Rassemblement, 14 décembre 2016, devant le Ministère de Didier Reynders (12.30-14.30h).
Le 1er avril 2008, le Belgo-Marocain
Ali Aarrass avait été arrêté à Melilla à la demande du Maroc dans le
cadre du démantèlement d’une organisation terroriste au Maroc, le réseau
dit Belliraj. Le Maroc demandait son extradition immédiate. Mais la
Justice espagnole, en la personne du juge antiterroriste Baltazar
Garzon, décida de garder Ali Aarrass en détention sous haute sécurité en
Espagne et de faire sa propre enquête antiterroriste sur son cas.
Le 16 mars 2009, après un an d’examen
minutieux du dossier, l’impitoyable juge Garzon prononce un non-lieu
dans l’affaire Ali Aarrass : il n’y a rien contre Ali Aarrass, il n’y a
même pas lieu d’organiser un procès.
Ni l’Espagne, ni la Belgique n’ont
voulu tenir compte de ces arguments et de ces preuves accablantes. Comme
de véritables Etats voyous, ils se sont ainsi rendus coupables de
non-assistance à une personne en danger, voire de collaboration et de
complicité dans la pratique de la torture.
L’extradition elle-même, perpétrée le
14 décembre, s’assimilait plus à un enlèvement, à une « illegal
rendition » (extradition extrajudiciaire), qui fait la réputation de la
CIA, qu’à une procédure judiciaire légale et respectueuse des droits de
l’homme.
Personne n’en a été informé. Une
semaine après sa disparition, il n’y avait toujours personne qui savait
où Ali se trouvait. Finalement, ses avocats ont appris que des agents
d’Interpol étaient venus chercher Ali Aarrass à la prison de Valdemoro, à
Madrid, où il avait été transféré de la prison d’Algesiras, une semaine
auparavant. Ali aurait été transféré à Casablanca le jour même.
Pour protester contre son éventuelle
extradition, Ali Aarrass observait une grève de la faim depuis une
vingtaine de jours. Ali avait écrit à ses proches : « Aujourd’hui,
vendredi 26 novembre 2010, après que ma femme me raconte tout ce que
vous faites pour m’aider, j’ai immédiatement décidé de reprendre une
grève de la faim, c’est la troisième. J’ai pris cette décision afin de
ne pas vous laisser faire seuls. C’est la seule chose que je puisse
faire pour mener cette lutte à vos côtés. M’affamer ! ». Ce qui n’a pas empêché l’Espagne d’extrader un homme complètement affaibli.
Le Haut-Commissariat aux Droits de l’homme des Nations Unies demandait de ne pas extrader Ali Aarrass.
Saisi par les avocats d’Ali Aarrass, le
Haut-Commissariat aux Droits de l’homme des Nations Unies à Genève
avait pris une mesure provisoire le 26 novembre 2010, demandant à
l’Espagne de ne pas extrader Ali Aarrass avant que le Haut-Commissariat
ait donné son avis sur les arguments des deux parties. L’Espagne a feint
d’abord de s’aligner sur cette demande, respectant ainsi ses
obligations internationales comme le font la plupart des pays.
L’Espagne avait d’ailleurs déjà été
rappelée à l’ordre par le Comité contre la torture de l’ONU dans son
rapport de novembre 2009 sur ses extraditions illégales. Dans ce
rapport, le Comité exigeait de l’Espagne de l’informer sur « …la
situation des personnes suivantes : Basel Ghalyoun, citoyen syrien
renvoyé de force en République arabe syrienne le 22 juillet 2008 et sur
M. S., citoyen algérien transféré de force du Centre de rétention des
migrants de Madrid le 21 novembre 2008 et dont on ne sait ce qu’il est
advenu... ». Le Comité contre la torture rappelait à l’Espagne que «
tous les accords bilatéraux d’extradition conclus par l’Espagne
comprennent une obligation expresse d’interdire l’extradition
d’individus s’ils risquent d’être soumis à la torture ou à un traitement
cruel, inhumain ou dégradant ». Il y avait donc un espoir que,
cette fois-ci, les choses allaient se passer autrement et que la
procédure normale allait suivre son cours.
En réponse à la mesure provisoire du
Haut-Commissariat, le 7 décembre 2010, le représentant de l’Espagne à
Genève envoyait une lettre, argumentant pour l’extradition d’Ali
Aarrass. Le 10 décembre, le directeur du Haut-Commissariat transmettait
cette lettre espagnole aux avocats d’Ali, leur demandant de formuler une
réponse dans un délai de deux mois. Mais quatre jours après l’envoi de
sa lettre, l’Espagne décidait de se foutre des règles et procédures
élémentaires internationales et de mettre Ali Aarrass dans un avion,
direction le Maroc !
L’abandon par la Belgique d’un citoyen de seconde zone.
Pendant les 2, 5 ans de sa détention
en Espagne, le consul belge en Espagne a toujours refusé de rendre
visite à Ali Aarrass, qui demandait sans cesse de bénéficier d’une
assistance consulaire belge. Pratique qui avait été confirmée et
justifiée le 29 novembre 2010 par le ministre Vanackere à la Chambre, en
réponse à une interpellation de la députée Zoé Genot : « Pour ce
qui concerne votre question relative à une visite du consul,
l’assistance aux Belges détenus à l’étranger ne prévoit pas
l’organisation de visites consulaires dans les pays de l’Union
européenne ». C’était un mensonge pur et simple. La preuve ? A la
surprise générale, le consul belge s’était décidé à rendre visite à Ali
et à demander une visite consulaire à la prison pour… le 16 décembre
2010. Soit deux jours après l’extradition d’Ali Aarrass ! En réponse à
sa demande, la direction de la prison avait répondu au consul que sa
visite ne pourrait avoir lieu, puisqu’Ali Aarrass avait déjà été
extradé. La Belgique était-elle au courant et a-t-elle voulu sauver la
face, feignant avoir fait les efforts diplomatiques nécessaires pour son
citoyen ? Quoi qu’il en soit, le consul belge n’a pas même pris la
peine de contacter les avocats d’Ali ou sa famille. C’est par la presse
que cette extradition a été portée à la connaissance des proches d’Ali
Aarrass!
La Belgique a fait savoir à maintes reprises qu’elle « n’évoquerait pas ce dossier ni avec l’Espagne, ni avec le Maroc
». Dans sa réponse à Zoé Genot, le 29 novembre, le ministre se défend
de ne pas avoir pris contact avec l’Espagne pour s’opposer à une
éventuelle extradition d’un Belge : « Je n’ai pas évoqué le dossier
d’extradition avec mon collègue espagnol car il n’est pas d’usage que la
Belgique intervienne dans une procédure d’extradition entre pays tiers
même lorsque cette dernière concerne un ressortissant national. De plus,
j’ai entière confiance dans les garanties que le système judiciaire
espagnol offre au niveau des procédures d’extradition et du respect des
droits de l’homme. Il prévoit, en effet, des possibilités d’appel et ce,
jusqu’au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme en cas de
non-respect de la Convention européenne des droits de l’homme. Vu ce qui
précède, je n’entreprendrai pas de démarche qui pourrait être
interprétée par mon collègue espagnol comme une ingérence dans des
affaires internes et surtout comme un manque de confiance dans le
système judiciaire espagnol. »
Derrière ces belles phrases se cachait
en réalité une collaboration intense entre les différents pays et leurs
services de police pour se débarrasser de personnes qu’ils ne veulent
plus sur leur territoire. Après des perquisitions policières chez 12
personnes en Belgique, la Justice belge avait refusé toute demande du
Maroc pour extrader ces personnes dans le cadre du procès Belliraj,
jugeant qu’il s’agissait de motifs politiques et qu’il y avait danger de
torture.
C’était une humiliation cinglante pour
le Maroc et une situation embarrassante pour la Belgique qui voulait
intensifier sa collaboration avec le Maroc. Contournant la décision
judiciaire belge, la Belgique a trouvé deux personnes pour satisfaire à
la demande du Maroc. Deux personnes qui se trouvent en dehors de la
compétence de la Justice belge. D’abord, la Belgique extrade un Algérien
sans papiers, sans famille, sans défense. Il s’agit d’un Algérien,
arrêté en Belgique à la demande du Maroc. Le 29 novembre 2010, le
ministre Van Ackere, à ce moment ministre des Affaires étrangères, en
réponse à la question parlementaire de Zoé Genot, se vante que la
Belgique, par l’intermédiaire du ministre de la Justice De Clerck, a
extradé « un ressortissant algérien vers le Maroc dans le cadre du procès Belliraj début 2010
». Il s’agit de Bin Rabeh Benjettou, qui sera sauvagement torturé une
fois arrivé au Maroc et qui sera condamné par la suite à dix ans de
prison. La deuxième personne était Ali Aarrass. Son extradition était
possible parce qu’il a été arrêté en Espagne. Et la Belgique, par son
refus d’intervenir, a donné le feu vert à l’extradition. Il suffit de se
souvenir de l’attitude de la Belgique dans le dossier d’un autre
binational belge, Bahar Kimyongür, arrêté et mis en détention aux
Pays-Bas, d’où il pouvait être extradé vers la Turquie[1], pour
comprendre qu’il s’agit d’exactement de la même manœuvre.
Après la demande de la famille de bien
vouloir au moins s’informer auprès des autorités marocaines sur la
situation d’Ali Aarrass après son extradition, la Belgique sortait un
nouvel argument : « Comme votre frère est considéré comme de
nationalité marocaine par les autorités marocaines, nos services ne les
contacteront donc pas pour votre frère » (Message par mail du 20 décembre 2010 du ministère des Affaires étrangères à Farida Aarrass) .
Ainsi le cercle était bouclé. Pour ceux
et celles qui se demandent si l’affaire Ali Aarrass les concerne,
c’était un message clair : même quand vous êtes nés ici, même si vous
faites votre vie en Belgique, même si vous n’avez aucun lien avec
l’autre pays dont vous tenez une autre nationalité, la Belgique vous
abandonnera, non seulement quand vous avez un problème dans ce pays (le
Maroc), mais aussi dans un pays tiers (l’Espagne).
Vu l’existence des rapports des
organisations de défense de droits de l’homme, lus – on peut l’espérer !
– par les services compétents et les diplomates belges en place, la
Belgique était parfaitement au courant de ce qui se passe au Maroc. Le
document de l’ambassade américaine à Rabat du 14 août 2010, révélé par
Wikileaks, et qui cite deux diplomates belges, l’a encore confirmé.[2]
Mais la Belgique préfère se cacher derrière des formules diplomatiques
pour justifier sa non-intervention.
Epilogue : Quatre ans après
l’extradition, l’Espagne est condamnée pour extradition illégale et la
Belgique pour l’abandon de son citoyen
En août 2014, le Comité des Droits de
l’homme des Nations unies condamne l’Espagne pour avoir extradé Ali
Aarrass au Maroc alors qu’il existait un risque sérieux de torture,
comme le même Comité l’avait signalé en extrême urgence quatre ans
auparavant. Le Comité impose à l’Espagne d’offrir une compensation
adéquate à Ali Aarrass pour les souffrances encourues et d’assurer un
suivi efficace quant au traitement d’Ali Aarrass.
Le 3 février 2014, l’État belge et son
ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, sont condamnés à
assurer une assistance consulaire à Ali Aarass, par décision du tribunal
de première instance à Bruxelles. Reynders s’est opposé à ce jugement
et a fait appel. Huit mois plus tard, le 11 septembre 2014, la 3e
Chambre de la Cour d’Appel de Bruxelles rejette son appel. Le premier
jugement est confirmé, cette fois, sous peine d’une astreinte de cent
euros par jour de retard dans le mois suivant le prononcé de l’arrêt.
Mais rien n’arrête Reynders dans son refus d’assurer une assistance
consulaire aux binationaux : il s’est pourvu en cassation contre ces
jugements !
Luk Vervaet, 7 décembre 2016
Merci à Daniel Wagner pour la révision.
Rassemblement !
QUAND ? mercredi 14 décembre à 12:30 – 14:30h
Où ? Ministère des Affaires Étrangères, Rue des Petits Carmes 15, 1000 Bruxelles
Evénement Facebook cliquez ICI
Signez la pétition pour la protection consulaire d’Ali Aarrass cliquez ICI
[1]http://lukvervaet.blogspot.be/2016/02/comment-la-belgique-sest-servie-de-la.html
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