Les militants marocains de défense des droits humains Betty Lachgar et Ismaël Bakkar ont passé 36 heures en cellule. Ils dénoncent une détention arbitraire et des mauvais traitements.
Ce
n'est pas deux jours en cellule qui feront taire Betty Lachgar. Ceux
qui connaissent la co-fondatrice du Mouvement alternatif pour les
libertés individuelles (MALI) n'en doutaient certainement pas. Arrêtée
dans la nuit de jeudi à vendredi sur l'avenue Mohammed V de Rabat, la
militante s'estime victime d'une "arrestation politique" : "Dès
que les policiers ont vu qui nous étions, nous étions sûrs d'avoir des
problèmes. Mais je ne pensais pas qu'ils iraient aussi loin".
Ce samedi soir, dans sa petite maison de la médina de Rabat, Betty Lachgar parle
à toute vitesse, mange un peu ses mots. Elle lutte contre la fatigue
qui pèse sur elle. La fatigue et le choc de l'épreuve. Elle vient en
effet de sortir de prison, de quitter sa cellule au sol maculé
d'immondices, de laisser derrière elle des policiers contre lesquels
elle et son compagnon d'infortune, Ismaël Bakkar, comptent bien porter
plainte pour "violence verbale, physique et sexuelle".Lui aussi militant de MALI, Ismaël n'est guère plus en forme que sa camarade, samedi soir, dans le salon de Betty. La fatigue accentue son petit air enfantin.
"Ils étaient trois gros bras"
Les deux militants connus pour leurs combats avant-gardistes au Maroc, notamment pour les droits des LGBTI (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) , étaient avenue Mohammed V, jeudi soir vers 1h30 lorsqu'une altercation a éclaté avec la maman d'une petite fille qui était en train de mendier."C'était une toute petite gamine, je l'ai crue toute seule, elle était au milieu de la rue et s'approchait des voitures pour essayer d'obtenir une pièce contre un paquet de mouchoir. Je lui ai demandé où étaient ses parents. Elle m'a indiqué une dame un peu plus loin et on est allé lui parler. On ne peut pas laisser faire cela, cette petite fille pouvait se faire écraser, enlever, il pouvait lui arriver n'importe quoi !", raconte Betty.
Mais la mère semble ne rien
vouloir entendre et le ton monte jusqu'à ce que des policiers, appelés
par un passant, arrivent sur place. "La mère pensait qu'on l'avait
peut-être filmée, elle criait... Il n'y avait aucune raison de nous
embarquer mais pourtant nous avons tous été emmenés au poste."
Une
version confirmée par une source policière auprès du site goud.ma qui
affirme que les deux personnes interpellées "sont entrées en altercation
avec une vendeuse de mouchoirs sur l’avenue Mohammed V", sans faire
allusion à l'enfant.
Si la mère est rapidement laissée libre,
Betty et Ismaël sont, eux, conduits au sous-sol du poste de police. Là,
dans un petit bureau qui donne sur plusieurs cellules, ils sont
copieusement insultés. "Tout se que nous pouvions dire était tourné en
dérision", raconte Ismaël. "Et ils ont rapidement incité les autres
détenus à la violence contre nous en leur disant que nous étions des
impies, des militants pour les droits des LGBTI".
Les policiers souhaitent récupérer leurs portables. Ils demandent également sa montre à Ismaël. Lui veut un reçu.
"Un des policiers m'a dit : 'Je reviens de congés, donne moi ta montre ou je me débrouille pour prolonger mes vacances'. Je n'ai compris que plus tard ce que cela signifiait..."
Les policiers arrachent sa montre
à Ismaël et son bracelet en cuir se déchire sous la violence de l'acte.
"Ils étaient trois gros bras. Après cela ils ont commencé à me donner
des coups de poing dans le vendre et les parties intimes. Est-ce qu'ils
se sont rendus compte qu'ils étaient allé trop loin ? En tout cas, celui
qui m'avait parlé de ses vacances à soudainement arraché les boutons de
sa chemise en tirant dessus et s'est jeté au sol en disant 'Appelez une
ambulance !'".
Fouille intégrale
L'inquiétude monte
alors chez les deux militants. D'autant que personne ne sait qu'ils ont
été arrêtés en pleine nuit. Ismaël est menotté, fouillé intégralement et
jeté avec une dizaine de détenus. Betty a alors le réflexe de planquer
son téléphone dans ses sous-vêtements, espérant ainsi pouvoir
discrètement envoyer quelques SMS. Mais le subterfuge est découvert
lorsque celui-ci sonne. Les policiers s'énervent.
"Ils m'ont attrapé, m'ont jeté sur la table et puis l'un a soulevé ma robe et a mis sa main dans ma culotte. J'étais tellement traumatisée que je n'ai même pas senti le coup reçu à la mâchoire."
Ce n'est que plus tard
qu'elle prendra conscience de la douleur sur le côté droit de son visage
où une marque est toujours visible.
Les insultes fusent. On les laisse sans manger jusqu'en milieu de journée.
"Comme
ils m'avaient demandé si j'avais bu de l'alcool et que je n'avais pas
démenti, je pensais qu'ils nous reprocheraient cela et nous
relâcheraient donc rapidement le matin comme cela se fait
habituellement. Mais ils nous ont gardés", relate Betty Lachgar.
"C'était incompréhensible", relance Ismaël Bakkar. "Nous étions chacun
dans notre cellule immonde, avec juste une couverture au sol pour tous
les détenus, et nous ne savions pas ce qui allait advenir de nous."
Ce
n'est que 24 heures plus tard, après une nouvelle nuit blanche, que
tous les deux seront auditionnés par le procureur du roi avant d'être
libérés.
"Il est évident que le motif de notre arrestation était
politique. On ne nous a rien reproché durant notre arrestation. En
revanche, nous avons été copieusement insultés en rapport avec notre
militantisme", commente Betty. S'il n'est pas certains que des
poursuites restent ouvertes contre la jeune femme, Ismaël, lui, risque
d'être inquiété. Selon la même source policière citée par le site goud.ma
des poursuites pour "agression à l'encontre d'un fonctionnaire de
police dans l'exercice de ses fonctions, ivresse et troubles à l'ordre
public" sont ouvertes. Le policier emmené à l'hôpital a obtenu plusieurs
jours d'interruption de travail. "C'est le monde à l'envers", dénoncent
les deux militants. "Nous allons porter plainte pour ce qu'ils nous ont
fait subir".
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