Marrakech a accueilli du 27 au 30 novembre (2015 ndlr) le Forum mondial des droits
de l’homme. Cette rencontre se tient dans un pays où les libertés sont
bafouées, dénonce le chroniqueur Salah Elayoubi qui se penche, dans une
interview, sur la situation des journalistes.
RIDA BENOTMANE : L’Etat marocain prend-il au sérieux la résolution
des Nations unies, dont il est signataire, pour défendre les
journalistes sur son territoire ?
SALAH ELAYOUBI : Le régime de Mohammed VI n’en a cure. C’est un régime
autoritaire qui, moyennant un alignement systématique sur les positions
des puissances occidentales comme la France et les USA, pour ne citer
que ces ceux-là, bénéficie de leur appui inconditionnel. En tant que
tel, il se soucie bien peu de protéger les journalistes qui échappent à
son influence ou qui dénoncent ses pratiques.
Le régime fait même preuve d’un cynisme à nul autre pareil, en
organisant à Marrakech du 27 au 30 novembre (2015 ndlr) , un Forum mondial des droits
de l’homme, au moment même où il est dénoncé par quasiment tout ce que
compte le monde d’organisations internationales.
Quelles sont les mesures que devrait adopter le gouvernement marocain ?
Il n’y a rien d’autre à entreprendre que faire appliquer la loi. Le code
pénal marocain est suffisamment étoffé, pour dissuader les agresseurs
éventuels et protéger les journalistes, tout comme il est supposé le
faire pour les autres citoyens marocains. Mais il faut encore que les
autorités soient disposées à appliquer la loi.
Quelles sont les formes de pression qui empêchent un journaliste
marocain de mener à bien son activité professionnelle de manière
indépendante ?
L’éventail est plutôt large. Il va de l’intimidation verbale à
l’emprisonnement, en passant par les amendes colossales, la saisie de
numéros censurés, les redressements fiscaux, les écoutes téléphoniques,
les pressions familiales, les convocations de police, les tracasseries
administratives, les menaces des agents d’autorité. Même les affaires de
divorce peuvent devenir un instrument de pression aux mains du pouvoir.
Le régime marocain semble ne plus rien tolérer d’autres que ses
applaudisseurs. Quelle misère intellectuelle ! Quelle indigence
journalistique !
Vous semble-t-il que la protection des journalistes est similaire
selon que l’activité est au Sahara occidental, à Ceuta et Melilla ou
dans d’autres régions ?
Le journalisme au Maroc a depuis toujours été un bien périlleux métier,
s’il vous prenait l’envie d’aller à l’encontre des thèses officielles.
Et puisque vous évoquez la question du Sahara et celle des deux présides
occupés [Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles], remarquez les deux
poids deux mesures du régime sur ces deux dossiers. Face à l’Espagne,
qui fait partie du flanc sud de l’Otan, le Maroc n’en mène pas large,
alors qu’il déploie tout le savoir-faire et la brutalité de ses forces
de sécurité, contre des populations civiles au Sahara occidental, et
abreuve notre peuple de mensonges à propos de la prétendue
reconnaissance de la marocanité du Sahara, par la communauté
internationale.
Aucun journaliste marocain n’oserait aborder frontalement la question de
ce mensonge d’État, ni dire la forfaiture dont s’est rendu coupable
Hassan II, puis Mohammed VI, faisant de ce dossier une chasse gardée du
Palais et le confiant à des diplomates médiocres, tricheurs,
incompétents, corrompus et corrupteurs.
Pensez-vous que la société civile puisse être intéressée à rejoindre le combat contre l’impunité ?
Absolument pas ! Nous sommes dans le degré zéro de toute conscience.
D’abord parce que nous sommes dans notre grande majorité, un peuple
analphabète. Quel pourcentage de la population est concerné par la
presse ? Promenez-vous dans l’une de nos villes et observez combien de
personnes attablées dans un café lisent un journal. Le chiffre avoisine
le zéro.
En même temps qu’il poussait l’école publique vers le désastre, le
régime marocain a mis en place le pire des poisons, avec la télévision
marocaine qui distille des programmes où le mensonge d’Etat et
l’ignorance le disputent à la bêtise et perpétuent chez le petit peuple
son accoutumance à la superstition et à la mystification.
Comment renforcer les capacités des journalistes au point de vue de la sécurité et de la protection juridique ?
Vous évoquez les journalistes comme s’il s’agissait d’une corporation
soudée et agissant avec solidarité, alors que nous sommes dans le
scénario inverse. Voyez combien de journalistes ont été emprisonnés ou
harcelés sans soulever la moindre émotion parmi leurs confrères.
Certains n’ont pas hésité à se fendre d’articles indignes, pour enfoncer
leurs collègues et défendre l’insupportable.
Vous parlez de protection juridique, il faudrait d’abord qu’il y ait une
justice indépendante et que les journalistes soient à l’abri de la
vindicte du pouvoir ce qui n’est pas le cas au Maroc. S’il existait une
réelle justice, les journalistes n’auraient pas besoin de protection
particulière. Et s’il existait une justice indépendante au Maroc, cela se
serait su.
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