MAROC – Huit ans ! Déjà…
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C’est l’histoire d’une descente aux
Enfers… Celle d’un citoyen belge, arrêté en Espagne, puis relaxé par un
célèbre juge, Baltasar Garzón ; mais ensuite quand même extradé par le
pouvoir exécutif espagnol, à la demande discrétionnaire des autorités
marocaines… Une extradition dangereuse, vers un pays connu pour le peu
de cas qu’y font de la vie humaine policiers et militaires… C’est
pourquoi le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, qui s’était saisi de
l’affaire, avait donné un avis très défavorable au gouvernement
espagnol, qui est néanmoins passé outre… L’histoire d’un citoyen belge,
qui n’a reçu aucune assistance du ministère des Affaires étrangères de
son pays.
L’attitude
du ministre belge concerné, Didier Reynders, qui refuse de mobiliser la
représentation diplomatique belge au Maroc, reste inexplicable… Racisme
latent ? Négligence à l’égard d’un « citoyen de seconde classe » dont
le sort ne mobilise pas les foules ? Ou simple « realpolitik » de la
part d’un ministre libéral au sang froid qui ne souhaite pas, pour
sauver simplement la peau d’un « bougnoul », se fâcher avec un
partenaire économique historique, défini par le secrétariat d’État au
commerce comme la porte d’entrée vers l’Afrique subsaharienne ?
Il est vrai que la croissance moyenne du
royaume chérifien est actuellement de 4,5% et que les exportations
belges y progressent sensiblement chaque année. Alors, pourquoi risquer
une crise diplomatique pour un moribond, d’ailleurs « pas tout à fait
belge », en mettant le doigt sur une erreur judiciaire que le
gouvernement marocain refuse coûte que coûte de reconnaître ?
Sans compter que le roi du Maroc possède
60% des actions de la Société nationale d’Investissement et fait chez
lui la pluie et le beau temps dans le domaine qui intéresse le plus le
gouvernement belge… C’est là tout le principe du makhzen, cette
nébuleuse qui gravite autour de la famille royale et imbrique les
pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire et le monde entrepreneurial
et financier.
La vie d’Ali Aarrass, depuis avril 2008,
est emportée par le torrent d’une « justice » marocaine surréaliste, où
se succèdent les procès dont les verdicts sont ficelés d’avance… Les
avocats belges qui se sont rendus au Maroc pour plaider la cause de leur
client en sont revenus stupéfaits, écœurés : « Les juges n’écoutent
pas ; certains lisent, jouent avec leur téléphone portable ; d’autres
s’assoupissent pendant les plaidoiries », déclare Maître Nicolas Cohen ; et l’avocat, ému, d’ajouter : « Parfois,
quand je parle d’Ali, à la maison, mes jeunes enfants me demandent :
‘C’est qui, Ali ? Pourquoi est-ce que des policiers ont pu se tromper ?
Pourquoi est-ce qu’ils ont envie de garder Ali en prison ?’ »
On le sait, le Maroc, « l’élève modèle »
du Maghreb en matière de Droits de l’Homme, selon Paris et Bruxelles
-et toute l’Union européenne béate d’admiration-, n’est en réalité pas
moins indifférent au respect des libertés individuelles que ses voisins
(exception faite de la Tunisie ?). On torture sans état d’âme dans les
geôles du régime, qui pour arracher des aveux, qui pour mâter les
prisonniers les plus audacieux à vouloir faire valoir leurs droits les
plus légitimes, qui, parfois, par habitude d’une culture carcérale
immuable…
Le « bon élève » est un leurre de
papier : certes, la législation marocaine a multiplié, ces dernières
années, les textes et articles promouvant les droits de la famille, les
droits de la femme, les droits individuels, la collaboration avec les
instances onusiennes, etc. Mais, dans les faits, dans la réalité
quotidienne de ce royaume quasi théocratique où tout un establishment
politico-financier gravite autour du monarque, ces lois, qui
émerveillent les partenaires économiques occidentaux du Maroc, demeurent
lettres mortes.
La Constitution de 2011, tant vantée
pour ses « ouvertures démocratiques » par les chancelleries occidentales
de tout poil, n’a en réalité rien changé au fait que le roi gouverne
seul : il s’est agit d’un os, jeté aux contestataires du Mouvement du 20
Février, qui avaient cru dans le « Printemps arabe » ; mais sa majesté
continue de nommer les juges et, directement, la plupart des
hauts-fonctionnaires, il choisit ses ministres et les révoque selon son
humeur, comme il peut aussi dissoudre le parlement si la majorité ne lui
convient pas. Et le contexte terroriste actuel n’a fait que renforcer
le climat d’arbitraire généralisé qui préside aux destinées judiciaires
dans ce pays ; le « terrorisme » a bon dos, et il sert surtout à faire
taire les opposants au régime.
En 2008, les autorités marocaines
cherchent des coupables dans l’affaire des attentats de Casablanca qui
ont eu lieu l’année précédente. Le nom d’Ali, comme ceux de centaines
d’autres personnes, se retrouve sur une liste ; il est soupçonné… Une
méprise, une « intime conviction », une négligence… Il est emprisonné.
La police marocaine fouille partout, cherche des preuves ; les policiers
creusent tout autour de la propriété de sa tante au Maroc. On n’en
trouve pas. Rien.
Ali est alors torturé. Puisqu’il faut
des preuves, on va en avoir… Il disparaît, dans le centre de Temara,
tristement célèbre au Maroc.
Passages à tabac. Ali est suspendu par les poignets ; ses tortionnaires le frappent avec des bâtons, ils frappent « comme des fous ».
Simulations de noyade. Injections de produits chimiques dans les
veines ; des médecins participent aux séances de torture. Brûlures de
cigarettes. Électrocutions ; décharges sur les parties génitales. Les
agents de la sécurité qui « l’interrogent » l’obligent à mâcher du verre
pilé ; Ali perd cinq dents. Tellement on le frappe sur la tête, il perd
l’usage d’une oreille.
La Belgique ne réagit pas.
Les agents menacent de s’en prendre à sa petite fille.
Ali finit par céder ; on lui fait signer
un document, rédigé en arabe. Ali ne lit pas l’arabe… Ce sont ses
« aveux ». Il est condamné à douze années de réclusion ferme.
Un rapport des Nations Unies, dont les
émissaires sont parvenus à rencontrer Ali et à le faire examiner,
confirme tous les actes de tortures subis.
La Belgique ne réagit toujours pas.
Et le ministre marocain de l’Intérieur continue de nier les faits, sans la moindre honte. « C’est parce que, au Maroc, on n’en parle pas… », confie un des avocats rabatys d’Ali Aarrass. « La presse marocaine est probablement la plus lèche-bottes au monde, juste après celle de la Corée du Nord… Enfin, je suppose… »
La famille d’Ali a porté plainte contre
le gouvernement belge. Condamné en première instance et en appel, il
s’est pourvu en cassation…
« On ne croit plus en Lara Fabian, quand elle chante ‘Je t’aime’ »,
s’indigne le slameur belge Manza, venu soutenir la famille du détenu
lors de la présentation de deux livres à Bruxelles, le 24 septembre. « Il faut agir par nous-mêmes ! »
Deux livres qui viennent dire aux
gouvernements belges et marocains qu’il leur sera difficile de
poursuivre leur politique « d’invisibilisation » d’Ali Aarrass, qu’ils
ne peuvent pas continuer à traiter ce dossier comme un « non-problème ».
Il s’agit d’un recueil de lettres, que se sont échangés Ali et sa sœur, qui vit en Belgique. Poignant. Humain.
Et d’une BD, du dessinateur Manu Scordia.
Une BD, c’est une bonne idée… C’est
ludique, une BD… Alors, si c’est bien diffusé, si la presse mainstream
ne la boude pas, ça pourrait bien contourner l’indifférence citoyenne et
toucher un peu plus le petit peuple belge à l’esprit apathique qui
–sait-on jamais- pourrait soudainement prendre quelques minutes de son
précieux temps consacré à chasser les Pokémons dans les gares et les
parcs et gratter quelques mots sur une feuille de papier pour réclamer
de ses élus un geste pour Ali, pour cet homme qui endure quotidiennement
sévices, brimades et davantage encore.
Huit ans après son arrestation, il n’y a
toujours aucune preuve d’une quelconque culpabilité d’Ali. Il n’y a
toujours que ces quelques « aveux », ces quelques vagues déclarations
qui ont été suggérées à Ali, qui les a répétées sous la torture.
Quatre ans après l’appel qui a été fait
du jugement qui l’a condamné à une peine de douze années de réclusion,
il n’y a toujours pas eu de nouveau procès. Régulièrement, les autorités
démettent le rapporteur du tribunal, dont le successeur reporte alors
l’affaire sine die.
Les magistrats marocains dissimulent des
éléments à la défense, ils « omettent » de communiquer des pièces aux
avocats d’Ali. Les avocats belges et marocains qui se sont solidarisés
autour d’Ali doivent en outre se montrer très prudents : lorsqu’ils
insistent trop sensiblement pour obtenir le respect des droits de la
défense, c’est Ali qui en fait les frais ; les brimades redoublent, il
est accusé de « radicaliser » les autres détenus, alors placé à
l’isolement et maltraité à nouveau… Ou bien il est menacé de nouveaux
chefs d’accusation, et de nouvelles procédures… Qui prolongeraient sa
peine…
En quelques années, Ali Aarrass est
devenu méconnaissable. Si ni l’État belge, ni le tout puissant makhzen
marocain ne reviennent sur leur position et ne reconnaissent,
respectivement, ni leur ignominie, ni leur erreur, qui sait, durant les
années qu’il lui reste à survivre dans les prisons de Mohamed VI, ce
qu’il adviendra de cet homme ?
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