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mercredi 24 mars 2010

Maroc : Sur les traces des Berbères

 Par Samuel Dixneuf, mediapart, 7/3/2010

Puisqu'il est question de Maroc et de Berbères sur Mediapart, je ressors -sans le retoucher- ce texte écrit il y a un an pour un magazine français et finalement non publié en raison de son caractère politique. Je l'avais écrit suite à un séjour dans les montagnes de l'Atlas effectué pour défricher un projet de développement solidaire.
L'origine des Berbères se perd dans la diversité des textes et des récits. Comment ce peuple aux racines aussi floues que mythiques, formant la majeure partie de la population d'Afrique du Nord, se définit-il aujourd'hui face à l'acculturation arabe ? Rencontre avec le poète et musicien Mallal, héraut d'une culture bien vivante.
« Je suis un pauvre Berbère, perdu dans l'univers... » Yassine[1], mélancolique et presque fantomatique dans son djilbab, frappe de ses mains calleuses la peau tendue d'un djembé en murmurant sa plainte aux étoiles.
La nuit est tombée depuis longtemps dans ce coin de terre marocaine située aux confins du désert, au sud du Haut-Atlas. Rassemblés dans une pièce étroite aux murs nus, je regarde mes compagnons d'un soir jouer, chanter, boire et fumer du kif depuis déjà plusieurs heures. Dehors, les cieux constellés laissent deviner le terrain caillouteux fuyant à l'infini dans l'air froid et sec de février. Vers deux heures du matin, épuisés, nous nous attablons devant une succulente tagine, réconfortés et apaisés. Perdus, peut-être, mais pas seuls.
Les imazighen[2], « homme libres », selon l'étymologie du mot, seraient présents dans le Maghreb depuis plus de 5000 ans. « Rares sont les peuples comme les Berbères dont les origines ont été recherchées avec autant de constance et d'imagination » signale Gabriel Camps, le plus grand spécialiste de ce peuple nomade, créateur de L'Encyclopédie berbère, qui compte à ce jour 28 volumes. Origines perses, mèdes, cananéennes, indiennes. Les Berbères se retrouvent partout... et nulle part[3]. Camps signale ainsi que certains « littérateurs pseudo-scientifiques » voyaient en eux les derniers Atlantes. C'est dire l'aura presque magique qui entoure ce peuple hétéroclite et méconnu en lutte aujourd'hui contre l'acculturation arabe. Un peuple qui hante l'imaginaire occidental.
Les ravages de l'islamisation forcée
« Les conquérants arabes du IXe siècle ayant été peu nombreux, la très grande majorité des Marocains a du sang berbère. Ce qui ne signifie pas nécessairement qu'ils sont berbérophones, plusieurs tribus ayant été arabisées de force très tôt, » rappelle le journaliste Joël Donnet[4]. Depuis la création du Mouvement Populaire à la fin des années 50 par Mahjoubi Aherdan, de nombreuses associations se sont formées pour faire entendre les revendications berbères. En 1991, elles signent la charte d'Agadir en demandant « la stipulation dans la Constitution du caractère national de la langue tamazight à côté de la langue arabe. » Les revendications des Berbères ont toujours été plus culturelles que politiques dans un pays menotté par le pouvoir royal, toujours très répressif.[5] Le 12 septembre dernier toutefois, un communiqué de presse en provenance de Marrakech signalait « la fondation d'une organisation à caractère politique. »
Vingt après la signature de la charte d'Agadir, les choses ont-elles changé ? 
 Brève rencontre avec Mallal[6], peintre, musicien, poète, et farouche défenseur de la cause amazighe.


1) La notion de résistance est-elle encore d'actualité pour les Berbères ? Oui ! Notre culture, nos régions, notre langue, notre identité amazighe subissent toujours des pressions négatives, de constantes tentatives de marginalisation. Nous constatons le rejet de tout ce qui est amazigh dans les médias officiels et les programmes de développement.
2) Quelles sont vos revendications ?
Elles sont multiples. Nous voulons :
- changer le regard négatif qui pèse sur les Imazighen et leur culture.
- reconnaître la langue amazighe dans la constitution du pays comme langue officielle aux côtés de l'arabe.
- autoriser les Berbères à adopter des noms amazighs pour leurs enfants.
- introduire la langue, la culture et l'histoire amazighe dans les programmes scolaires de façon objective.
- considérer les régions ou les Imazighen habitent comme le reste du pays : avec un accès paritaire au développement économique et social.
- cesser de tuer la culture amazighe avec le grand embargo des médias, de l'école, de l'administration.
- laisser passer les chansons amazighes et des programmes sur l'histoire et la culture berbères dans les radios et les télévisions, sans complexe.
- réécrire l'histoire du Maroc d'une façon objective, et cesser de considérer que l'histoire du Maroc commence à partir de la conquête arabe.
 Faut-il craindre la censure aujourd'hui au Maroc ?
Oui : des étudiants militants qui revendiquent la question amazighe sont toujours en prison à Errachidia et à Meknes.
Malgré le temps et l'oppression, la culture berbère a gardé toute sa force, selon Mallal. Et sa beauté. Reste aussi une jeunesse déracinée, en quête identitaire, qui navigue a vue dans un pays qui se trouve en bas des classements internationaux en terme de développement humain, et d'organisation démocratique.
[1] Le prénom a été changé
[2] Le mot « Berbère » est issu de la racine « barbarus », qui désigne traditionnellement l'étranger, le sauvage. Sans renier cette appellation, les Berbères préfèrent logiquement le terme aux connotations positives issu de leur langue, « imazighen ». Le singulier s'écrit « amazigh. »
[3] Le Maroc est à l'heure actuelle le principal pays berbérophone : 15 à 18 millions de ressortissants selon Frédéric Deroche, auteur de Les Peuples autochtones et leur relation originale à la terre, éd. l'Harmattan, 2008.
[4] Article paru dans le Monde diplomatique de janvier 1995
[5] Lire à ce sujet Ali Amar, Mohammed VI : le grand malentendu, éd. Calmann-Lévy, 2009
[6] http://mallal.net/

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