Par Ali Lmrabet, Demainonline, 23/5/2012
L’ex-capitaine Mustapha Adib a décidé de renoncer à sa nationalité marocaine et de partir à l’étranger. L’ingénieur Ahmed Benseddik a annoncé il y a quelques mois le retrait de son allégeance au roi. Deux gestes inouïs pour la mentalité marocaine habituée aux prosternations, mais deux prises de position extrêmes dont le but est de protester contre l’ostracisme d’Etat dont ces deux personnes sont victimes.
Adib et Benseddik sont-ils des radicaux ? Des extrémistes peut-être ?
Les baltagias du régime, qu’ils soient porteurs de matraques, de stylos ou de claviers, vous répondront que oui. Dans ce pays, vous assureront-ils, le régime « il est beau, il est gentil », et il veut faire le bien ; ce sont les autres, les Adib, Benseddik, et autres trouble-fêtes qui veulent chambouler tout, bouleverser l’ordre naturel des choses « roi-sujets » ou « maître-serviteurs », et empêcher ce régime d’être un long fleuve tranquille. Si l’on en croit ces croassements, le capitaine Mustapha Adib n’aurait jamais dû dénoncer certains de ses officiers supérieurs corrompus et Ahmed Benseddik n’aurait jamais dû demander une expertise technique qui a mis en évidence les risques encourus par les milliers de visiteurs de la station thermale Moulay Yaâkoub dont il était le directeur général. Dans la même logique, le jeune activiste rifain des droits de l’homme, Chakib El Khyari, n’aurait jamais dû évoquer en public l’implication de responsables sécuritaires et politiques dans l’endémique trafic de drogue qui flue par la baie de Nador.
Le point commun qui lie ces trois personnes c’est qu’elles ont prévenu le cabinet royal, le roi en somme, en croyant faire acte de patriotisme. Un autre point commun, c’est qu’après s’être montré réceptif dans un premier temps, le cabinet royal a soudainement changé d’avis et ordonné à ses « services » de mener la chasse à ces trois empêcheurs de tourner en rond. Là, personne ne pourra rétorquer que le roi ne savait rien et qu’il est étranger aux malheurs de ses trois « sujets ». Leurs histoires ont été suffisamment relayées par la presse, nationale et internationale, pour que le chef de l’Etat n’ait rien su. A moins qu’il soit totalement coupé des réalités de son pays…
Mustapha Adib a transmis au cabinet royal les évidences qui prouvent que ses supérieurs, des hauts officiers de l’armée, utilisaient leurs grades pour se sucrer au détriment de notre sécurité collective ; et Ahmed Benseddik a démontré, expertise technique à l’appui, que les bâtiments dont il était le premier responsable, risquaient de s’effondrer à tout moment sur les centaines de clients qui visitaient la station thermale. Quant au troisième larron, Chakib El Khyari, il a eu l’outrecuidance de guider des journalistes, dont l’auteur de cette chronique, vers les plages d’où partaient chaque nuit en direction de l’Europe des centaines de zodiacs remplis de cannabis et d’autres drogues dures en provenance d’Amérique latine qui transitent par notre pays. Des embarcations qui partaient et partent encore vers l’Europe sous l’œil complice de nos forces de l’ordre dont la première mission, pourtant, est la surveillance de nos frontières.
En fait, selon la philosophie de cet étrange régime, ces trois patriotes ne le sont pas, parce qu’ils se sont montrés peu « responsables ». Au lieu de laisser le grand fleuve de la corruption et des irresponsabilités criminelles couler tranquillement, ils ont osé briser des tabous. Ils auraient dû se taire, ils ne l’ont pas fait. Pour ce manque de « responsabilité » Adib, El Khyari et Benseddik ont été pourchassés. Les deux premiers ont été poursuivis pénalement sur la base de prétextes fallacieux, condamnés par la « justice » et envoyés au goulag. Benseddik, lui, a été limogé par Mustapha Bakkoury, l’ex-patron de la CDG, dont la station thermale de Moulay Yaâkoub est une filiale. Bakkoury ? Vous savez qui c’est ? C’est le patron du PAM, le Parti de l’authenticité de la modernité (sic).
Revenons donc aux adjectifs « radical » et « extrémiste », et répétons la question : Adib et Benseddik sont-ils des radicaux ?, des extrémistes ? Fallait-il, au nom de la « responsabilité », laisser des militaires corrompus continuer à piller les stocks d’essence de l’armée, ignorer le danger que constituent des bâtiments craquelés pour des vies humaines à Moulay Yaâkoub et se taire devant cette plaie béante du trafic de la drogue qui va nous anéantir tous un jour ? J’entends déjà certains suggérer qu’il fallait respecter certaines règles, suivre les procédures habituelles et laisser la justice faire son travail. Mauvaises suggestions. Le roi lui-même a laissé entendre à plusieurs reprises dans ses discours que la justice dans ce pays ne valait rien. Corrompue, servile, aux ordres, la majorité des magistrats (dieu merci il existe aussi une toute petite minorité honnête) ne sont bons qu’à exécuter les dissidents que le pouvoir leur sert de temps à autre. Pour le reste, les juges, les procureurs et leurs appendices sont depuis toujours des marchands du temple qui ont fait des tribunaux marocains un syndicat de délits et de crimes qu’ils prétendent pourtant combattre.
Au Maroc, il ne sert à rien de dénoncer devant la justice des faits graves et avérés. Et c’est à cette conclusion que sont arrivés Adib, Benseddik et El Khyari. En bons et loyaux sujets de Sa Majesté chérifienne, ces trois véritables patriotes marocains ont cru donc bien faire en se dirigeant vers le sommet, vers celui qui se prétend le premier d’entre tous les Marocains. Comme le roi est tout dans ce pays, dans la politique, l’économie, le social et la religion, c’est normal qu’ils y aient des gens qui croient sincèrement que lui seul peut trouver le remède aux doutes et aux problèmes qui les assaillent. N’est-il pas coutume dans ce pays de voir des gens attendre la bonne occasion pour remettre au souverain une supplique, une demande ou une plainte ? N’a-t-on pas vu récemment un honorable député remettre, lui-aussi, au roi dans l’enceinte du parlement, une lettre personnelle ? Si les parlementaires, c’est-à-dire cette caste chargée de trouver des solutions à nos problèmes majeurs, doivent eux-mêmes se diriger vers le haut, comment voulez que le commun des mortels ne fasse pas de même ? C’est donc tout naturellement que le capitaine Mustapha Adib, le directeur général Ahmed Benseddik et le président de l’association Rif pour les droits de l’homme se sont adressés au cabinet royal pour dénoncer des faits graves dont ils avaient connaissance. Et ils ont eu tort. Mais ils l’ont compris trop tard. Adib, jeune officier prometteur qui faisait la fierté de sa famille a été emprisonné pendant deux ans et demi, puis chassé des rangs de l’armée. El Khyari a été envoyé à l’ombre pour pratiquement la même période et Benseddik a été poussé à la démission par Mustapha Bakkoury avant que les prédateurs de l’entourage royal ne lui volent une idée géniale qu’il a eue sur la commémoration des « 1200 ans de Fès ».
Adib, Benseddik et El Khyari sont aujourd’hui des hommes ruinés, financièrement et moralement, pour manque de « responsabilité ». C’est-à-dire pour avoir refusé » d’être les complices d’un système, dont Abid ne cesse de qualifier, à juste titre, de « mafieux ». Sont-ils pour autant des radicaux, des extrémistes ? Absolument pas. Le radical dans notre vieux pays est celui qui veut ignorer la corruption et le trafic de drogue, et celui qui s’en fiche de la sécurité des citoyens. Quant à l’extrémiste, le vrai, le véritable, c’est celui qui torture dans les commissariats et les prisons secrètes du royaume, celui qui fait fi des lois en vigueur en violant l’intégrité physique (et autre chose…) de suspects arrêtés pêle-mêle dans les rafles.
On nous parle de Maroc avançant lentement mais sûrement vers la démocratisation pleine, mais on continue toujours à humilier, torturer, violer et rabaisser la dignité humaine dans les commissariats et les geôles secrètes du régime. On continue à mettre des bâtons lors de la constitution d’associations, à interdire des journaux, à emprisonner des journalistes et à exercer un chantage odieux (merci la direction générale des impôts !) sur les hommes d’affaires qui ne suivent pas les règles du jeu définies par le régime.
Et ce qui est extraordinaire, ce qui est propre à notre étrange pays c’est que les tortionnaires, les violeurs, les extrémistes ne sont nullement considérés comme tels. Prenez l’exemple du ministre chargé de la sécurité, Charki Draïss ou celui d’Abdellatif Hammouchi, le patron de la DST, la police politique dont on a voulu faire oublier le sombre sigle et l’histoire en rajoutant l’adjectif « général » à son logo (DGST). En patron des commissariats, et autres no mans land d’impunité, où règne la loi de la répression, Draïss a fait régner la terreur à Taza, à Beni Bouayach, et ailleurs sans qu’il soit inquiété par le parlement.
Quant au deuxième, ce souteneur de ces antres secrets par où sont passés, et où ont été torturés des milliers d’islamistes et de non-islamistes, dont le champion du monde boxe thaïe, Zakaria Moumni, il a été honoré l’été dernier par le roi qui lui a concédé un wissam alaouite pour services rendus… sûrement à la cause de l’inhumanité.
A la fin, n’oublions pas que derrière beaucoup de crimes, il y a certes l’auteur matériel, mais il y a souvent l’auteur intellectuel. Celui qui ne se salit pas les mains du sang de ses victimes, laissant cette sale besogne aux sous-traitants, aux sous-fifres. Qui est ce radical, qui est cet extrémiste ? La réponse vous la trouverez en cherchant le nom du patron, le vrai, de Charki Draïss et d’Abdellatif Hammouchi. Ce n’est pas très difficile.
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