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jeudi 22 avril 2010

Tunisie : Aziz Enhaili s'entretient avec Moncef MARZOUKI

Par Aziz Enhaili,  pour Tolérance, 21/4/2010
Moncef Marzouki est un médecin et homme politique tunisien. Il est élu en 1989 à l’unanimité président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme. Il y a milité jusqu’à sa quasi destruction en 1994 par un régime qui ne souffre ni autonomie de la société civile ni opposition véritable. D’où son déchaînement contre ce militant des droits de l’Homme. Dr. Marzouki a également agi comme porte-parole du Conseil National pour les Libertés en Tunisie (CNLT) de 1998 à 2001. Il a été empêché de se présenter contre Zine el-Abidine Ben Ali à l’élection présidentielle de 1994. Il préside depuis 2001 le Congrès pour la République, un parti non reconnu. Nous l’avons interviewé à propos de la situation des droits de l’Homme en Tunisie.

Aziz Enhaili: Comment se porte l’État de droit en Tunisie?
Moncef Marzouki: De quoi parlez-vous? Il n'y a jamais eu d'État de droit dans ce pays.
L’État de droit suppose une justice indépendante. Nous avons la magistrature la plus couchée que puisse rêver une dictature. Le 30 janvier dernier un procès extraordinaire a eu lieu à Tunis, à huis clos, un samedi après midi, en l’absence du principal accusé, le fameux maffieux Imad Trabelsi, gendre ou beau-fils du dictateur et il a été acquitté du vol d’un yacht en France. Crime connu de tous. Un État de droit suppose un Parlement qui vote les lois. En Tunisie, c’est en fait une chambre d’enregistrement, dont les lois sont toutes là pour limiter les libertés. L’État de droit en Tunisie reste à construire sur les décombres d’une dictature maffieuse de la pire espèce.
Aziz Enhaili: Quel est l’état actuel des libertés publiques sous Zine el-Abidine Ben Ali?
Moncef Marzouki: Elles étaient moribondes. Elles sont mortes. Trois opposants ne peuvent s’asseoir ensemble dans le même café. La surveillance du courrier, d’Internet, des journaux, des opposants est digne de la Corée du Nord.
Aziz Enhaili: A quoi cet état est-il dû, selon vous ?
Moncef Marzouki: Un régime vil, une opposition veule et un peuple avili. Le régime ne recule plus devant aucun moyen de basse police pour intimider le dernier carré des résistants. La classe politique –ou ce qu’il en reste- ne veut pas admettre une simple loi vérifiée tant de fois par l’histoire. L’opposition est un concept qui n’a de sens que dans une démocratie. Sous une dictature, il n’y a que la résistance, soit armée, soit pacifique. Je n’ai pas arrêté d’appeler les acteurs politiques à organiser la résistance civile en vue d’un long combat déterminé ayant pour objectif clair d’abattre la dictature. Mais ces messieurs, dames sont persuadés ou font semblant de l’être- qu’on peut amender une dictature, qu’en faisant semblant de participer à ses farces électorales, on élargit l’espace des libertés. C’est pitoyable! Le peuple, lui, sans leadership, sans alternatives claires, se laisse aller à la débrouillardise individuelle, en rentrant la tête dans les épaules. Quel spectacle que celui de la Tunisie. Jeunesse, où es tu? Quand vas-tu retrouver la colère salvatrice pour sortir le pays de ce marigot?
Aziz Enhaili: Comment expliquez-vous l’«efficacité» de ce régime autoritaire dans le musèlement d’un pays comme la Tunisie?
Moncef Marzouki: N'importe quel idiot peut gouverner un pays trente ans s'il use de la corruption, ne recule devant aucune répression. C'est le cas de Ben Ali.
Aziz Enhaili: Y a-t-il encore une opposition digne de ce nom dans ce pays? Si oui, de quelles forces politiques se compose-t-elle? Quel est l’état aujourd’hui de cette opposition?
Moncef Marzouki: Il y a d’abord l'opposition du décor, Tajdid (ex-Parti communiste) compris; ensuite, l'opposition magique type Parti démocratique progressiste (PDP), qui joue à l’extension des espaces de liberté, en prétendant participer à un jeu électoral qu'elle sait pipé. Elle n'a pas d'autre stratégie pour faire semblant d’exister. Il y a enfin les irrédentistes. Ils sont en prison ou en exil ou encore en clandestinité. Je parle ici du Congrès pour la République (CPR), du Parti ouvrier communiste tunisien (POCT) et du parti d’Ennahda. Trois formations illégales.
Aziz Enhaili: Les islamistes demeurent-ils de nos jours la principale force d’opposition au régime?
Moncef Marzouki: Non. Ennahda est paralysée par ses contradictions internes entre les résistants et ceux qui veulent collaborer avec le régime. Tant que ce parti islamiste n'aura pas éclaté en deux groupes, les résistants rejoignant la résistance et les collabos allant clairement à la «soupe», les choses resteront figées en l’état.
Aziz Enhaili: Comment expliquez-vous le silence occidental face à la détérioration continue depuis de nombreuses années de l’état des libertés en Tunisie? Et que devrait faire l’Occident pour redresser cet état?
Moncef Marzouki: Ce n'est pas l'Occident qui est en cause ici, mais cinq gouvernements (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Italie et Espagne). Leur intérêt immédiat est de soutenir la dictature de Ben Ali, faute d'alternative. La démocratie risquant, pensent-ils, de donner le pouvoir à des forces nationalistes et/ou islamistes. Les sociétés civiles occidentales, elles, sont contre la dictature et constituent pour nous un puissant allié.
Aziz Enhaili: Quel crédit accordez-vous au scénario de dévolution du pouvoir à Tunis à des membres du clan Ben Ali-Trabelsi, en cas d’incapacité du président en exercice?
Moncef Marzouki: Aucun! Il faut réactiver la résistance civile pour en finir avec la dictature. Tout autre choix stratégique condamnerait notre pays à la corruption éternelle et à des lendemains bien tristes pour nos jeunes.

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