Le
jour, une poignée de casques bleus de la Minurso (contingent des
Nations unies au Sahara occidental) s’interposent entre les gendarmes
marocains et les hommes en armes du Front Polisario distants de 120
mètres. La nuit, plus personne ne sépare les deux groupes armés qui se
font face depuis bientôt quatre mois à Guerguerat, à l’extrême Sud du
Sahara occidental dans un no man’s land d’à peu près cinq kilomètres
entre le mur militaire marocain et la frontière de la Mauritanie.
Depuis le cessez-le feu de 1991 entre le
Maroc et le Front Polisario, qui se disputent cette ancienne colonie
espagnole, jamais la tension n’a été aussi vive entre les deux
adversaires, ni le risque d’une reprise des hostilités aussi élevé.
Acte 1 : les Marocains franchissent le mur à Guerguerat
L’histoire commence le 14 août 2016
quand des hommes du génie civil marocain escortés par des gendarmes
franchissent le mur à Guerguerat et commencent à goudronner la piste,
par où circulent des camions, qui mène à la douane mauritanienne. Dix
jours plus tard, la wilaya de Dakhla confirme l’opération entreprise par
le Maroc visant « à garantir la sûreté et la sécurité des usagers de
cet axe routier (…) ». Dans un communiqué, elle précise aussi qu’il
s’agit de « nettoyer » la zone et de « mettre fin aux activités de
contrebande ».
Le Polisario frappe alors à toutes les
portes, celle de la Minurso et de Christopher Ross, l’envoyé spécial du
secrétaire général de l’ONU pour le Sahara occidental, pour leur
demander de stopper le goudronnage qu’il considère comme une violation
de l’accord du cessez-le feu de 1991. Ce dernier interdit toute activité
militaire dans cette zone. Il espère que la Minurso va réagir comme
elle le fit il y a 15 ans en arrêtant un projet similaire du Maroc. Il
n’en sera rien.
Les indépendantistes sahraouis
soupçonnent le Maroc de chercher, à travers le goudronnage, à asseoir
son emprise sur cette zone qu’ils considèrent comme faisant partie des
« territoires libérés ». L’absence d’autorités dans cette frange
saharienne a permis que s’y développent toutes sortes de trafics.
Le précédent Lagouira
Rabat n’en est pas à son premier coup à
Guerguerat. Elle a déjà tenté, d’après des sources diplomatiques arabes
non marocaines, de mettre la main, en décembre de 2015, sur la bourgade
abandonnée de Lagouira, située à l’extrême Sud du Sahara occidental et à
quelques encablures de Nouadhibou, la deuxième ville de Mauritanie.
En effet, le 12 décembre 2015, trois
« poids lourds » marocains -le ministre des Affaires étrangères
Salaheddine Mezouar, le chef du service secret (DGED), Yassine Mansouri
et le commandant de la zone Sud, le général Bouchaib Arroub- rendent
visite à Nouakchott au président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz.
Leur but était de convaincre Abdelaziz
de remettre Lagouira au Maroc. Après tout, cet ancien village de
pêcheurs avait déjà été sous contrôle marocain depuis l’annexion, par
Rabat en 1979, de la partie mauritanienne du Sahara occidental, jusqu’en
1989. Le roi Hassan II avait alors cédé aux supplications du président
Maaouiya Ould Sid Ahmed Taya pour que les Marocains se retirent
provisoirement de la ville et éloignent ainsi la guerre de Nouadhibou
d’où partent les exportations mauritaniennes.
La rencontre de Nouakchott, en décembre
2015, n’a pas dû bien se passer. Quelques jours après sa tenue, les
Mauritaniens ont hissé leur drapeau dans la bourgade et des patrouilles
militaires ont circulé dans les ruelles désertes. Rabat protesta en
janvier 2016 et le chargé d’affaires mauritanien fut convoqué au
ministère des Affaires étrangères, selon le quotidien marocain Akhbar al Yaoum.
Acte 2 : le Polisario prend l’initiative sur le terrain
Le deuxième épisode de cette affaire
semble se jouer maintenant à Guerguerat. La Minurso fit la sourde
oreille aux appels du Polisario. Farhan Haq, porte-parole adjoint de
l’ONU, alla jusqu’à dire, le 18 août, qu’aucun matériel militaire
marocain n’avait été détecté au-delà du mur. Or, juste après, un rapport confidentiel du Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU, dévoilé par l’agence américaine Associated Press, signalait cependant que le Maroc avait bel et bien violé le cessez-le-feu.
La guérilla indépendantiste prit alors
l’initiative sur le terrain. Elle envoya, le 28 août au petit matin, une
trentaine d’hommes armés –aujourd’hui ils dépassent la centaine –
bloquer l’opération de goudronnage lancée par le Maroc, commettant à son
tour une violation du cessez-le-feu. Quelques heures après, les
casques-bleus réagirent enfin. Ils s’interposèrent entre les deux
anciens belligérants pendant la journée. Faute de moyens ils ne purent
le faire pendant la nuit.
La diplomatie se mobilisa elle aussi. Le
Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, exprima le 29 août sa
« préoccupation » et demanda aux deux parties le retrait de « tous les
éléments armés et le retour au statu quo ». Le « numéro deux » de la
diplomatie espagnole, Ignacio Ybañez, appela Rabat et Rabouni (siège de
la direction du Polisario) pour leur demander de « faire preuve de
retenue ». Il fit cette démarche au nom du Groupe des amis du Sahara
occidental à l’ONU qui comprend l’Espagne et tous les membres permanents
du Conseil de sécurité sauf la Chine.
Réunion du Conseil de sécurité
Le Conseil de sécurité se réunit, à son
tour, le 9 septembre. Certains de ses membres « alertèrent du risque
d’escalade », selon le « think-tank » Security Council Report, mais « la
France, le Sénégal et l’Espagne mirent en garde contre une réaction
excessive » de l’ONU, ajoute-t-il. Les puissances proches du Maroc
empêchèrent donc toute réaction.
Kim Bolduc, qui dirige le contingent des
Nations unies au Sahara, entreprit cependant une médiation. Elle
demanda aux deux partie de se séparer jusqu’à 300 mètres et proposa que
ce soit la Minurso, et non pas les Marocains, qui termine le goudronnage
de la piste. Le Polisario refusa net. « Cela voudrait dire que l’ONU se
chargerait de mener à bien un projet marocain qu’elle-même a considéré
auparavant comme une violation du cessez-le-feu », argumenta Ahmed
Boukhari, représentant du mouvement indépendantiste à New York.
Satisfait d’avoir bloqué la percée
marocaine à Guerguerat, le Polisario a poussé le bouchon plus loin. Il a
envoyé, d’après l’ONU, ses hommes armés à Bir Lehlou et à Mijet, deux
hameaux de cette frange du Sahara qui n’est pas contrôlée par le Maroc.
Le leader indépendantiste, Brahim Ghali, s’est même rendu au bord de l’océan Atlantique,
quelque part dans ce no man’s land entre le mur marocain et Lagouira.
Aucun responsable du Polisario n’y avait mis les pieds depuis un quart
de siècle. La presse marocaine accuse d’ailleurs Nouakchott d’avoir été
complice de cette « randonnée provocatrice ».
| LIRE AUSSI : Sahara occidental : nouveau déploiement de l’armée sahraouie près de la frontière avec la Mauritanie
Renforts marocains dans le sud du Sahara
Plus récemment les combattants sahraouis
se sont mis à construire en dur face aux marocains « pour se protéger
en cas d’agression », selon Mohamed Khaddad, le coordinateur du
Polisario avec la Minurso. Le général marocain Arroub a répondu en
informant l’ONU qu’il ordonnait l’envoi de renforts dans la zone sud du
Sahara, mais ils ne devraient pas franchir le mur. Des sites proches du
Polisario ont montré, le samedi 17 décembre, des photos de chars de
combat marocains prises au téléobjectif.
Pour le moment, le mouvement
indépendantiste ne contrôle ni le contenu ni la documentation des
camions qui, entre la douane marocaine à Guerguerat et celle
mauritanienne cinq kilomètres plus au sud, traversent la position qu’il a
établi fin août. Ses responsables laissent cependant entendre que si
les gendarmes marocains, que viennent visiter régulièrement des
officiers des Forces armées royales, ne rebroussent pas chemin, ils
pourraient se mettre à inspecter les véhicules et à tamponner les
passeports des chauffeurs routiers avec le sceau de la République arabe
sahraoui démocratique (RASD).
« Une telle éventualité risquerait (…)
de ramener le conflit à la période d’avant le 6 septembre 1991 »,
c’est-à-dire à la guerre, prévenait Le 360, le journal marocain
en ligne plus proche du palais. Même si l’armée marocaine ne ferait
qu’une bouchée des guerrilleros sahraouis, il est peu probable qu’elle
se lance dans une opération coup de poing. « Dans le contexte du retour
[du Maroc] au sein de l’Union africaine cela serait un argument offert à
ses détracteurs », signale le journal marocain en ligne Le Desk.
En découdre avec le Maroc
Les responsables du Polisario ne sont
pas mécontents de la tournure prise par les événements. D’une part ils
ont réussi à stopper l’opération marocaine ; leur nouveau leader –Ghali a
été élu en juillet dernier à la tête du mouvement- a montré du muscle
en s’exhibant aussi au bord de l’Atlantique, d’autre part. Ils espèrent
enfin que cette tension va donner une certaine visibilité à un conflit
oublié et inciter le Conseil de sécurité à se mêler de l’affaire en
obligeant Rabat à reprendre les négociations. Pour attirer l’attention
de la communauté internationale, certains indépendantistes rêvent même
d’en découdre avec le Maroc, mais c’est là une décision qu’ils ne
peuvent prendre sans le feu vert de l’Algérie.
Le Maroc, lui, veut continuer son
goudronnage et étendre son contrôle sur le sud du Sahara, mais il ne
souhaite pas que le contentieux saharien soit, comme dans les années
quatre-vingt, placé sous les feux de la rampe. Cela pourrait nuire à sa
tentative de réintégrer l’Union africaine ou même redonner à l’ONU un
plus grand rôle alors qu’il a cherché à réduire sa présence. Pour
preuve, Rabat a expulsé en mars dernier 80 agents de la branche civile
de la Minurso et même si, en juillet, elle a fini par accepter leur
retour, moins d’un tiers est aujourd’hui revenu au Sahara.
Les amis du Maroc à l’ONU évitent eux
aussi de donner la moindre publicité à l’affrontement larvé qui se
déroule à Guerguerat. Sur les sites des ministères des Affaires
étrangères français et espagnol on trouve toutes sortes de communiqués
sur les sujets les plus divers, mais pas un seul récent sur le Sahara ou
le Maroc.
L’Espagne, qui préside en décembre le
Conseil de sécurité, n’avait programmé aucune séance sur le sujet. À la
demande d’autres pays membres une réunion s’est finalement tenue le 13
décembre, mais la présidence espagnole s’est abstenue de donner à la
presse la moindre information sur son déroulement, selon le journal en
ligne Inner City Press spécialisé dans la couverture de l’ONU.
Si, par hasard, une étincelle finissait
par mettre le feu aux poudres à Gueguerat la responsabilité incomberait à
ceux qui se font face sur le terrain, mais aussi aux puissances qui à New
York ont empêché que l’ONU joue pleinement son rôle au Sahara.
| LIRE AUSSI : Le président sahraoui poursuivi pour génocide par un haut tribunal espagnol
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Voir aussi :
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Voir aussi :
A
la frontière avec la Mauritanie se joue une partie d’échecs difficile
pour le Maroc qui, poussé par sa volonté d’asseoir sa suprématie dans
une zone au statut ambivalent, se voit chahuté par le Polisario au
moment où il tente de convaincre de son bon droit à retrouver la grande
famille africaine au sein de l’UA
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