus en plus de gestes de défi de l’ordre social gardé par une police religieuse sourcilleuse, aboutissant au final notamment à la levée de l’interdiction de conduire une voiture. Promettant au passage des sueurs froides aux milieux conservateurs de leur pays.
http://www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=119987&L=fr

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