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mardi 19 juin 2012

Le racisme des autres et le nôtre

 par Sanaa el Aji,  panoramaroc, 24/6/ 2012

 Quelle a été ma surprise, ces derniers jours, d’entendre un responsable gouvernemental évoquer devant les députés le phénomène de la violence, avant qu’il ne l’impute presque directement aux Africains subsahariens… Un lapsus, une indélicatesse, une faute ? Là n’est pas le plus important. Ce qui attire l’attention, en effet, c’est qu’un ministre puisse prononcer, en passant, une phrase qui confirme ce qui est déjà profondément ancré dans notre imaginaire collectif, en en faisant une vérité établie : Les immigrés noirs, de l’Afrique subsaharienne, sont les responsables de la (plupart) des violences et des destructions enregistrées dans les régions limitrophes des frontières. 

 « Nègre », « négro », « noir », « bamboula », « draoui »… autant de mots et de qualificatifs injurieux lancés par de nombreuses personnes, de manière parfois spontanée, lorsqu’elles voient un étudiant, un mendiant, un vendeur ambulant ou autres personnes venant du sud du Sahel. Un racisme qui outrepasse sans doute celui de nos frères de l’ouest du bassin méditerranéen. 

Je me souviens d’un ami qui me parlait du jour où il s’entretenait avec une Africaine ; il lui avait dit qu’il avait déjà visité l’Afrique. La réponse de la fille lui avait fait honte, lui qui connaissait les préjugés qui étaient les siens. « Le Maroc, il appartient à quel continent ? » ... une véritable gifle… En effet, nous parlons tous de l’Afrique comme s’il s’agissait d’un autre continent que celui auquel nous appartenons. Et croyez-moi si je vous dis que nous sommes tous aussi racistes que mon ami. Qui de nous n’a jamais parlé, un jour, de « ces Africains qui vivent au Maroc », ou « cette maison est habitée par des Africains » …? Qui parmi nous n’a jamais dit, ou entendu un proche à lui dire, à la vue d’un mendiant subsaharien : « Je donne d’abord aux Marocains, et je verrai ensuite ce que je pourrai faire pour vous » ? (peut-être même avec cet ajout, en fin de phrase, « vous, les nègres ») 

 L’article de mon confrère et ami Bassirou Ba, publié dans un hebdomadaire francophone voici une semaine, m’a ébranlée, gênée, irritée ; cet article m’a fait honte en me jetant à la figure cette cruelle vérité de notre racisme. Cela m’a mis en colère contre moi, contre nous et contre nos slogans aussi grandiloquents que faciles et creux. Nul d’entre nous n’osera reconnaître clairement que nous sommes un peuple raciste, en dehors de quelques remarquables exceptions… un peuple qui affectionne les déclarations tonitruantes sur la fraternité, l’islam, les grandes valeurs, la morale, mais un peuple imprégné à l’extrême d’un caractère méprisant, hautain, arrogant, s’inscrivant dans la négation de l’Autre, sur des bases aussi inhumaines qu’amorales. 
 
Et même nos relations économiques et diplomatiques sont marquées par le sceau de la condescendance. Et le plus grave est de voir ce comportement à l’égard de l’Autre devenir la norme, la réalité quotidienne. Le plus grave est de voir que notre voisin refuse de louer son appartement vide à un groupe d’étudiants, non pas en raison de ses craintes de ne pas recevoir ses loyers en temps et en heure, mais parce qu’il croit dur comme fer que les « Africains » vont vivre par dizaines dans cet appartement. Le plus grave est de considérer que les Noirs sont d’une valeur moindre que la nôtre uniquement parce qu’ils sont plus foncés que nous (à l’inverse, tout individu blond, émanant d’un pays occidental, a droit à tout notre respect et notre considération, nonobstant sa valeur intrinsèque). De même qu’il semblerait tout à fait naturel qu’un ministre vienne au parlement déclarer qu’il est de notre responsabilité, gouvernants et gouvernés, de contribuer à la lutte contre la violence qui s’installe aux frontières du pays, une violence dont la responsabilité revient dans la plupart des cas aux « Africains » immigrés qui veulent passer clandestinement en Europe. 

Nous admettons aussi allégrement cette interrogation : « Qu’est-ce qu’elle lui trouve ? », lorsque nous apprenons qu’une femme a décidé de convoler avec un homme venant d’Afrique noire. Nous trouvons normal de mépriser ces immigrés quand nous les voyons, sur la Corniche de Casablanca, installer leurs nattes, y poser des bibelots et autres colifichets ou babioles, des objets qui ne valent ni plus ni moins cher que ceux que nous trouverions exposés chez un marchand ambulant bien de chez nous ; pire encore, nous avons désormais admis que leurs mendiants ont une valeur moindre que nos mendiants, qui leur ressemblent pourtant à tous points de vue, hormis la couleur de peau. Imaginez donc… imaginez cette facilité avec laquelle nous classons en toute simplicité et spontanéité des mendiants en catégories. Ainsi, un mendiant marocain a plus de valeur que son « collègue » africain et, pour aller plus loin, nous pourrions même attribuer une valeur encore plus élevée à un mendiant blond… 

J’ai de la peine à nous entendre indéfiniment parler de mal du pays et de la façon dont nous sommes traités en Europe et en Amérique, du seul fait de la différence de notre pigmentation. Je ressens également une certaine douleur face à notre colère en entendant des gens employer des expressions telles que « sale arabe », « travail de bougnoule » ou encore « téléphone arabe ». 

Je suis enfin extrêmement attristée de voir ces a priori ou autres préjugés de nombreux occidentaux à l’égard de l’islam, des arabes et des maghrébins, qui font de nous des terroristes, sauvages, voleurs ou, au moins, porteurs des valeurs de violence sous toutes ses formes. Nous essayons alors de leur faire entendre raison, de les amener à résipiscence, en leur demandant de nous respecter dans leurs médias, dans leurs bureaux et dans la rue… nous leur demandons de se défaire de leurs stéréotypes et de nous accorder nos chances pour le travail, l’école et une existence digne. Nous tentons de leur faire abandonner ces raccourcis réducteurs et leur faire respecter notre dignité et notre double culture. 

 Et en contrepartie ? Combien de telles images toutes faites peuplent nos propres médias ? Comment avons-nous pu développer notre sous-développement du fait de notre ignorance ? Quelle est ce racisme que nous avons laissé prospérer dans notre société, alimenté de condescendance et nourri par le mépris, alors même que nous ne savons absolument pas de quoi nous parlons ? Une situation que nous avons consacrée avec une facilité aussi déconcertante que provocante. Mais aujourd’hui, il faut le dire, clairement et courageusement : Nous autres, marocains, sommes racistes. Très racistes. 

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