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mardi 28 juillet 2009

Dix ans de règne: l’Hégémonie et l’Avenir



Par Larbi, 28/07/ 2009

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Mohammed VI: dix ans de règne
Cela fait maintenant dix ans que Mohammed VI est roi du maroc. L’heure de dresser, c’est un euphémisme, le bilan.
Il ne s’agit pas ici de parler des qualités humaines de Mohammed VI , homme sympathique au demeurant, encore moins d’éprouver un quelconque sentiment d’admiration ou d’aversion envers sa personne . Il s’agit d’évoquer un bilan, partiel et forcément partial, de Mohammed VI, roi du Maroc, chef de l’Etat marocain, chef de l’Exécutif marocain, qui préside à la destinée de 30 millions de Marocains. Qu’il soit permis d’aborder ici l’exercice dans ce cadre.
Se revendiquant de l’héritage de Hassan II, le roi Mohammed VI s’est situé dans la continuité des institutions léguées par son père. Une monarchie quasi-absolue par le texte de la constitution marocaine, absolue dans ses pratiques de pouvoir. De la présidence du conseil des ministres à la nomination des hauts fonctionnaires de l’Etat, de la feuille de route fixée au législateur au début de chaque session parlementaire à la présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature, de la définition des grandes orientations de l’Etat et la politique territoriale à la conduite de la diplomatie et l’armée, pas une seule affaire majeure ou mineure n’a échappé au contrôle du roi. Dix ans durant, Mohammed VI a non seulement gardé jalousement ses larges prérogatives mais il y est allé de ses pratiques personnelles : la multiplication des fondations, délégations, agences, toutes dotées d’un réel pouvoir exécutif et rattachées au palais. Le roi qualifie lui-même ce régime de «monarchie agissante » et « monarchie exécutive » mais il serait plus juste de parler de monarchie absolue.
Le constat majeur est l’affaiblissement de toutes les autres institutions. Si le parlement et le gouvernement marocains disparaissent, personne ne s’en apercevrait. Le pays continuerait à être gouverné grâce à une hégémonie monarchique assumée et qui bien souvent rabaisse les autres institutions au rang de simples exécutants à la disposition de Sa Majesté.
Avec constance, Mohammed VI n’aura fait aucune concession même sur le symbolique terrain du protocole royal. En 2009, la révérence pour le roi continue à être de mise tout comme le baise-main pratique venue d’un autre temps. La sacralité du roi, chef de l’Etat et chef de l’exécutif, continue à renvoyer aux tribunaux journalistes, citoyens et parfois des vieillards en fin de vie avec des peines de prison en prime. Et si Mohammed VI a relativement laissé libérer la parole politique, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui encore il est conseillé de doser sa parole et savoir s’arrêter s’agissant des lignes rouges. Situation intenable dans une monarchie exécutive.
Au final, concernant le bilan institutionnel il s’agit d’une stagnation, synonyme de régression eut égard aux dix années d’actions possibles.
Paradoxalement, au terme de dix ans de pouvoir Mohammed VI a beaucoup transformé la culture politique du pays. Pour exercer ses prérogatives le jeune roi s’est entouré de ses anciens camarades et de technocrates désignés par ses soins et ne rendant compte qu’à lui. Ici ils sont walis et gouverneurs, la-bas ils sont directeurs d’administrations centrales, conseillers et membres du cabinet, ou encore directeurs d’offices et organismes publics. Certes la compétence de quelques-uns n’est pas en cause, mais à force de faire des seigneurs et des fortunés, la culture politique a suivi. Tout le monde l’aura assimilé, la méritocratie se conjugue aujourd’hui à la proximité avec le roi synonyme d’ascension sociale et baromètre des gens qui comptent. Un candidat à la direction du patronnant s’est désisté car on ne se porte pas concurrent face au candidat du roi. Tout récemment le patron de la puissante CDG, bras financier de l’Etat, a été brutalement limogé sans que personne ne sache pourquoi. Les présidents de banques à statut privé désignés en dehors de leurs conseils d’administration. Beaucoup d’hommes politiques, anciens militants de gauche, même de simples citoyens se lancent aujourd’hui dans une indigne entreprise de séduction et de servilité pour accéder au sésame de proximité royale. Si bien que quand Fouad Ali El Himma, ami du roi, a crée un parti affilié à la monarchie, il lui en a pas fallu longtemps pour devenir la première force politique du pays. Aujourd’hui, le rêve et l’idéal de beaucoup de Marocains sont d’arriver à rentrer dans le cercle du roi et, à défaut, approcher l’un de ses proches. Le débat public en souffre, il est marqué par la flatterie et les compliments faciles seuls désormais écoutés. Hassan II était craint, Mohammed VI est aimé et surtout flatté. Le roi confirme cet état d’esprit lui qui dans un de ces discours a réduit les derniers refuzniks à des « sirènes nihilistes qui répandent le désespoir et sèment le doute».
Ne donnant pas d’interviews, ne communiquant que pas des discours laborieux, Mohammed VI demeure un mystère, et ce n’est vraiment pas un euphémisme, même pour ses adeptes les plus passionnés. Le projet politique du roi, ses motivations et ses choix en matières de politiques publiques, le pourquoi et le comment des arbitrages illisibles, des décisions changeantes, à supposer qu’un cap soit fixé, restent des énigmes bien gardées dans l’enceinte du palais. Les Marocains se trouvent, et c’est logique, privés d’en discuter la pertinence et la validité pas plus qu’ils ne peuvent les évaluer ou même donner leur avis. Le destin de 30 millions de personnes est engagé par les seuls faits du roi qui selon l’adage sait où est le bonheur de son peuple grâce à sa vision forcément éclairée et pertinente. A dérouler le film des dix ans en arrière, on se retrouve face à un vide éloquent s’agissant des enjeux de la nation: aucun débat économique, aucune consultation sur un aspect ou un autre et aucune évaluation des politiques publiques. A défaut, le débat public est meublé par des mythes, il faut bien remplir le vide.
Parmi ces mythes, le « boom économique » cette contrepartie au pouvoir absolu que le peuple aurait consentie sans que l’on sache quand et comment.
Nul ne contestera que la situation économique et financière du Maroc après dix ans de règne ne s’est pas dégradée au contraire elle s’est nettement améliorée à en juger par les infrastructures qui se sont beaucoup développées. Mais nul ne contestera non plus que dans ce domaine, feu Hassan II a placé la barre si bas qu’il était facile de la franchir.
De 1999 à 2007 la croissance annuelle moyenne du PIB était de 4 % au Maroc, 4 % en Egypte et 5 % en Tunisie. Le revenu national brut/habitant (GNI) est passé de 1320 en 1999 à 2290 USD en 2007 soit un rebond de 73 %. Pour la même période il a progressé de 2090 à 3210 USD en Tunisie (+53 %) et de 1360 à 1580 (+16%) en Egypte. Mais à parité de pouvoir d’achat le GNI PPA/habitant a évolué dans les mêmes proportions que les deux autres pays : 2510 à 4050 pour le Maroc (+61%), 4370 à 7140 pour la Tunisie (+63%), 3570 à 5370 pour l’Égypte (+50 %). Le Maroc, l’Egypte et la Tunisie ont fait des performances équivalentes avec une prime de départ à la dernière. Un Marocain ne s’est pas plus enrichi qu’un Egyptien ou un Tunisien. Les riches sont devenus plus riches et les pauvres quand ils ne deviennent pas plus pauvres ils voient passer la croissance sans en profiter.
En outre, et ce n’est pas l’aspect le moins inquiétant, l’indice composite de développement humain 2007/2008 élaboré par le PNUD et qui agrège les données sur la pauvreté, la santé le savoir et le niveau de vie classe le Maroc 126ème parmi 177 pays (Égypte 112ème, Tunisie 91ème). Un indice balayé d’un revers de main rapide alors qu’il n’est que la synthèse des statistiques officielles. In fine, la croissance économique, réelle sans pour autant être extraordinaire, n’a profité qu’à quelques privilégiés. Les prometteurs immobiliers, les investisseurs étrangers et les holdings locaux dont les plus importantes appartiennent au roi ou à son entourage et représentent une barrière mentale, quand ils n’usent pas de moyens condamnables, à l’épanouissement du monde d’affaires.
Au fond, le pays s’est engagé sur une voie déjà fréquentée par d’autres. Celle empruntée par exemple par le président Benali qui aurait fait à son peuple l’aumône d’un « miracle tunisien ». Avec un petit plus marocain qui ferait la nuance : la sympathie de Mohammed VI, et sa sincère sensibilité sociale, et la relative liberté d’expression comparativement au pays voisin. Il était dès lors nécessaire de construire dans l’opinion l’idée qu’après un roi exécutif, il n’y a point de salut.
La marginalisation des partis politiques, leur rabaissement, a laissé un champ de ruine. Au bout de dix ans tout le monde a fini par lâcher prise, l’enjeu, des miettes de pouvoir, est si minime qu’il ne sert à rien de se battre. Nul ne peut rivaliser avec le palais qui aura exercé pendant dix ans une concurrence déloyale par ses pratiques de pouvoir, leurs étendus et les privilèges accordés à ses hommes. Pire, tout le monde a intégré l’idée que toute autre voie est une prise de risque dont l’issue est un désastre. Ce qui, soit dit en passant, est insultant pour un peuple de 30 millions d’habitants. Le premier ministre se voit empiéter sur ses prérogatives, souvent humilié dans l’exercice de ses tâches, sans oser souffler un mot. Finalement le salut viendra , là-aussi, par un ami du roi qui avec son nouveau parti abrégera la souffrance de tout le monde. La logique est poussée jusqu’à son paroxysme, cela a même une vertu pédagogique !
La classe politique a succombé la première à la résignation. Qui se souvient encore que le roi Hassan II avait fait aux partis du mouvement national la proposition, même incinère, de leur transférer l’essentiel de l’exécutif et ne garder qu’un domaine réservé ! Qui se souvient encore qu’au journaliste du Nouvel Observateur qui s’étonnait de la présence dans le gouvernement des ministres de souveraineté, ils étaient cinq, Abderrahmane EL Youssoufi a eu en 1998 ces mots : « Il fallait démarrer comme ça. Mais cela ne va pas durer éternellement. Dans quelques années, cela changera ». Tout cela paraît aujourd’hui loin, révolutionnaire, porteur de risque pour le Maroc et insultant pour la monarchie. En somme, la marche de l’histoire vers l’arrière. Pour le reste, inutile de refaire le dessin: il y a au Maroc un pouvoir et guère de contre-pouvoirs sinon celui de quelques titres de la presse.
Mais il est à porter au crédit du roi Mohammed VI certains avancées. La création de l’IER et ses travaux de mémoire, à minima, qui demeurent malheureusement inachevés à commencer par ses timides recommandations qui n’ont jamais été appliquées. La réforme du statut de la femme et du code de la nationalité, deux actions louables sans pour autant être de premier plan ni bouleverser la société marocaine.
Il n’y a pas d’incompatibilité entre une monarchie qui règne et la démocratie. C’est même salutaire pour la stabilité du pays et sa cohésion. Il y en a en revanche une entre une monarchie qui gouverne et la démocratie. Surtout quand celle-ci étouffe les institutions issues du suffrage universel. La longévité au pouvoir exécutif n’est pas une chance, c’est une aberration. Fatalement elle s’accompagne de l’usure et des déceptions. Au bout de leurs longs mandats, des chefs d’Etat admirés ont finit par décevoir. Même Nelson Mandela, président, a déçu. Le général de Gaule, président, a déçu.
C’est humain, cela vaut pour tous les chefs d’Etats du monde : on entre au pouvoir en étant de son temps, on finit par ne l’être plus. Au bout d’un moment on évolue, avec son entourage, moins vite que le pays.
Construire une démocratie. Voilà un beau chantier pour ce début de la deuxième décennie du règne de Mohammed VI. Evoluer vers ce régime appelé « monarchie parlementaire » et qui n’est pas la réalité du Maroc d’aujourd’hui. Le lien privilégié, tissé entre le roi et beaucoup de ses concitoyens, pourrait permettre cet espoir. La situation de trop de Mohamed VI , pas assez de Marocains est dangereuse pour le Maroc, elle représente un déni de la démocratie. Dans un monde déstructuré, en plein bouleversement, le destin du Maroc se fera avec les Marocains et non par la seule grâce d’un seul homme fut-il le roi Mohammed VI. Les institutions les pratiques de pouvoir actuelles ont fait leur temps. Le roi Mohammed VI pourrait reprendre à son compte, avec sincérité cette fois-ci, la proposition de son défunt de son père de s’en tenir à un domaine réservé et laisser l’exécutif aux institutions du suffrage universel qui devrait peser et légitimer l’action politique. Il est temps de donner un signe dans ce sens. Rien n’autorise l’attentisme et le renoncement.

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