- 16 /9/2016
- Par YVES FAUCOUP, blog Mediapart
- Blog : Social en question
Alors que la pauvreté s'accroît dans notre pays, que
de plus en plus de citoyens retardent leurs soins ou y renoncent faute
d'argent, des leaders politiques, à la proximité des échéances
électorales, surfent non seulement sur la xénophobie et le racisme tout
court, mais aussi sur le racisme social. En bégayant sans cesse leur
aversion à l'encontre des "assistés".
Nicolas Sarkozy vient de publier Tout pour la France, titre qu'il emprunte à son mentor, Charles Pasqua, qui avait écrit jadis Tous pour la France
et auquel il avait déjà piqué… la mairie de Neuilly en profitant d'une
hospitalisation du parrain du gaullisme. Je suis allé voir comment il
abordait certains sujets que je traite sur ce blog. Tout d'abord, ses
chapitres listent plusieurs défis, dont celui de l'autorité. Ce qui est
cocasse quand on sait que l'homme politique qui a le plus porté atteinte
à l'autorité dans ce pays, c'est bien lui, qui n'a cessé de défier
Jacques Chirac, comme jamais un ministre ne l'avait fait jusqu'alors
avec un président de la République. J'ai la faiblesse de penser que ce
comportement irresponsable a laissé des traces dans le pays.
Il se prononce pour la suppression de l'ISF (impôt solidarité sur la fortune). Rien de surprenant. Sauf qu'au lieu d'assumer en bon "libéral" sa volonté d'accroître les inégalités, dans la perspective hypothétique et lointaine qu'un jour il y aura bien une retombée positive pour les plus pauvres, il justifie sa position en affirmant que c'est l'intérêt même des "Français les moins fortunés" qui, comme chacun sait, pâtissent de l'existence de l'ISF. Gonflé comme argument. Et de délirer sur la nécessité de "ne pas céder un pouce de terrain devant la pensée unique du politiquement correct et l'obsession égalitariste de la gauche obnubilée par le nivellement". Il est terrible le nivellement qui fait que les 12 plus riches de France possèdent une fortune de 194 milliards d'euros (1), somme qui est en progression de 28 Mds en un an, soit + 16,9 % !
Rengaine habituelle
Par ailleurs, il annonce qu'il augmentera les cadeaux aux entreprises en doublant le CICE (merci François Hollande qui lui a montré la voie). Il s'étend peu sur le RSA, juste pour livrer sa rengaine habituelle : "mettre fin à la situation dans laquelle le travail paye moins que les revenus d'assistance". De nombreux observateurs ont démontré depuis longtemps que cette assertion est fausse. Plus précisément, elle est volontairement mensongère : elle est là pour détourner les colères sociales et les orienter contre les plus démunis. Il répète sans cesse ce slogan, alors qu'il n'ignore pas qu'il est erroné. Marquer des points dans une opinion publique qui est classe moyenne, ou se croit classe moyenne, ou se sait classe populaire mais pas sous-prolétaire. C'est vrai que cette accusation est colportée partout, peut-être parce qu'il s'agit d'une réaction "humaine", qui consiste à rechercher le fautif de ses malheurs parmi ses proches, mais certainement parce qu'une propagande bien organisée souffle sur ces braises. Personne, cependant, n'a jamais trouvé quelqu'un prêt à laisser tomber son emploi pour bénéficier des avantages mirobolants du RSA.
Evidemment, ce propos insupportable, Nicolas Sarkozy n'est pas le seul à le tenir. Le Front National, au hasard. L'hebdomadaire de la droite extrême, Valeurs actuelles, également, qui se gargarise régulièrement avec ce genre d'insultes. Comme dans son numéro de fin août, intitulé, en couverture, Les assistés : comment ils ruinent la France (il y a deux ans, le titre, en couverture, proclamait déjà : Ces assistés qui ruinent la France, tandis que Le Point de FOG titrait lui en octobre 2013 : Les assistés, Comment la France les fabrique). On a droit à des articles Profession : assisté! ou Voyage au pays des 1001 allocs. VA, ayant en quelque sorte le feu-vert de Sarko, publie un tableau pour montrer qu'"en bout de course, un couple marié avec deux enfants qui ne travaille pas gagne pratiquement autant qu'un autre percevant le Smic". Tout est dans le "pratiquement". Libération (2) a démontré les erreurs du tableau : entre autres, le canard de la droite extrême considère que cette famille sans emploi gagne 292 € au titre du transport, puisque n'ayant pas à se déplacer elle n'a pas à faire cette dépense : donc c'est un gain à rajouter à ses revenus !
On croirait lire une étude des "chercheurs" de l'Ifrap, think tank
dirigé par Agnès Verdier-Molinié, qui lorsqu'ils découvrent une
différence entre deux familles de 3 ou 400 euros, considèrent que c'est peanuts, puisque pour ces experts en chambre c'est leur argent de poche hebdomadaire, sinon quotidien.
Claire Hédon, présidente d'ATD Quart Monde, a adressé à Valeurs actuelles une lettre pour contester les affirmations de l'hebdomadaire, comme celle qui consiste à dire que la CMU complémentaire est "fréquemment piratée", alors que le taux de fraude est très faible, et sans rapport avec celui de la fraude fiscale. Elle écrit : "La question est de savoir si les pauvres sont victimes ou coupables de leur situation ? La réalité est qu’ils sont doublement victimes : ils sont confrontés à une vie très difficile et en plus ils sont jugés par les autres. Les propos que vous tenez aggravent leur exclusion." De son côté, Nicolas Sarkozy, répondant à David Pujadas et Léa Salamé sur France 2, dans L'émission politique, le 15 novembre, s'est complu une fois de plus à descendre en flamme l'aide médicale d'État (AME) qui permet à des étrangers sans papiers de se soigner, ce qui est bénéfique pour eux mais aussi pour le pays tout entier.
Haine anti-sociale
Je considère pour ma part que cette haine anti-sociale permanente, proférée par ces médias de la droite de la droite, mais aussi par des politiques comme Nicolas Sarkozy, et son remplaçant à la tête de Les Républicains, Laurent Wauquiez, qualifié, sans crainte du ridicule, par Valeurs actuelles chantre de "la droite des valeurs", devraient faire l'objet de poursuites judiciaires. Imagine-t-on un tribun sur les estrades proclamer que les handicapés se la coulent douce, qu'on les paye à ne rien foutre, que les personnes âgées dépendantes coûtent trop cher à la Nation et que, puisqu'elles n'ont pas cotisé, ne devraient pas bénéficier de l'allocation personnalisée d'autonomie ? Pour reprendre une phrase d'un sketch de Patrick Timsit, "les handicapés, à force de les aider, de les assister, n'est-ce pas le meilleur moyen de les empêcher de guérir ? " Sans doute pour le moment cela provoquerait un tollé, mais pour combien de temps encore ?
La communication publique sur le sujet est purement idéologique : culpabiliser, culpabiliser, il en restera toujours quelque chose (3). J'atteste que les contrôles ont toujours existé, que les bénéficiaires du RMI ont toujours été invités à s'inscrire à l'ANPE puis à Pôle Emploi (en tout cas pour ceux qui ne sont pas en attente de décision de la MDPH pour savoir s'ils peuvent avoir droit ou non à l'AAH, allocation adulte handicapé). Avec effectivement, plus ou moins de succès. Mais faut-il rappeler ici que c'est Monsieur Laurent Wauquiez, alors secrétaire d'État à l'emploi, le pourfendeur de l'"assistanat", qui, à la création du RSA, militait contre l'inscription à Pôle Emploi pour ne pas alourdir les statistiques du chômage (il a été dénoncé publiquement par son petit camarade au gouvernement Fillon, Martin Hirsch).
De ce fait, l'agitation organisée sur d'éventuels abus sur le RSA n'a pas pour but d'améliorer réellement la condition des plus démunis, qui n'ont plus d'emploi, ni d'indemnités de chômage, mais seulement de faire œuvre de pure propagande, dans un combat idéologique impitoyable qui consiste à désigner les victimes les plus touchées par la crise comme bouc émissaire des désagréments vécus par les autres.
Rue des allocs
Pourquoi se priver dans la course à l'ignominie : alors, sur le modèle anglais (Benefits Street sur Channel 4), Metropole 6 (M6 pour les intimes, propriété d'un groupe allemand) a diffusé Rue des allocs, avec sa bonne dose de mépris pour les plus pauvres, en montrant avec complaisance ceux qui dérapent, passent leurs journées à glander avec leurs canettes de bière, que les tweets des spectateurs ne se privent pas d'insulter ("pourriture de voyous"), afin que le discours sur les assistés se prélassant dans des canapés fasse son chemin (4).
Et alors que les effets désastreux du libéralisme économique et de l'austérité commencent à être perçus par un plus grand nombre (5), on continue à nous asséner les leçons de morale des valets des puissants, des mercenaires de la Finance, réclamant encore et toujours de restreindre les droits sociaux, de réduire les dépenses d'assistance, de ne pas taxer davantage les riches, de réduire une dette publique qui serait due à la dépense publique, et non pas, mais pas du tout, à une finance dérégulée qui a provoqué en 2008 une dette privée que les États ont dû compenser. Les chantres de cette économie au service d'une minorité jouent les vierges effarouchées lorsqu'on interroge leur objectivité : ils s'affirment neutres, scientifiques, et préfèrent qu'on n'insiste pas sur la fortune de leurs mandants, milliardaires propriétaires des grands médias, membres du CAC 40. Ils aimeraient bien également que l'on n'annonce pas le montant de leurs salaires pour servir la soupe néo-libérale, sachant que certains alignent au bas mot des enveloppes de 40 000 euros mensuels pour expliquer au smicard que le Smic est à un niveau trop élevé pour la com-pé-ti-ti-vi-té !
Quand Marine Le Pen vient dire sur TF1, dans l'émission Vie Politique le 11 septembre, que la France compte "un million de pauvres supplémentaires sous le dernier quinquennat", on sent bien que c'est juste pour tomber à bras raccourcis sur le gouvernement, car, à propos des immigrés, qu'il importe de virer s'ils ne travaillent pas, elle précise, textuellement : "ce n'est pas qu'on manque de charité, c'est juste qu'on n'en a pas les moyens". Terrible comme phrase. Les pauvres devraient se méfier, les vieux dépendants et les handicapés aussi.
Surenchère
Sûr que la surenchère ira crescendo : certains, sans scrupules, ont compris que, s'il fut un temps où aucun débatteur (élu ou journaliste) n'aurait osé dire ce que l'on entend aujourd'hui, cette guerre anti-pauvres est désormais rentable. Elle trouve une écoute auprès des classes moyennes au sens très large du terme, d'une partie des classes populaires aux classes aisées (c'est bien pourquoi Laurent Wauquiez n'a cessé de prétendre qu'il est pour les classes moyennes, c'est beaucoup de monde, et contre les assistés). Les vannes sont lâchées. Les démagogues, au cours de la campagne présidentielle, ne se priveront pas d'exploiter ce filon. Les démocrates devraient sans relâche dénoncer cette agressivité publique, ces insultes permanentes, émanant d'individus qui briguent les plus hautes fonctions de l'État.
Et les candidats crédibles devraient non seulement expliquer leur combat pour l'économie et pour l'emploi, mais aussi pour la solidarité : dire clairement qu'en l'absence de revenus du travail, les sans-emploi doivent avoir des conditions d'existence décentes, comme l'exige la Constitution, qu'ils ont droit au respect et ne plus être humiliés.
______
(1) https://blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/blog/110816/la-provoc-annuelle-de-challenges-le-palmares-des-fortunes
(2) http://www.liberation.fr/desintox/2016/08/31/rsa-vs-smic-non-on-ne-gagne-pas-autant-sans-travailler-comme-le-pretend-valeurs-actuelles_1475410
(3) Voir explications d'ATD : https://www.atd-quartmonde.fr/faut-il-radier-les-beneficiaires-du-rsa-non-inscrits-a-pole-emploi/
(4) Voir mon texte sur Benefits Sreet : https://blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/blog/110414/dans-la-deche-paris-et-londres
(5) Voir mon billet précédent Il se passe quelque chose : https://blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/blog/130916/il-se-passe-quelque-chose
. Chantage : Les Départements sont nombreux (surtout depuis la victoire de la droite en 2014 dans beaucoup d'entre eux) à se plaindre de la progression des dépenses du RSA, en mettant quelques fois en place les contrôles que j'évoque plus haut. Dominique Bussereau, président LR de Charente-Maritime, a à nouveau annoncé le 14 septembre que 40 départements ne peuvent payer le RSA, annonce scandaleuse qui exerce une pression terrible sur les personnes concernées sans qu'aucune personnalité ne s'en émeuve. Ces Départements ont ainsi trouvé le moyen de justifier la hausse des impôts locaux en accablant finalement les plus démunis, alors que c'est une de leurs missions essentielles, selon la loi. On ne les voit pas monter au créneau pour larmoyer sur le coût des dépenses somptuaires qu'ils engagent parfois, qui ne sont pas d'utilité première et qui ne relèvent même pas de leurs compétences. Par contre, dès qu'il y a une fraude (comme à Brest ou à Paris récemment), les institutions communiquent largement pour montrer du doigt les fraudeurs. D. Bussereau, sur Public Sénat, vient de dire qu'à La Rochelle des bénéficiaires du RSA sont assujettis à l'ISF : cette anecdote est odieuse, car soit fausse, soit cas très isolé, mais tout est fait pour discréditer l'aide aux plus démunis.
. Misère dans la rue : À Paris, beaucoup de couples avec enfants dans la rue, enveloppés dans une couverture ou une couette. Certains ne mendient pas, d'autres mendient utilisant manifestement l'enfant pour apitoyer le passant (contrairement à ce que dit la Loi). Je ne sais ce que peut faire le Samu social à ce sujet mais vu le nombre très élevé d'enfants, souvent en bas âge, dans la rue, cela paraît assez évident que les pouvoirs publics doivent agir, ne serait-ce que pour protéger ces enfants et ne pas être en situation de non-assistance à personne en danger. Les passants ou les riverains assistent impuissants et parfois honteux à ces scènes intolérables au pays des droits de l'homme.
http://www.humanite.fr/le-scandale-invisible-des-enfants-la-rue-591244
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
Lien avec ma page Facebook
Tweeter : @YvesFaucoup
[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]
Il se prononce pour la suppression de l'ISF (impôt solidarité sur la fortune). Rien de surprenant. Sauf qu'au lieu d'assumer en bon "libéral" sa volonté d'accroître les inégalités, dans la perspective hypothétique et lointaine qu'un jour il y aura bien une retombée positive pour les plus pauvres, il justifie sa position en affirmant que c'est l'intérêt même des "Français les moins fortunés" qui, comme chacun sait, pâtissent de l'existence de l'ISF. Gonflé comme argument. Et de délirer sur la nécessité de "ne pas céder un pouce de terrain devant la pensée unique du politiquement correct et l'obsession égalitariste de la gauche obnubilée par le nivellement". Il est terrible le nivellement qui fait que les 12 plus riches de France possèdent une fortune de 194 milliards d'euros (1), somme qui est en progression de 28 Mds en un an, soit + 16,9 % !
Par ailleurs, il annonce qu'il augmentera les cadeaux aux entreprises en doublant le CICE (merci François Hollande qui lui a montré la voie). Il s'étend peu sur le RSA, juste pour livrer sa rengaine habituelle : "mettre fin à la situation dans laquelle le travail paye moins que les revenus d'assistance". De nombreux observateurs ont démontré depuis longtemps que cette assertion est fausse. Plus précisément, elle est volontairement mensongère : elle est là pour détourner les colères sociales et les orienter contre les plus démunis. Il répète sans cesse ce slogan, alors qu'il n'ignore pas qu'il est erroné. Marquer des points dans une opinion publique qui est classe moyenne, ou se croit classe moyenne, ou se sait classe populaire mais pas sous-prolétaire. C'est vrai que cette accusation est colportée partout, peut-être parce qu'il s'agit d'une réaction "humaine", qui consiste à rechercher le fautif de ses malheurs parmi ses proches, mais certainement parce qu'une propagande bien organisée souffle sur ces braises. Personne, cependant, n'a jamais trouvé quelqu'un prêt à laisser tomber son emploi pour bénéficier des avantages mirobolants du RSA.
Evidemment, ce propos insupportable, Nicolas Sarkozy n'est pas le seul à le tenir. Le Front National, au hasard. L'hebdomadaire de la droite extrême, Valeurs actuelles, également, qui se gargarise régulièrement avec ce genre d'insultes. Comme dans son numéro de fin août, intitulé, en couverture, Les assistés : comment ils ruinent la France (il y a deux ans, le titre, en couverture, proclamait déjà : Ces assistés qui ruinent la France, tandis que Le Point de FOG titrait lui en octobre 2013 : Les assistés, Comment la France les fabrique). On a droit à des articles Profession : assisté! ou Voyage au pays des 1001 allocs. VA, ayant en quelque sorte le feu-vert de Sarko, publie un tableau pour montrer qu'"en bout de course, un couple marié avec deux enfants qui ne travaille pas gagne pratiquement autant qu'un autre percevant le Smic". Tout est dans le "pratiquement". Libération (2) a démontré les erreurs du tableau : entre autres, le canard de la droite extrême considère que cette famille sans emploi gagne 292 € au titre du transport, puisque n'ayant pas à se déplacer elle n'a pas à faire cette dépense : donc c'est un gain à rajouter à ses revenus !
Claire Hédon, présidente d'ATD Quart Monde, a adressé à Valeurs actuelles une lettre pour contester les affirmations de l'hebdomadaire, comme celle qui consiste à dire que la CMU complémentaire est "fréquemment piratée", alors que le taux de fraude est très faible, et sans rapport avec celui de la fraude fiscale. Elle écrit : "La question est de savoir si les pauvres sont victimes ou coupables de leur situation ? La réalité est qu’ils sont doublement victimes : ils sont confrontés à une vie très difficile et en plus ils sont jugés par les autres. Les propos que vous tenez aggravent leur exclusion." De son côté, Nicolas Sarkozy, répondant à David Pujadas et Léa Salamé sur France 2, dans L'émission politique, le 15 novembre, s'est complu une fois de plus à descendre en flamme l'aide médicale d'État (AME) qui permet à des étrangers sans papiers de se soigner, ce qui est bénéfique pour eux mais aussi pour le pays tout entier.
Je considère pour ma part que cette haine anti-sociale permanente, proférée par ces médias de la droite de la droite, mais aussi par des politiques comme Nicolas Sarkozy, et son remplaçant à la tête de Les Républicains, Laurent Wauquiez, qualifié, sans crainte du ridicule, par Valeurs actuelles chantre de "la droite des valeurs", devraient faire l'objet de poursuites judiciaires. Imagine-t-on un tribun sur les estrades proclamer que les handicapés se la coulent douce, qu'on les paye à ne rien foutre, que les personnes âgées dépendantes coûtent trop cher à la Nation et que, puisqu'elles n'ont pas cotisé, ne devraient pas bénéficier de l'allocation personnalisée d'autonomie ? Pour reprendre une phrase d'un sketch de Patrick Timsit, "les handicapés, à force de les aider, de les assister, n'est-ce pas le meilleur moyen de les empêcher de guérir ? " Sans doute pour le moment cela provoquerait un tollé, mais pour combien de temps encore ?
Le chatelain de la Sarthe
François Fillon, en déplacement aux Etats-Unis, s'adressant à quelques Français installés là-bas, déclare : "C'est toujours mieux de travailler que d'être au chômage ou au RSA".
C'est ben vrai ça : vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et
malade. Sauf que le châtelain de la Sarthe ajoute qu'il vaut mieux
accepter des emplois précaires plutôt que les aides sociales. Et toc !
De leur côté, des élus des Départements instrumentalisent le RSA en
expliquant à leurs administrés que si les impôts locaux augmentent c'est
à cause de la hausse du RSA (du nombre de bénéficiaires). C'est ainsi
qu'ils justifient un renforcement des contrôles. Comme le Haut-Rhin qui
fait la chasse aux comptes bancaires. Et on nous annonce que dans le
Nord, les bénéficiaires du RSA doivent se faire connaître, afin de les
inciter à s'inscrire à Pôle Emploi. France 2 (10 septembre) n'hésite pas
à donner crédit à la démarche du Nord en disant que cela a eu pour
effet que 3900 RSA ont retrouvé un emploi.La communication publique sur le sujet est purement idéologique : culpabiliser, culpabiliser, il en restera toujours quelque chose (3). J'atteste que les contrôles ont toujours existé, que les bénéficiaires du RMI ont toujours été invités à s'inscrire à l'ANPE puis à Pôle Emploi (en tout cas pour ceux qui ne sont pas en attente de décision de la MDPH pour savoir s'ils peuvent avoir droit ou non à l'AAH, allocation adulte handicapé). Avec effectivement, plus ou moins de succès. Mais faut-il rappeler ici que c'est Monsieur Laurent Wauquiez, alors secrétaire d'État à l'emploi, le pourfendeur de l'"assistanat", qui, à la création du RSA, militait contre l'inscription à Pôle Emploi pour ne pas alourdir les statistiques du chômage (il a été dénoncé publiquement par son petit camarade au gouvernement Fillon, Martin Hirsch).
De ce fait, l'agitation organisée sur d'éventuels abus sur le RSA n'a pas pour but d'améliorer réellement la condition des plus démunis, qui n'ont plus d'emploi, ni d'indemnités de chômage, mais seulement de faire œuvre de pure propagande, dans un combat idéologique impitoyable qui consiste à désigner les victimes les plus touchées par la crise comme bouc émissaire des désagréments vécus par les autres.
Pourquoi se priver dans la course à l'ignominie : alors, sur le modèle anglais (Benefits Street sur Channel 4), Metropole 6 (M6 pour les intimes, propriété d'un groupe allemand) a diffusé Rue des allocs, avec sa bonne dose de mépris pour les plus pauvres, en montrant avec complaisance ceux qui dérapent, passent leurs journées à glander avec leurs canettes de bière, que les tweets des spectateurs ne se privent pas d'insulter ("pourriture de voyous"), afin que le discours sur les assistés se prélassant dans des canapés fasse son chemin (4).
Et alors que les effets désastreux du libéralisme économique et de l'austérité commencent à être perçus par un plus grand nombre (5), on continue à nous asséner les leçons de morale des valets des puissants, des mercenaires de la Finance, réclamant encore et toujours de restreindre les droits sociaux, de réduire les dépenses d'assistance, de ne pas taxer davantage les riches, de réduire une dette publique qui serait due à la dépense publique, et non pas, mais pas du tout, à une finance dérégulée qui a provoqué en 2008 une dette privée que les États ont dû compenser. Les chantres de cette économie au service d'une minorité jouent les vierges effarouchées lorsqu'on interroge leur objectivité : ils s'affirment neutres, scientifiques, et préfèrent qu'on n'insiste pas sur la fortune de leurs mandants, milliardaires propriétaires des grands médias, membres du CAC 40. Ils aimeraient bien également que l'on n'annonce pas le montant de leurs salaires pour servir la soupe néo-libérale, sachant que certains alignent au bas mot des enveloppes de 40 000 euros mensuels pour expliquer au smicard que le Smic est à un niveau trop élevé pour la com-pé-ti-ti-vi-té !
Photo Olivier Papegnies, Secours Populaire.
Si encore ils exprimaient un minimum de compassion pour les victimes
d'un système dont ils sont les promoteurs. Mais que nenni ! Rares sont
ceux qui semblent réellement percevoir à quoi se confronte une partie de
la population. Tout au plus, ils savent qu'il y a de la misère, mais
quoi, quelques SDF, poivrots, ici ou là. On sent bien que lorsque le
montant d'un salaire ou d'une allocation est évoqué, ça leur semble
impossible, cela dépasse leur entendement et font tout pour ne pas
s'attarder sur le sujet. Ce qui ne les empêche pas de faire larmoyer le
clampin de téléspectateur en lui montrant qu'il y a plus pauvre que lui.
D'où les marronniers du genre, l'hiver, le SDF à la rue (s'il meurt, en
plus, ça fait plus trash). Ou le rapport annuel du Secours Catholique,
ou celui de la Croix-Rouge, ou celui des Restos du Cœur, puis celui des
Banques alimentaires, chacun cherchant, pour exister, à annoncer des
chiffres exclusifs. Quand le Secours Populaire, début septembre, annonce
que "les difficultés financières poussent une partie significative
de la population, et surtout de foyers modestes, à retarder des soins ou
à y renoncer totalement", cela fait l'info d'un jour, puis c'est
bon pour les oubliettes. Cela ne réduit en rien l'intransigeance des
Verdier-Molinié ou d'un Wauquiez, décelant dans chaque "bénéficiaire"
d'une allocation un fraudeur ou un assisté particulièrement satisfait de
sa situation.Quand Marine Le Pen vient dire sur TF1, dans l'émission Vie Politique le 11 septembre, que la France compte "un million de pauvres supplémentaires sous le dernier quinquennat", on sent bien que c'est juste pour tomber à bras raccourcis sur le gouvernement, car, à propos des immigrés, qu'il importe de virer s'ils ne travaillent pas, elle précise, textuellement : "ce n'est pas qu'on manque de charité, c'est juste qu'on n'en a pas les moyens". Terrible comme phrase. Les pauvres devraient se méfier, les vieux dépendants et les handicapés aussi.
Surenchère
Sûr que la surenchère ira crescendo : certains, sans scrupules, ont compris que, s'il fut un temps où aucun débatteur (élu ou journaliste) n'aurait osé dire ce que l'on entend aujourd'hui, cette guerre anti-pauvres est désormais rentable. Elle trouve une écoute auprès des classes moyennes au sens très large du terme, d'une partie des classes populaires aux classes aisées (c'est bien pourquoi Laurent Wauquiez n'a cessé de prétendre qu'il est pour les classes moyennes, c'est beaucoup de monde, et contre les assistés). Les vannes sont lâchées. Les démagogues, au cours de la campagne présidentielle, ne se priveront pas d'exploiter ce filon. Les démocrates devraient sans relâche dénoncer cette agressivité publique, ces insultes permanentes, émanant d'individus qui briguent les plus hautes fonctions de l'État.
Et les candidats crédibles devraient non seulement expliquer leur combat pour l'économie et pour l'emploi, mais aussi pour la solidarité : dire clairement qu'en l'absence de revenus du travail, les sans-emploi doivent avoir des conditions d'existence décentes, comme l'exige la Constitution, qu'ils ont droit au respect et ne plus être humiliés.
______
(1) https://blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/blog/110816/la-provoc-annuelle-de-challenges-le-palmares-des-fortunes
(2) http://www.liberation.fr/desintox/2016/08/31/rsa-vs-smic-non-on-ne-gagne-pas-autant-sans-travailler-comme-le-pretend-valeurs-actuelles_1475410
(3) Voir explications d'ATD : https://www.atd-quartmonde.fr/faut-il-radier-les-beneficiaires-du-rsa-non-inscrits-a-pole-emploi/
(4) Voir mon texte sur Benefits Sreet : https://blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/blog/110414/dans-la-deche-paris-et-londres
(5) Voir mon billet précédent Il se passe quelque chose : https://blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/blog/130916/il-se-passe-quelque-chose
. Chantage : Les Départements sont nombreux (surtout depuis la victoire de la droite en 2014 dans beaucoup d'entre eux) à se plaindre de la progression des dépenses du RSA, en mettant quelques fois en place les contrôles que j'évoque plus haut. Dominique Bussereau, président LR de Charente-Maritime, a à nouveau annoncé le 14 septembre que 40 départements ne peuvent payer le RSA, annonce scandaleuse qui exerce une pression terrible sur les personnes concernées sans qu'aucune personnalité ne s'en émeuve. Ces Départements ont ainsi trouvé le moyen de justifier la hausse des impôts locaux en accablant finalement les plus démunis, alors que c'est une de leurs missions essentielles, selon la loi. On ne les voit pas monter au créneau pour larmoyer sur le coût des dépenses somptuaires qu'ils engagent parfois, qui ne sont pas d'utilité première et qui ne relèvent même pas de leurs compétences. Par contre, dès qu'il y a une fraude (comme à Brest ou à Paris récemment), les institutions communiquent largement pour montrer du doigt les fraudeurs. D. Bussereau, sur Public Sénat, vient de dire qu'à La Rochelle des bénéficiaires du RSA sont assujettis à l'ISF : cette anecdote est odieuse, car soit fausse, soit cas très isolé, mais tout est fait pour discréditer l'aide aux plus démunis.
Site MesOpinions
. Personnaliser les aides sociales : Une
pétition vient d'être lancée pour que l'on ne prenne pas en compte les
revenus du conjoint pour calculer le montant de l'AAH (allocation adulte
handicapé) : cette disposition est présentée comme "une injustice flagrante faite aux personnes diminuées physiquement, qui n'ont pas choisi de vivre avec un handicap".
En effet, ceux qui n'ont jamais cotisé, ou pas suffisamment, perçoivent
l'AAH (800 € à taux plein), les autres une pension d'invalidité, en
fonction des salaires précédant la mise en invalidité. L'AAH est donc un
secours, plus élevé mais comparable au RSA, tous deux étant une aide
sociale. Au moment où l'on cause de façon quelque peu irréaliste du
revenu universel (visée lointaine), il est tout à fait étrange qu'aucun
combat n'est mené en faveur d'une disposition, plus facilement
accessible, pour que la non prise en compte des revenus du conjoint soit
effective, pour l'AAH ou le RSA.
http://www.mesopinions.com/petition/politique/suppression-prise-compte-revenus-conjoint-calcul/18688. Misère dans la rue : À Paris, beaucoup de couples avec enfants dans la rue, enveloppés dans une couverture ou une couette. Certains ne mendient pas, d'autres mendient utilisant manifestement l'enfant pour apitoyer le passant (contrairement à ce que dit la Loi). Je ne sais ce que peut faire le Samu social à ce sujet mais vu le nombre très élevé d'enfants, souvent en bas âge, dans la rue, cela paraît assez évident que les pouvoirs publics doivent agir, ne serait-ce que pour protéger ces enfants et ne pas être en situation de non-assistance à personne en danger. Les passants ou les riverains assistent impuissants et parfois honteux à ces scènes intolérables au pays des droits de l'homme.
Paris [Photos Y.F.]
Voir par ailleurs l'article de l'Humanité : Le scandale invisible des enfants à la rue du 1er décembre 2015http://www.humanite.fr/le-scandale-invisible-des-enfants-la-rue-591244
Photo Xavier Richer, Photononstop, dans L'Humanité
Billet n° 277Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr
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[Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]
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