mercredi 13 juillet 2016
Le mythe de l’Europe sociale
En 1965, Georges Debunne, alors président de
la Centrale Générale des Services Publics[1],
écrivait : « L’Europe que nous
voulons bâtir n’est pas celle des patrons, des cartels et des trusts, mais une
Europe orientée vers la démocratie politique, économique et sociale, vers les
relations pacifiques et la coopération avec les peuples »[2].
Pour y arriver, le dirigeant syndical souhaite obtenir, « dans les institutions européennes, les mêmes
droits de consultation, de codécision et de contrôle que ceux que les
organisations syndicales ont acquis sur le plan national. »
Conformément à cette stratégie, il présidera la création de la Confédération européenne des syndicats (CES), le 8 février 1973, dont il sera vice-président, puis président jusqu’en 1985. La CES a toujours été partisane de la création d’États-Unis d’Europe, dotés de compétences supranationales et de l’élargissement à tous les pays démocratiques de l’Europe occidentale.
Conformément à cette stratégie, il présidera la création de la Confédération européenne des syndicats (CES), le 8 février 1973, dont il sera vice-président, puis président jusqu’en 1985. La CES a toujours été partisane de la création d’États-Unis d’Europe, dotés de compétences supranationales et de l’élargissement à tous les pays démocratiques de l’Europe occidentale.
En 1958, le traité de Rome comportait un
engagement à « promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail
permettant leur égalisation dans le progrès » et c’est essentiellement
pour la présence de ce principe vague que les « syndicats sont devenus des défenseurs de la Communauté et de l’Union
européenne ».
Près de cinquante ans après, Debunne constate avec amertume que ce principe
a été retiré de la nouvelle Charte européenne, adoptée lors du sommet de Nice
en décembre 2000.En 2003, Georges Debunne est de plus en plus pessimiste sur
l’évolution de l’Europe ; il craint que son élargissement à venir ne rende
définitivement impossible la restauration de ce principe dans les objectifs de
l’Union[3]. Il a d’ailleurs consacré les dernières années
de sa vie, jusqu’en 2008, à combattre le projet de Constitution européenne. Il
a contribué, en chaise roulante, à faire adopter le « non » à la
Constitution par la CGT française[4].
Cela l’empêchera pas la CES, qu’il a contribué à fonder en 1973, de se
prononcer en faveur du « oui » au projet de Constitution européenne.
Si l’Europe que Debunne entendait bâtir ne
devait pas être celle des patrons et des
trusts, force est de constater, que « ces banquiers, ces industriels et ces aristocrates qu’on retrouve aux
postes clés de la construction européenne ont trouvé le moyen (…) de revenir par
étapes successives sur tout ce qu’ils avaient dû concéder »[5].
Manifestation à Bruxelles, en septembre 2010 des syndicats européens pour défendre une Europe plus sociale |
Qui aujourd’hui peut encore défendre le mythe
d’une Europe sociale ? Quelles organisation sociales, quels partis
politiques, quels mouvement citoyens ont-ils aujourd’hui ou pourraient-ils
construire dans un avenir proche, un début de rapport de forces capable de
changer la nature de cette union antipopulaire ? Où était la solidarité
populaire quand le tout nouveau gouvernement grec de Tsipras, soutenu par un
mouvement de grèves et de manifestations sans précédent et par un référendum
clair contre les diktats des banquiers européens, devait affronter l’élite
européenne ? Plus d’un demi-siècle d’Union européenne et de syndicalisme
européen a abouti à l’apathie la plus totale quand il s’agit de venir au
secours d’un peuple qui a eu le courage de se rebeller. Cette occasion manquée ne
reviendra pas de sitôt. D’autant plus que la gauche dite radicale représentée
par Syriza s’est alignée sur cette élite en lieu et place d’entrer dans la
résistance.
On ne peut même pas dire que l’Europe sociale
et démocratique est enterrée car elle n’a jamais existé. Le thème même de
l’Europe sociale et démocratique a avant tout été élaboré, non pas en
opposition à la dictature des multinationales (patrons, trusts et cartels, dont parlait Debunne) mais bien en
opposition d’une part à l’Union soviétique, et, plus globalement à ce qu’on
appelait le camp socialiste jusqu’à la fin des années quatre-vingt, et d’autre
part aux régimes fascistes qui sévissaient encore en Espagne, en Grèce et au
Portugal. Le modèle politique et social des pays fondateurs (France, Allemagne,
Italie, pays du Benelux) était le seul contenu donné à ce mot d’ordre.
Autrement dit le capitalisme de l’immédiat après-guerre qui, sur fond
d’investissements américains, d’exploitation coloniale éhontée et sous la
menace du modèle communiste, avait concédé la sécurité sociale et un modèle de
concertation propre à assurer la paix sociale. Modèle qu’on a appelé
l’État-providence. Il n’y a jamais eu d’autre modèle que celui-là et quand ce
modèle a volé en éclat, dès la fin des trente glorieuses, il n’y avait tout
simplement plus de modèle du tout. Il n’y avait plus que les plans bien arrêtés
des élites économiques, financières et intellectuelles qui ont façonné l’Europe
d’aujourd’hui.
(à suivre: Réflexions
d’après Brexit (2) : La
révolution néo-libérale)
[1] Georges Debunne est né en
1918 et mort en 2008. En 1968, il deviendra secrétaire général de la FGTB et le
restera pendant quatorze ans. Il
organise à Bruxelles le Congrès fondateur de la Confédération européenne des
syndicats (CES) en 1973. Il sera président de la CES de 1982 à 1985.
[2]La Tribune, Cité par Georges Debunne, dans « À quand
l’Europe sociale, Georges Debunne, Édition Syllepse, Paris, 2003, p 57
[3] Idem, p 168 « J’ai toujours été un Européen convaincu et
j’ai agi pur que l’Europe soit démocratique et sociale. Aujourd’hui, je redoute
la rapidité du calendrier, qui impose aux citoyens et au monde du travail
une organisation politique et des conséquences sociales dont ils risquent
d’être victimes »
[4] Georges Debunne, Il est possible de résister à l’Europe libérale, in
Rassembler les résistances », Contradictions
[5] Raoul <Marc Jennar,
Europe, la trahison des élites, édition augmentée, Fayard, Paris, 2005, p14
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