TÉMOINS ET ACTEURS ENGAGÉS DES DEMANDES DE CHANGEMENT DANS LE MONDE ARABE
L’un, Fahem Boukaddous, est tunisien, l’autre, Chakib Alkhayari, marocain. Le premier a été l’un des rares journalistes indépendants en Tunisie à faire connaitre la répression brutale du mouvement social de la région de Gafsa-Redeyef en 2008. L’autre n’a cessé de dénoncer la corruption endémique dans sa région, et les accointances de certains fonctionnaires marocains dans le trafic de drogue.
Tous deux sont journalistes ; tous deux d’ardents défenseurs des droits humains. Tous deux emprisonnés uniquement pour avoir exprimé leur opinion, et dénoncé les manquements aux droits humains dans leur pays. Tous deux ont été déclarés prisonniers d’opinion par Amnesty International (AI), qui, avec d’autres, a fait campagne pour obtenir leur libération. Tous deux sont devenus des symboles de la répression des pouvoirs en place, dans leur pays, mais aussi hors de leurs frontières. Tous deux ont été libérés à la faveur de la mobilisation citoyenne, nationale et internationale.
Précurseurs des demandes de changements qui secouent la région, tous deux sont aujourd’hui à la fois des acteurs engagés et des témoins éclairés des bouleversements en cours dans la région.
Fahem Boukaddous, 40 ans, journaliste pour la chaine satellitaire indépendante Al-hiwar Ettounsi, est depuis 20 ans un infatigable défenseur des droits humains. Membre de l'Association tunisienne contre la torture et cofondateur du Comité tunisien de protection des journalistes et du Centre de Tunisie pour la liberté de la presse, il est aussi militant local d’Amnesty International à Gafsa. Son activisme lui a valu de nombreuses condamnations et refuges dans la clandestinité. Pour avoir informé sur la répression du mouvement social de Gafsa-Redeyef il est condamné pour « diffusion d’information de nature à troubler l’ordre public » et « appartenance à une association criminelle susceptible de porter atteintes aux personnes et à leurs biens » et incarcéré malgré un état de santé préoccupant. Il est libéré le 19 janvier 2011, 5 jours après la fuite de Ben Ali hors de Tunisie. Fahem Boukaddous sera présent en France du 24 au 29 mai 2011.
Agé de 31 ans, Chakib Alkhayari est originaire de la ville de Nador dans la région du Rif Marocain. Fondateur et président de l’association du Rif des droits de l’Homme -ARDH-, il militait sur diverses questions comme le traitement infligé aux migrants de l’Afrique sub-saharienne, la violence contre les femmes, ou les droits du peuple Amazigh (Berbère). Ce sont ses attaques répétées contre le trafic de drogue, et la corruption qu’il génère, notamment dans certaines sphères de l’administration marocaine, qui lui valent sa condamnation à 3 ans de prison, et à une très forte amende. Il est libéré, un an avant terme, suite une grâce royale le 14 avril 2011, qui fait suite au mouvement du 20 février au Maroc.
Chakib Alkhayari sera présent en France du 26 au 29 mai 2011.
Les problèmes dénoncés par ces deux défenseurs depuis de nombreuses années rencontrent directement les demandes de changement exprimés à travers l’ensemble du monde arabe : fin de la corruption, libération de la parole, respect de la liberté d’expression, d’association, aspirations à de meilleures conditions de vie, dignité et volonté des peuples de reprendre la main sur leur avenir.
A l’occasion de la célébration du 50ème anniversaire d’AI, organisation créée sur l’idée que des individus peuvent défendre les droits d’autres individus, leur libération témoigne que la mobilisation citoyenne peut faire cesser les violations subies des personnes dont les droits sont violés.
AI France est donc fier de les accueillir pour deux rencontres publiques exceptionnelles organisées le 26 mai et le 28 mai (voir détails en page 4).
FAHEM BOUKADDOUS ET LE MOUVEMENT DE GAFSA-REDEYEF EN TUNISIE
En 2008, la région de Gafsa-Redeyef, dans le sud-ouest de la Tunisie, est le théâtre d’une vague de manifestations populaires pour dénoncer des accusations de fraude dans une campagne de recrutement par la Compagnie des Phosphates. Ces manifestations évoluent
vers des revendications plus générales sur le taux de chômage élevé, la corruption et l’augmentation du coût de la vie.
Les forces de sécurité répriment ces événements de façon particulièrement violente1, pendant que les autorités tentent d’empêcher toute information de filtrer dans les médias: Fahem Boukaddous, seul journaliste présent sur place, va devenir le principal canal de diffusion d’images des manifestations. Il catalyse le mal-être des jeunes citadins en leur apportant un moyen d’expression. Il devient, par conséquent, une menace pour la dictature. « C’est ce que j’ai appelé les médias populaires. Avec des caméras reçues de leurs parents émigrés, des centaines de jeunes se transforment en autant de journalistes. Moi, je n’avais qu’à rassembler toutes ces images et les faire circuler ».
Ce dernier est arrêté et condamné à 4 ans de prison à la suite d’un procès inéquitable au cours duquel le droit à la défense a été continuellement violé. En juillet 2010, alors qu’il est hospitalisé, quatre agents de police l’emmènent en prison. Il y subit plusieurs crises d’asthme sévères, tant ses conditions de détention sont intolérables et fait face à des pressions de la part des gardiens. Il entame une grève de la faim du 9 octobre au 14 novembre 2010.
Seulement deux ans après les manifestations de Gafsa-Redeyef, un nouveau mouvement de mobilisation populaire se met en marche après l’immolation du jeune diplômé chômeur Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid au centre de la Tunisie. Grâce aux réseaux sociaux, ces manifestations prennent une ampleur inattendue et s’étendent à l’ensemble du pays, menant à la chute du Président Ben Ali le 14 janvier 2011, malgré une répression féroce de la part des forces de sécurité.
Selon Fahem, les manifestations de 2008 ont été inscrites dans la mémoire collective du pays facilitant la mobilisation des individus dans le futur. Les jeunes « diplômés chômeurs » ont été en 2008 comme en 2010 les moteurs du changement.
En juin 2009, Amnesty International avait publié un rapport2 sur la terrible répression qui s’était abattue sur les manifestants de la région de Gafsa-Redeyef. Avec d’autres organisations, en Tunisie et en France notamment, la mobilisation avait fini par faire libérer l’ensemble des leaders des manifestations en novembre 2009. Seuls Fahem Boukaddous et Hassan Ben Abdallah, jeune diplômé-chômeur, restaient dans les geôles tunisiennes. Ces derniers ont été finalement libérés de prison le 20 janvier 2011, en même temps que de
nombreux autres prisonniers politiques, suite au renversement du régime de Ben Ali quelques jours plus tôt. Leur libération est donc une véritable victoire et un symbole fort pour tous ceux qui, à Amnesty International et ailleurs, ont continuellement appelé à sa libération.
Pour autant, la vigilance reste de mise. En effet, les nouvelles autorités tunisiennes doivent entreprendre des réformes fondamentales et durables dans le pays permettant de rompre avec des années de violations des droits humains : de plus, les crimes qui ont précédé la « révolution du jasmin » ne doivent pas rester impunis.
1 Deux morts et plusieurs blessés, des centaines de personnes arrêtées et maltraitées, des dizaines de personnes condamnées au terme de procès iniques
2 « Derrière le « miracle économique » tunisien : les inégalités et la criminalisation de l’opposition » 14 avril 2011, Amin Alkhayari accueillant son frère Chakib à sa sortie de prison
CHAKIB ALKHAYARI, POURFENDEUR DE LA CORRUPTION DANS LE RIF MAROCAIN
Chakib Alkhayari, âgé de 31 ans, est un défenseur des droits humains reconnu et respecté dans la province de Nador, au nord-est du Maroc. Il a fondé l’Association du Rif des droits de l’Homme – ARDH – qui se consacre notamment au traitement réservé aux migrants de l’Afrique sub-saharienne et à la violence contre les femmes. Il est aussi connu pour sa défense des droits culturels du peuple amazigh (berbère) au Maroc.
Chakib Alkhayari était également journaliste, partenaire de chaines de télévision comme de journaux régionaux et internationaux, et participait à la libre circulation de l’information, à la liberté d’expression et devait participer à une conférence à Bruxelles avant son arrestation.
En janvier 2009, il est apparu à la télévision nationale où il s’est exprimé sur des affaires de trafic de drogue et de corruption impliquant des hauts fonctionnaires marocains. Chakib Alkhayari a été arrêté le 17 février 2009, et inculpé le 21 du même mois pour avoir « porté atteinte à l’image des autorités nationales publiques et judiciaires ».
Devant le juge d’instruction et lors de son procès, il a déclaré qu’il n’avait pas insulté les institutions publiques en tant que telles, mais critiqué des individus occupant des fonctions dans l’appareil de l’État.
Son arrestation en février est intervenue sur fond d’informations faisant état de l’interpellation d’une bonne centaine de personnes, dont des responsables des pouvoirs publics, dans le cadre du démantèlement d’un réseau de trafic de drogue dans la province de Nador.*
Chakib Alkhayari a été condamné par le tribunal de première instance de Casablanca à trois ans de prison et à une lourde amende (environ 57 000 euros) pour outrage aux institutions publiques, pour avoir fait des dépôts non autorisés sur un compte bancaire ouvert à l’étranger et transféré de l’argent sans avoir obtenu les autorisations nécessaires. Le volet bancaire renvoie à 2006 où il avait ouvert un compte en Espagne afin de pouvoir encaisser un chèque de 250 euros versé par le quotidien El País en règlement d’un article.
Comme le dénonçait son frère Amin invité par AI France en décembre 2010, Chakib est emprisonné uniquement pour avoir usé de son droit à la liberté d’expression.
Suite aux mouvements de mobilisation d’organisations marocaines, et aux pressions exercées par AI et d’autres organisations internationales de défense des droits humains auprès du Roi Mohammed VI et des autorités nationales, Chakib a bénéficié d’une grâce accordée par le Roi le 14 avril 2011, en même temps que 190 autres personnes. Ce n’est qu’après sa libération que celui-ci a pu recevoir le prix de l’Intégrité qui lui avait été décerné par Transparency International Maroc le 10 décembre 2010.
Malgré l’annonce par le roi Mohamed VI de réformes institutionnelles, les mouvements de protestation ne cessent pas et des manifestations ont lieu chaque semaine dans différents villes marocaines, demandant principalement l’instauration de la démocratie par le biais d’une monarchie parlementaire. L’implication de nombreux jeunes dans ces marches, à l’instar des mouvements de revendications dans les autres pays d’Afrique du nord et du moyen Orient, est un fait relativement nouveau.
Chakib Alkhayari a été détenu dans les prisons de Casablanca, Meknes, Taza, le privant de la possibilité de fréquentes visites de sa famille. C’est donc après deux années de conditions carcérales difficiles que ce défenseur des droits humains a été libéré. Après avoir accueilli son frère, AI France est heureux d’annoncer sa venue en France. Il nous fera part de son analyse des demandes de changement qui traversent la société marocaine et de la réponse des autorités à celles-ci.
10 décembre 2010, Amin Alkhayari, devant une affiche représentant son frère, marathon des signatures organisé par AI
RENCONTRES AVEC FAHEM BOUKADDOUS ET CHAKIB ALKHAYARI
26 mai 2011 : Table ronde au siège d’Amnesty International
AIF invite à une rencontre autour de l’engagement pour la défense des droits humains en Tunisie et au Maroc aujourd’hui. Cette rencontre sera aussi l’occasion de pouvoir évoquer en quoi la solidarité internationale est importante pour accompagner et soutenir les défenseurs des droits humains au Maghreb.
Participants : Fahem Boukaddous, Chakib Alkhayari
Modérateur : Michel Fournier, responsable de région Maghreb-Moyen-Orient – AI France
28 mai 2011 : Table ronde dans le cadre du 50ème anniversaire d’Amnesty International
A l’occasion de la célébration du 50ème anniversaire d’AI, AIF invite de grands acteurs et témoins éclairés des mouvements de revendication en cours dans le monde arabe. Cette table ronde sera l’occasion d’évoquer les dynamiques et revendications communes, les disparités, les espoirs et défis nés de révolutions en cours comme en Tunisie et en Egypte, des mouvements appelant à des réformes profondes comme celui du 20 février au Maroc, mais aussi la répression qui s’abat sur les mouvements en lutte dans certains pays en ce moment (Syrie par exemple).
Participants :
Abdulhamid Alatassi : signataire et membre de la déclaration de Damas pour le changement
démocratique en Syrie en exil. Dissident politique syrien sous le régime d’Hafez el Assad, exilé en France depuis 1976.
Fahem Boukaddous : journaliste, cofondateur du Comité tunisien de protection des journalistes et du Centre de Tunisie pour la liberté de la presse, condamné à de multiples reprises sous le régime Ben Ali,
ancien prisonnier d’opinion libéré le 19 janvier 2011.
Chakib Alkhayari, fondateur de l’association Rif des droits de l’Homme, journaliste, militant anticorruption
Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Maghreb-Moyen Orient d’Amnesty
International, (sous réserve)
Modérateur : journaliste de TV5 Monde (sous réserve)
Contacts presse : ldelattre@amnesty.fr/ Tel. : + 33 1 53 38 65 41/ Port. : + 33 6 76 94 37 05
Contacts tournée : ddh@amnesty.fr/ 01 53 38 66 16
Pour en savoir plus sur la situation des droits humains en Afrique du Nord et au Moyen-Orient
16h – 17h
Place de la Rotonde, Stalingrad, 75019 Paris.
« Regards croisés sur la situation des droits humains au Maroc et en Tunisie et
Témoignages de Fahem Boukaddous et Chakib Alkhayari »
19 h – 21h
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