On s’attendait à de longues discussions en coulisses, à d’intenses marchandages entre les candidats et le «P5», les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Finalement, le processus de désignation du successeur de Ban Ki Moon s’est révélé moins délicat et plus rapide que prévu. Mercredi, après un sixième vote informel largement remporté, comme les cinq précédents, par Antonio Guterres, le Conseil s’est mis d’accord. Dans un signe d’unité extrêmement rare, les ambassadeurs des quinze pays membres, visiblement satisfaits, se sont présentés ensemble face à la presse. La représentante américaine Samantha Power, et son homologue russe Vitali Tchourkine, qui il y a deux semaines avaient refusé de s’écouter lors d’une réunion très tendue sur la Syrie, sont apparus côte à côte. Et c’est le représentant de la Russie, qui assure en octobre la présidence tournante du Conseil, qui s’est adressé aux journalistes : «La participation de tous les candidats a été extrêmement précieuse. Nous voulons exprimer notre gratitude à tous ceux qui ont pris part à cette campagne. Mais aujourd’hui, nous avons un grand favori. Et son nom est Antonio Guterres».


Lors du vote informel de mercredi, l’ancien Premier ministre du Portugal a largement devancé les neuf autres candidats en lice - cinq femmes et quatre hommes. Sur les 15 pays membres, Guterres a reçu 13 votes favorables, aucun défavorable et deux «sans opinion». Ses premiers poursuivants, dont la directrice générale de l’Unesco Irina Bokova, n’ont pu faire mieux que sept votes positifs. Un scrutin formel se tiendra ce jeudi vers 10 heures à New York (16 heures à Paris) pour confirmer le choix du candidat, mais son issue ne fait aucun doute. «Nous souhaitons tout le bien à M. Guterres pour s’acquitter de ses devoirs de secrétaire général des Nations unies ces cinq prochaines années», a d’ailleurs déclaré sans attendre l’ambassadeur russe. Une fois désigné par le Conseil de sécurité, Antonio Guterres devra être élu par l’Assemblée générale des Nations unies.
Ancien Premier ministre du Portugal, Antonio Guterres a également dirigé pendant une décennie, de 2005 à 2015, le Haut commissariat pour les réfugiés. Fin connaisseur des arcanes de l’ONU, charismatique, ce socialiste anglophone et francophone est très respecté dans le milieu des ONG. «Le Conseil de sécurité a choisi un défenseur fervent et efficace des réfugiés qui a le potentiel d’adopter un ton radicalement différent sur les droits de l’homme en cette période de grands défis», se félicite Louis Charbonneau, en charge des questions onusiennes au sein de Human Right Watch. Il ajoute toutefois que «le prochain secrétaire général de l’ONU sera jugé sur sa capacité à tenir tête aux puissances qui l’ont choisi, que ce soit sur la Syrie, le Yémen, le Soudan du Sud, la crise des réfugiés ou le changement climatique».
Dans un contexte de très vive tension entre Moscou et Washington, symbolisé par la rupture des pourparlers sur la Syrie, la sélection en douceur d’Antonio Guterres offre un rare moment d’unité. «C’est une excellente nouvelle, sur la méthode et sur le fond, pour les Nations unies», s’est félicité l’ambassadeur français, François Delattre. Un autre diplomate occidental salue quant à lui «la sérénité» et «le professionnalisme» des membres du Conseil, «assez remarquable dans le contexte syrien». «On ne s’attendait pas à ce que le processus se termine aussi rapidement», admet-il. En coulisses, peu estiment toutefois que cet accord sur l’identité du successeur de Ban Ki Moon puisse contribuer au réchauffement des relations russo-américaines ou à une avancée diplomatique sur la Syrie.
Enfin, ceux qui espéraient que le neuvième secrétaire général de l’ONU serait, pour la première fois, une femme, seront probablement déçus par le choix d’Antonio Guterres. Les candidates en lice, parmi lesquels Irina Bokova, la commissaire européenne Kristalina Georgieva et l’ancienne patronne du PNUD Helen Clarke, n’ont jamais semblé en mesure de s’imposer. «Nous étions favorables à ce qu’une femme prenne la tête de l’ONU mais cela n’a jamais été une condition sine qua non, explique un diplomate du Conseil. La compétence et les mérites de chaque personne étaient le critère principal». Un point sur lequel Antonio Guterres, 67 ans, a visiblement été le seul à faire l’unanimité. Pour espérer voir un jour une femme à la tête de l’organisation internationale, il faudra donc attendre cinq, voire dix ans supplémentaires. Hormis l’Egyptien Boutros-Boutros Ghali, les cinq derniers secrétaires généraux de l’ONU ont tous effectué deux mandats consécutifs.
Frédéric Autran Correspondant à New York