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mercredi 27 juin 2012

Racisme de l’État marocain et racisme au quotidien envers les Subsahariens

Par Mohammed Belmaïzi,  26/6/2012
Article écrit en commun avec mon ami Sam Touzani, au sujet des subsahariens en 2005. Ce texte, nous l'avions imposé au site du MRAX en Belgique ("Mouvement contre le Racisme, antisémitisme et la Xénophobie"). Nous y parlions justement du racisme de l’État marocain envers les Subsahariens que le président de cette association pourtant antiraciste, marocain né en Belgique, ne trouvait pas juste!!! Il est à remarquer que nos deux noms ont été biffés de l'article... On sait par ailleurs que le Consul du Maroc de l'époque avait une proximité bien étroite avec le président de l'époque Radouane Bouhlal... question de monopoliser l'espace de l'expression au centre de l'Europe... Mais nous réussissons malgré tout à placer nos petits mots! 

 Le drame des subsahariens 17 octobre 2005  

Avec le drame actuel des migrants subsahariens au Nord du Maroc, l’Europe exhibe en toute clarté son dérapage et son incohérence. Absorbée qu’elle est à la construction d’une Europe élargie, augurée dès la suppression du mur de Berlin, la voilà érigeant une forteresse hermétiquement close, face à ce qu’elle appelle « clandestins », « migrants en situation irrégulière », émergeant du Sud. 

  Si, auparavant, le silence s’est étoffé autour des « barques de la mort » qui, en traversant le détroit de Gibraltar sèment les cadavres de milliers de Marocains le long des plages de l’Espagne, l’événement spectaculaire des Subsahariens « clandestins » escaladant les murs de Ceuta et Melilla, provoque, lui, tel qu’il a été présenté sur les écrans, un sentiment d’effroi et peut aller jusqu’à rendre licite leur oppression voire même leur mort. 

Déchus de leur humanité, ces jeunes, femmes et hommes, sont traités par certains médias occidentaux en tant qu’assaillants venant s’emparer de la citadelle tranquille de notre Europe. Cette façon impitoyable de tronquer l’information est une formidable aubaine pour l’extrême droite. Le Pen, fameuse figure de cette dernière, parle déjà du « tsunami migratoire ». En s’emparant des images brutes de Subsahariens hagards escaladant les frontières de Ceuta et Melilla, il enchérit dans le même sens que ces médias : « Ces deux villes sont assiégées par une mer migratoire arrivant de Guinée et du Niger... ». Et dès lors, Le Pen et ses sbires s’autorisent aisément à étaler le traditionnel discours anti-immigré dont l’obsession est d’ « endiguer efficacement l’immigration massive du Tiers-Monde avec ses conséquences : l’appauvrissement, le chômage, l’insécurité, la peur ». Mais Le Pen, en exploitant l’événement, stigmatise rapidement « l’immense majorité des immigrés en France » qui « est de mouvance islamique » et prévient que « l’Islam, en tous les cas celui de notre temps, ne nous met pas à l’abri de sa tentation totalitaire et de sa pratique de conquête ». 

Ainsi l’amalgame règne en toute impunité, nous mettant tous dans la marmite islamiste. Ce discours s’enracine bel et bien dans une solidarité objective entre certains médias, la gestion déficiente par l’UE de ce dossier (migrants ; réfugiés ; clandestins ; asile, etc.) et le discours haineux et xénophobe de l’extrême droite raciste en Europe et au Maroc. Car en effet une certaine presse marocaine a poussé, elle aussi, le zèle raciste jusqu’à traiter ces êtres humains en grand titre et photo de Subsahariens à l’appui, de « criquets venant ravager le pays » ! 

Devant l’ampleur du désastre, le Commissaire européen Frattini en charge de l’immigration et d’obédience Forza Italia (parti anti-immigrés et xénophobe), ne semble pas vouloir rectifier le tir. Bien au contraire, pour lui, les morts subsahariens importent peu : « Ce n’est pas le moment de pointer du doigt » les responsabilités. Ce qui importe c’est d’ « aider l’Espagne et le Maroc à trouver une solution ». C’est ainsi que l’UE débloque la somme de 40 millions d’euros en faveur du Maroc, comme pour le récompenser pour ses bonnes œuvres : répression, déportation au désert, torture et tires sur les Subsahariens. A juste titre, ce que certains médias ont qualifié d’ « assaut » contre Ceuta et Melilla sans autres repères informatifs, plonge ses racines dans une piteuse gestion du flux migratoire au Maroc. C’est que ces femmes, hommes et parfois enfants, sont acculés au désespoir et poussés au pied du mur par un climat délétère méconnue à ce jour dans ce pays. C’est que ces réfugiés se voient exposés aux pires traitements dégradants : privés de transport (les autorités marocaines ont donné l’ordre aux professionnels de la route, sous peine d’amende, de ne transporter que les détenteurs d’un récépissé fourni par le HCR !!!) ; privés également d’habitations décentes (interdiction aux propriétaires de louer à ces noirs africains). 

Le Maroc se noie dans un racisme virulent et honteux. Et le ridicule est que nombreux sont les Marocains de couleur, jetés dans le même panier de la suspicion et de l’ostracisme... Les Subsahariens, traqués partout, à la fois par des bandes de voyous (vol, viol, coups et blessures...) et par les autorités pour être renvoyés en Algérie, Mauritanie ou Mali, élisent domicile dans la forêt inhospitalière du Nord (les camps de Gourougou et de Belyounech) où ils continuent à être harcelés... 

Franchir les barbelés aux frontières de Ceuta et Melilla devient alors pour eux synonyme de « libération », « havre de paix » pour manger, boire et se faire soigner !

 L’utilisation du Maroc par l’UE en tant que garant sécuritaire, n’est-elle pas un facteur de semer le désordre et de condamner ce pays à peine sorti de 40 ans de tyrannie, à retrouver ses vieux démons, ses vieux réflexes ? Serait-ce une vocation irrévocable, pour l’UE et l’Occident, de soutenir les dictatures et de torpiller toute tentative aux ouvertures démocratiques ? La question est à l’ordre du jour ! Nous en avons marre de cette incompétence, de ce désordre, de ces inégalités criantes Nord/Sud, de ces amalgames répétitifs, de ces racismes. 

L’Europe doit renouer avec ses valeurs et développer une autre politique visionnaire. Notre modernité ne peut être régie par l’égoïsme et les seuls paramètres économiques. Elle exige une vision réellement humaine marquée par la responsabilité morale, par l’éthique du partage et du vivre ensemble sur notre belle et riche planète. 

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Dans la peau d'un noir au Maroc

Il n’est pas toujours simple d’être noir au royaume chérifien. Mépris, insultes, agressivité et humiliations quotidiennes sont bien souvent le lot des Subsahariens. Un journaliste de l’hebdomadaire marocain Actuel, le Sénégalais Bassirou Bâ, témoigne. 
 A Actuel, nous avons souvent travaillé avec des journalistes subsahariens. Et en parlant avec eux, nous avons été frappés de découvrir l’ostracisme dont ils sont l’objet. Le mépris du peuple, comme des élites, pour les Noirs est une constante de la société marocaine. Une réalité trop souvent tue ou minorée. Alors, nous avons demandé à Bassirou de raconter son quotidien, des situations vues, parfois vécues, des humiliations subies, des violences sans fin. C’est un témoignage brut, sans fioritures qui nous renvoie une image guère flatteuse mais qu’il faut néanmoins regarder en face. 

Oui, de nombreux Marocains sont racistes. Le sujet est tabou. Mais le débat doit s’ouvrir. «On m’a souvent posé la question de savoir si les Marocains étaient racistes ou si, en tant que Noir, j’avais été victime ou témoin d’actes ou de comportements assimilables à du racisme. A chaque fois, cette question m’a mis dans l’embarras, et à chaque fois, j’ai répondu par une pirouette. Les rarissimes occasions où j’ai ouvert mon cœur sur la question, c’était entre amis ou collègues. Et j’ai été surpris de découvrir à quel point des amis marocains étaient abasourdis d’apprendre jusqu’où certains de leurs compatriotes pouvaient aller dans le déni de l’Autre.  Scandalisés, ces derniers m’ont convaincu de surmonter cette gêne qui m’empêchait d’en parler publiquement. 

Voilà pourquoi j’ai décidé de briser la glace, en espérant contribuer à susciter le débat et aider à lutter contre ce mal qui, malheureusement, n’épargne aucun pays, aucun corps social.

 Drôle d’accueil 

 Je suis arrivé au Maroc le 17 septembre 2000 pour entamer mes études supérieures, en compagnie d’une centaine d’autres camarades boursiers comme moi. Je n’avais aucune appréhension en atterrissant à l’aéroport Mohammed V, le Royaume étant dans l’imaginaire collectif des Sénégalais une sorte de prolongement naturel de leur pays et vice versa. 

Mais j’ai commencé à déchanter... deux jours seulement après mon arrivée. Durant ces douze années, comme la plupart de mes "congénères", j’ai souvent été confronté à des situations tragi-comiques. Comme ce matin du 19 septembre lorsque, avec un groupe d’étudiants, nous nous rendions au marché de J5, dans un quartier situé à quelques encablures de la résidence universitaire, à Rabat. En chemin, nous avons essuyé des jets de pierre de la part de gamins qui devaient avoir entre douze et quatorze ans, et qui criaient à tue-tête : "Cannibales! Cannibales!" 

Pour notre troisième jour au Maroc, c’était un drôle d’accueil, une rebuffade que j’ai toujours du mal à oublier. J’apprendrai, quelques années plus tard, qu’un journal arabophone avait rapporté que des "migrants clandestins" subsahariens auraient mangé un nourrisson dans le quartier populaire de Takkadoum à Rabat. La publication en question aurait démenti plus tard cette information, mais le mal était fait: aux yeux de certains Marocains, nous n’étions que des cannibales, des mangeurs d’hommes. 

«Elle n’est qu’une esclave!»

 Deux ans après cette mésaventure, un nouveau "choc." Cela s’est passé dans un bus. Une vieille dame, qui tenait à peine sur ses pieds, venait de monter à bord. Toutes les places assises étant déjà occupées, une jeune étudiante subsaharienne s’est donc empressée de céder son siège à la "mamie" eu égard à son âge. Et alors qu’elle s’attendait à un mot aimable, voire à une bénédiction, la jeune fille a eu droit à un terrible: "De toute façon, elle n’est qu’une esclave et donc elle devait céder sa place à n’importe quel Marocain dans ce bus!" Incrédules pendant un moment car ne parlant pas la darija [ndlr: arabe dialectal marocain], nous avons été abasourdis après qu’une Mauritanienne, noire elle aussi, nous eut traduit la phrase. C’était d’autant plus choquant qu’il ne s’agissait pas là de gamins comme à J5, mais bien d’une personne du troisième âge qui, à travers ce comportement, venait par ailleurs de porter un sacré coup à l’un des piliers de l’éducation africaine: le respect des personnes âgées. En effet, suite à cet incident, certains étudiants ont décidé de se passer le mot : désormais, on ne cède plus sa place à qui que ce soit, fût-t-il mourant! 

«Un fils d’esclave, qui me fait l’aumône» 

 Comment peut-on être mendiante et avoir ce sentiment de supériorité propre à tous les racistes du monde? La scène s’est déroulée à Rabat quand j’y étais encore étudiant. Un ami comorien au teint de jais, qui venait de percevoir sa bourse, s’est arrêté devant une femme d’un âge avancé qui lui tendait la sébile et lui a remis une pièce de dix dirhams. Alors qu’il continuait son chemin, il entendit la mendiante dire en arabe: "Oh mon Dieu, qu’ai-je fait pour mériter un tel sort : un Noir, un fils d’esclave, qui me fait l’aumône?!" Le bienfaiteur n’en croyait pas ses oreilles. Revenant sur ses pas, il dit à la femme, en lui tendant un billet de vingt dirhams: "Excusez-moi, c’est vingt dirhams que je voulais vous donner et non dix." Quand elle lui a rendu la pièce de dix, le jeune étudiant l’a remise dans sa poche... avec son billet de vingt dirhams! Il a alors assené à la mendiante, en arabe classique (les Comoriens sont aussi arabophones): "Puisque votre dieu entend bien vos complaintes, demandez-lui donc de l’argent!" 

 «La prochaine fois, on te tue!» 

 Flâner aux alentours de la résidence universitaire à Rabat, quand j’y vivais encore, relevait d’une aventure dangereuse. De nombreux étudiants subsahariens y ont été victimes d’agressions atroces, certaines ayant même abouti à des hospitalisations. Je me souviens de Sacko, un étudiant malien, et de Kromah, un Libérien, pour ne citer qu’eux. Le premier avait été sauvagement roué de coups juste à l’entrée du campus, ses bourreaux lui crachaient dessus et le traitaient de "qird" (singe), de "k’hal" (Noir) de "`abd" (esclave)… Et n’eût été l’intervention des gardiens alertés par ses cris stridents, il serait mort. Finalement, il s’en est sorti avec plusieurs mois d’indisponibilité médicale, et a dû manquer la période des examens. 
 Kromah, lui, s’était pris un violent coup de couteau au niveau de l’abdomen. A la vue d’un groupe d’étudiants qui passait par là et qui était plus important en nombre, ses agresseurs ont pris la fuite, mais pas sans lui lancer cette menace: "La prochaine fois, on te tue! Et c’est valable pour tous tes camarades, transmets-leur le message. Compris, sale nègre?" L’étudiant libérien, qui saignait abondamment et qui se tordait de douleur, n’a pu répondre que par un acquiescement de la tête. Sacko et Kromah ne sont ni les premières ni les dernières victimes d’agressions anti-Noirs dans les environs de la cité, mais leur mésaventure a été la goutte d’eau de trop: les étudiants subsahariens étaient alors descendus dans la rue pour exprimer leur ras-le-bol et appeler les autorités à prendre les mesures qui s’imposaient. 

Depuis, le phénomène a certes perdu de l’ampleur mais il persiste. Même les professeurs s’y mettent Et pendant que de jeunes Marocains à la "chasse" au Noir semaient la terreur dans les environs immédiats du campus, dans les salles de classe, certains professeurs, pourtant censés véhiculer des valeurs telles que le respect de la dignité humaine, se sont montrés tout simplement indignes de l’une de leur mission. C’est le cas de cette professeure qui, en plein cours, ne s’est pas gênée pour traiter une Gabonaise de "négresse". Je me souviens que nous nous étions tous regardés avant de baisser la tête un certain moment. Alice –c’est son prénom–, qui était assise juste à côté de moi, m’a lancé un regard qui me hante encore aujourd’hui et m’a dit: "J’ai suffisamment entendu ce genre de propos désobligeants dans la rue et dans les transports en commun pour m’en accommoder, car je les ai jusque-là mis sur le compte de l’ignorance; mais venant d’une prof’…" L’enseignante dont il est question est aujourd’hui à la retraite, je l’ai croisée une ou deux fois dans des conférences.

 «Quelle heure est-il?» 

  Il s’agit là d’un classique! Au début, je ne comprenais pas pourquoi le "quelle heure est-il?" était accompagné d’un sourire narquois dès que je regardais ma montre pour y répondre. Les aînés m’ont expliqué par la suite que c’était pour me signifier: "Regarde ton poignet et rappelle-toi que tu es noir!" Désormais, dès qu’on me demande "ch’hal essa`a" (quelle heure est-il ?), je préfère prendre mon téléphone portable pour répondre… 

L’autre Maroc 

  Faut-il mettre pour autant tous les Marocains dans le même sac? Assurément non! Car si j’ai pu rester plus de douze ans dans le Royaume, c’est parce qu’à côté de cette frange ignorante –le racisme est une des métastases de l’ignorance– et intolérante, il y a l’autre Maroc, celui qui ne chosifie pas les Noirs, le Maroc ouvert. C’est celui-là qui m’a permis de minimiser l’impact de ceux qui me traitent de "`azzi", de "hayawan" ou encore de "khanzir". Ce Maroc, je l’aime, je le fais mien. Par ailleurs, autant j’ai pu mesurer tous les efforts consentis par les autorités marocaines pour raffermir davantage les relations politiques, économiques et culturelles avec le continent, autant je remarque que malgré tout l’Afrique subsaharienne reste inconnue de nombre de Marocains. Car ces derniers tendent à surestimer la vocation européenne du Royaume ou ses solidarités culturelles avec d’autres aires (monde arabe). Il est sans doute temps de recadrer cette vision.

 Enfin, il ne faut pas ignorer le fait que le racisme existe… au Maroc aussi. Il faut même oser en débattre ouvertement. Mais il faudrait au préalable que l’éducation de base, celle inculquée par les parents et celle apprise à l’école, joue pleinement son rôle. Le racisme expliqué à ma fille (Seuil, 1998) de Tahar Benjelloun est vivement conseillé dans ce sens. Pour qu’on ne me rappelle pas sans cesse mon apparence mais qu’on se souvienne d’abord de ce que je suis, c’est-à-dire un humain.» 


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