Son histoire tragique a ému la France entière. La nation des droits de l’homme et de l’égalité des sexes. C’est qu’on ne pensait pas un tel drame possible dans la France de 2010, celle-là même qui, dixit son Premier ministre, François Fillon, a décidé de faire de la lutte contre les violences faites aux femmes la «grande cause nationale» de l’année en cours. «Fadila la Marocaine» aussi était à mille lieues de se douter du terrible sort qui l’attendait dans sa nouvelle terre d’accueil.
En suivant son mari en France en 1996, cette fonctionnaire, ingénieure de formation, pensait que cet eldorado européen dont elle a tant rêvé lui offrirait opulence, sérénité, abri et protection. A elle et à ses enfants chéris. Amère désillusion. Battue sauvagement par son époux, qui finira par la délaisser pour s’en aller retourner vivre en Espagne, son premier pays d’accueil mais aussi terre de naissance de leurs enfants, Fadila reste en France, où elle élève seule ses trois petits. La jeune mère multiplie alors les demandes d’asile à partir de 2006, date d’entrée en vigueur de la circulaire sur les parents étrangers d’enfants scolarisés dans l’Hexagone. Avec leurs dix ans de résidence sur le territoire français, et la scolarisation de ses enfants depuis la maternelle dans les écoles du pays, Fadila est convaincue d’obtenir gain de cause. A la sous-préfecture, on lui réclame pièce après pièce. En 2008, son dossier cumule déjà 80 documents quand elle décroche finalement le fameux rendez-vous. Mais sa santé, fragile depuis plusieurs mois, lui fait faux bond le jour J. Reçue à l’hôpital, elle y luttera pour obtenir un titre de séjour sanitaire, avant d’y mourir quelques mois plus tard. Tuée par la maladie, achevée par son rude combat pour une vie digne pour elle et ses enfants. Ces derniers, n’ayant pu se faire accorder le document de circulation nécessaire, ne pourront pas accompagner leur mère, rapatriée au Maroc, vers son ultime demeure.
Comme Fadila, Salima et bien d'autres...
Salima, 28 ans, elle, croyait bien faire en allant dénoncer son compagnon de nationalité française pour violence conjugale en juin 2008, certificats médicaux à l’appui, au commissariat de Maubeuge, dans le Nord. A ses doléances de femme violentée, les policiers répondent par une garde à vue, un envoi au centre de rétention de Lille, puis par une expulsion vers son pays natal, le Maroc toujours, pour séjour irrégulier.
Leurs compagnes d’infortune subsahariennes ne sont pas mieux loties que les ressortissantes marocaines sans papiers. Beauty, nigériane arrivée clandestinement en France voilà 7 ans, a vendu son corps pendant trois ans pour pouvoir rembourser les 60.000 euros de sa traversée à ses passeurs. En 2006, elle dénonce sa proxénète. Quelque temps plus tard, sa maman est assassinée par les hommes de main de «sa mama» au pays. Dépourvue de titre de séjour, car représentant «une menace à l’ordre public» d’après de la préfecture de sa ville de résidence, Beauty vit aujourd’hui dans un aberrant statu quo, la France ne pouvant l’expulser étant donné que la menace de mort pèse sur elle au Nigeria et a été reconnue par les tribunaux ayant statué sur son affaire. Fatimatou, la malienne, elle, s’est retrouvée à la rue, acculée à vivoter de petits boulots pour pouvoir faire manger ses enfants, car elle a osé réclamer le divorce à son époux français polygame...
Elles sont plus de 2.000...
Au total, elles sont près de 2.000 femmes immigrées en situation irrégulière à s’être adressées depuis 2004 à la Cimade (Comité inter mouvements auprès des évacués, service œcuménique d’entraide), pour violences conjugales, mariage contraint, esclavage moderne, prostitution forcée ou encore mutilations sexuelles et crime d’honneur. Sans compter les milliers d’autres sans papiers victimes de violences en tous genres qui, par crainte de représailles de la part de leurs agresseurs ou d’expulsion par les autorités, gardent le silence. Sachant que quitter le domicile d’un conjoint, français ou en situation régulière, quand on vit soi-même «au noir», est délicat, et le mot est faible, lorsque la délivrance du fameux sésame de papier est soumise à la condition sine qua non de communauté de vie avec ladite personne. Des époux sans scrupules qui n’hésitent pas pour certains à exercer du «chantage aux papiers» pour maintenir leurs victimes sous leur joug.
Et l’organisation non gouvernementale d’accueil, d’orientation et de défense des demandeurs d’asile, des réfugiés et des migrants, affirme que le nombre de ces victimes particulières va en grossissant d’une année à l’autre. L’association en veut pour preuve la création d’une cellule en son sein spécialement consacrée à cette catégorie de femmes, sachant que rares sont les centres similaires à pouvoir prendre en charge ces «clandestines» sur le plan de l’hébergement, des soins médicaux et du soutien psychologique.
"Ni une ni deux"
Une situation «injuste et inhumaine», que la CIMADE, déterminée à aller au-delà du simple accompagnement juridique et administratif de ces femmes en souffrance, et avec le soutien de noms célèbres, comme l’auteure iranienne de bandes dessinées Marjane Satrapi ou la présidente d'honneur de la LDH, Françoise Seligmann, a décidé de dénoncer publiquement. Et ce en lançant une vaste campagne de sensibilisation à l’échelon de toute la France sous le slogan «Ni une ni deux», pour «alerter, conscientiser et mobiliser» l’opinion publique sur «la double peine» des femmes étrangères sans papiers victimes de maltraitances. Un «sexe faible» qui préfère se taire et souffrir dans sa chair, ou son âme (la violence morale et économique est très difficile à prouver), plutôt que de risquer le renvoi en confiant ses peines à aux oreilles «compétentes».
Si certaines parviennent à être sauvées de l’expulsion in extremis ou à revenir en France, à l’instar de Salima, grâce à l’acharnement de certaines associations, la majorité de ces femmes est renvoyée «chez elle» sur simple et unilatérale décision du préfet concerné, dans ce pays qu’elles ont tout fait pour fuir… et où les attend un avenir encore plus incertain : «Porter plainte est un droit en France. Quel que soit son statut administratif, que l'on soit français ou étranger, avec ou sans papiers. Mais la réalité est parfois bien différente (…) Il arrive qu'une femme se rende dans un commissariat, et soit reçue par un officier de police judiciaire qui la voit comme une délinquante, car ils ne sont pas formés à ce genre de situations (…) Nous profitons de la période électorale qui s'ouvre pour alerter les élus, locaux, régionaux, parlementaires et leur proposer une charte d'engagement", expliquent à ce propos des membres de la Cimade dans un entretien accordé récemment au quotidien l’Express.
Un texte qui garantirait le renouvellement automatique du titre de séjour pour les femmes étrangères victimes de violences, et offrirait une formation appropriée aux fonctionnaires amenés à travailler auprès de ces femmes, que ce soit dans les commissariats et gendarmeries, les administrations, les tribunaux et les autres instances sociales. Interpeller les politiques pour faire appliquer et évoluer les lois protégeant ces immigrées, au même titre que les autres citoyennes françaises. Mais aussi éveiller les consciences d’une société civile souvent ignorante des souffrances endurées par les femmes de communautés stigmatisées, car mal ou non connues. Aux yeux de la Cimade, comme de ceux des autres ONG humanistaires, ces immigrées sans papiers sont en effet davantage exposées à la violence des hommes et de la rue en raison de leur statut précaire et partant, souvent, de leur misère économique. Et le fait de ne pas protéger voire d’expulser ces femmes déjà vulnérables socialement, matériellement et psychologiquement, en leur trouvant notamment un refuge, comme l’exige la loi, constitue une autre forme de violence, institutionnelle et administrative celle-là. Une discrimination honteuse, qui n’a plus lieu d’être à quelques jours du débat à l’Assemblée nationale, le 25 février 2010, autour de la nouvelle loi pour la prévention et la répression des violences faites aux femmes et pour le renforcement de la protection de ces dernières. Dans ce même pays où un certain Nicolas Sarkozy, alors en pleine campagne présidentielle, avait promis «la protection de la France à chaque femme martyrisée dans le monde» , et ce en lui offrant «la possibilité de devenir française». Mirage ou proche réalité Réponse dans les jours à venir…
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