Lettre ouverte à Jean Pierre Denis, éditorialiste à La Vie (site chrétien d’actualité)
Par solidmar, 17/7/2011
La lecture de l’éditorial de la Vie du 30/6/2011* m’a laissée stupéfaite… Ai-je bien lu ? C’est bien dans ce mensuel à priori sérieux que j’ai lu ces phrases dignes de la MAP ou autres publications proches du palais ?
« La plus grande révolution du monde arabe », est celle du Maroc qui « s’efforce de descendre d’en haut » et « qui va passer d’un régime absolutiste revêtu d’oripeaux parlementaires à une monarchie constitutionnelle », loin de ce que « raconte l’homme de la rue ».
Quel mépris, pour les slogans scandés lors des marches pacifiques organisées dans la rue des villes du Maroc par le mouvement du 20 février, parlant de dignité, de liberté, de démocratie, de justice !…A ce magnifique courant d’espoir (que vous ne citez même pas) vous préférez le « document passionnant » des 180 articles de la nouvelle constitution, selon vous « roman d’un peuple qui se cherche un avenir de liberté démocratique »…On croit rêver…
Oui, il le cherche, cet avenir de liberté démocratique, ce mouvement libérateur du 20 février auquel ont adhéré à travers tout le Maroc les associations de défense des droits de l’homme (AMDH, Attac Maroc, La LMDH…) quelques partis non inféodés au palais qui aspirent à une vraie démocratie et des citoyens libres dont une grande partie des habitants des bidonvilles. Mais il ne le trouve pas dans cette constitution octroyée, descendue d’en haut !
La commission choisie par le roi, chargée du toilettage de l’ancienne constitution, s’est bien moquée des plus importantes aspirations du mouvement du 20 février ! Pas question de libérer les prisonniers politiques, de lutter contre la corruption, contre l’impunité, d’envisager de réduire les écarts de « fortunes » scandaleux entre immensément riches et dramatiquement pauvres, et j’en passe …Sur le fond, la nouvelle comme l’ancienne octroie au roi tous les pouvoirs que, selon l’analyse de quelques juristes elle a même renforcés. Il est l’émir des croyants , inviolable, n’a de compte à rendre à personne, chef de l’Etat, c’est lui qui nomme le chef de gouvernement dont il peut mettre fin aux fonctions ainsi qu’à l’ensemble du gouvernement ; il préside le conseil des ministres, nomme le gouverneur de la banque nationale, les ambassadeurs, les gouverneurs des provinces, les responsables des établissements, etc ; il promulgue les lois, peut dissoudre les deux chambres du parlement, est chef des armées, préside le conseil de sécurité et celui du conseil supérieur du pouvoir judiciaire…pour, ne citer que quelques unes de ses nobles fonctions… Et vous écrivez que « la souveraineté appartient à la nation » Quelle souveraineté ? Où est la part du peuple ? Où est la séparation des pouvoirs ?
Il reste, il est vrai, deux avancées : la langue amazighe enfin reconnue, même si cette reconnaissance sera difficile à mettre en pratique dans l’administration. Le Maroc est un des rares pays dont la langue officielle, l’arabe, est pour la majorité de la population une langue étrangère qu’il faut apprendre à l’école…quand on a la chance d’y aller… Il était temps de la reconnaître, cette langue berbère…
L’égalité homme-femme : également difficile à mettre en application puisque l’islam, religion d’Etat, prône l’inégalité en matière d’héritage…
Le chapitre sur les droits de l’homme, auquel on ne peut qu’adhérer ne diffère guère de celui de la constitution précédente, mais il n’était pas appliqué en dépit des déclarations mensongères qui affirmaient que la torture n’existe plus, et qu’il n’y a plus de centre de détention secret au Maroc, même pas à Temara !… Quand on a pris l’habitude de mentir…
Un fait très grave passe presque inaperçu : l’annexion de fait du Sahara Occidental, masquée dans la régionalisation proposée. Ce texte voté plonge dans le désespoir plus de 150 000 Sahraouis réfugiés dans l’enfer du sable des étés torrides (50° en ce moment) loin de leur pays dont les richesses sont pillées par l’occupant marocain, alors que depuis 20 ans (et non 13 jours !) la MINURSO (l’ONU) est chargée d’organiser un référendum, celui de l’autodétermination, droit reconnu internationalement.
Les Marocains qui n’ont pas voté « oui », sont devenus des traîtres à leur pays…Quelle sera la sanction ?
Dans votre texte plein de louanges il est un aspect qui vous chiffonne : « État musulman ». Ce qui à mon avis est incompatible avec la démocratie, c’est la persistance d’une religion d’Etat que cet État soit musulman, catholique, orthodoxe ou autre. Sans la liberté de culte il n’est pas possible de prétendre devenir un État de droit, vous en avez convenu.
Comment imaginer que les « lumières sur le Maroc » puissent arriver d’en haut ? D’une monarchie qui réprime avec violence tout ce qui n’est pas idolâtrie et allégeance ?…D’une monarchie dont le système policier n’hésite pas à tuer des jeunes qui mettent leur vie en péril pour défendre la dignité, la justice, la liberté, en un mot, la Démocratie ? D’une monarchie qui, pour que ses forces de l’ordre aient les mains propres au moment du vote, emploie les moyens les plus abjects pour gagner des « oui » en donnant contre paiement la sous-traitance de la répression à des baltaguias, des voyous capables d’injurier, de frapper et de cracher au visage d’ un résistant, le vice-président de l’AMDH, qui a milité toute sa vie pour que le Maroc devienne enfin un pays démocratique ?… D’une monarchie et son inévitable makhzen qui fait passer les intérêts privés avant les intérêts du peuple ?…D’un roi qui prend parti dans ce vote, oubliant son rôle d’arbitre et obligeant les imams à lire une lettre officielle demandant aux fidèles de voter oui, qui ne laisse pas aux opposants le temps de s’expliquer, qui utilise toute la presse pour guider le peuple et lui dire comment il doit voter, sans lui donner d' explication, sinon que c’est Son bon vouloir ?…D’une monarchie absolue qui se pavane d’avoir été plébiscitée alors que le mode d’élection est bourré d’irrégularités et de triche ?…
Même décrié, trainé dans la boue, calomnié, le mouvement du 20 février et de tous ceux qui, avec lui veulent réellement la démocratie, ne s’arrêtera pas. Il n’est pour s’en assurer que de voir les photos de marées humaines qui ont démontré, deux jours après le référendum, que ce mouvement n’est pas prêt à baisser les bras et à accepter une constitution, qui n’est pas celle du peuple, ni à enterrer les illusions du « printemps marocain » !
*http://www.lavie.fr/chroniques/editorial/lumieres-sur-le-maroc-30-06-2011-18132_37.phpRabat, 3 juillet, marche de protestation, 2 jours après le référendum |
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