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vendredi 15 juillet 2016

Réflexions d’après Brexit (1) : Le mythe de l’Europe sociale

mercredi 13 juillet 2016


 

Le mythe de l’Europe sociale

En 1965, Georges Debunne, alors président de la Centrale Générale des Services Publics[1], écrivait : « L’Europe que nous voulons bâtir n’est pas celle des patrons, des cartels et des trusts, mais une Europe orientée vers la démocratie politique, économique et sociale, vers les relations pacifiques et la coopération avec les peuples »[2]. Pour y arriver, le dirigeant syndical souhaite obtenir, « dans les institutions européennes, les mêmes droits de consultation, de codécision et de contrôle que ceux que les organisations syndicales ont acquis sur le plan national. »
 Conformément à cette stratégie, il présidera la création de la Confédération européenne des syndicats (CES), le 8 février 1973, dont il sera vice-président, puis président jusqu’en 1985. La CES a toujours été partisane de la création d’États-Unis d’Europe, dotés de compétences supranationales et de l’élargissement à tous les pays démocratiques de l’Europe occidentale.

En 1958, le traité de Rome comportait un engagement à « promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail permettant leur égalisation dans le progrès » et c’est essentiellement pour la présence de ce principe vague que les « syndicats sont devenus des défenseurs de la Communauté et de l’Union européenne ».
Près de cinquante ans après, Debunne constate avec amertume que ce principe a été retiré de la nouvelle Charte européenne, adoptée lors du sommet de Nice en décembre 2000.En 2003, Georges Debunne est de plus en plus pessimiste sur l’évolution de l’Europe ; il craint que son élargissement à venir ne rende définitivement impossible la restauration de ce principe dans les objectifs de l’Union[3].  Il a d’ailleurs consacré les dernières années de sa vie, jusqu’en 2008, à combattre le projet de Constitution européenne. Il a contribué, en chaise roulante, à faire adopter le « non » à la Constitution par la CGT française[4]. Cela l’empêchera pas la CES, qu’il a contribué à fonder en 1973, de se prononcer en faveur du « oui » au projet de Constitution européenne.
Si l’Europe que Debunne entendait bâtir ne devait pas être celle des patrons et des trusts, force est de constater, que « ces banquiers, ces industriels et ces aristocrates qu’on retrouve aux postes clés de la construction européenne ont trouvé le moyen (…) de revenir par étapes successives sur tout ce qu’ils avaient dû concéder »[5].
Manifestation à Bruxelles, en septembre 2010 des syndicats européens pour défendre une Europe plus sociale
Qui aujourd’hui peut encore défendre le mythe d’une Europe sociale ? Quelles organisation sociales, quels partis politiques, quels mouvement citoyens ont-ils aujourd’hui ou pourraient-ils construire dans un avenir proche, un début de rapport de forces capable de changer la nature de cette union antipopulaire ? Où était la solidarité populaire quand le tout nouveau gouvernement grec de Tsipras, soutenu par un mouvement de grèves et de manifestations sans précédent et par un référendum clair contre les diktats des banquiers européens, devait affronter l’élite européenne ? Plus d’un demi-siècle d’Union européenne et de syndicalisme européen a abouti à l’apathie la plus totale quand il s’agit de venir au secours d’un peuple qui a eu le courage de se rebeller. Cette occasion manquée ne reviendra pas de sitôt. D’autant plus que la gauche dite radicale représentée par Syriza s’est alignée sur cette élite en lieu et place d’entrer dans la résistance.
On ne peut même pas dire que l’Europe sociale et démocratique est enterrée car elle n’a jamais existé. Le thème même de l’Europe sociale et démocratique a avant tout été élaboré, non pas en opposition à la dictature des multinationales (patrons, trusts et cartels, dont parlait Debunne) mais bien en opposition d’une part à l’Union soviétique, et, plus globalement à ce qu’on appelait le camp socialiste jusqu’à la fin des années quatre-vingt, et d’autre part aux régimes fascistes qui sévissaient encore en Espagne, en Grèce et au Portugal. Le modèle politique et social des pays fondateurs (France, Allemagne, Italie, pays du Benelux) était le seul contenu donné à ce mot d’ordre. Autrement dit le capitalisme de l’immédiat après-guerre qui, sur fond d’investissements américains, d’exploitation coloniale éhontée et sous la menace du modèle communiste, avait concédé la sécurité sociale et un modèle de concertation propre à assurer la paix sociale. Modèle qu’on a appelé l’État-providence. Il n’y a jamais eu d’autre modèle que celui-là et quand ce modèle a volé en éclat, dès la fin des trente glorieuses, il n’y avait tout simplement plus de modèle du tout. Il n’y avait plus que les plans bien arrêtés des élites économiques, financières et intellectuelles qui ont façonné l’Europe d’aujourd’hui.

(à suivre: Réflexions d’après Brexit (2) : La révolution néo-libérale)





[1] Georges Debunne est né en 1918 et mort en 2008. En 1968, il deviendra secrétaire général de la FGTB et le restera pendant quatorze ans. Il organise à Bruxelles le Congrès fondateur de la Confédération européenne des syndicats (CES) en 1973. Il sera président de la CES de 1982 à 1985.
[2]La Tribune,  Cité par Georges Debunne, dans « À quand l’Europe sociale, Georges Debunne, Édition Syllepse, Paris, 2003, p 57
[3] Idem, p 168 « J’ai toujours été un Européen convaincu et j’ai agi pur que l’Europe soit démocratique et sociale. Aujourd’hui, je redoute la rapidité du calendrier, qui impose aux citoyens et au monde du travail une organisation politique et des conséquences sociales dont ils risquent d’être victimes »
[4] Georges Debunne, Il est possible de résister à l’Europe libérale, in Rassembler les résistances », Contradictions
[5] Raoul <Marc Jennar, Europe, la trahison des élites, édition augmentée, Fayard, Paris, 2005, p14

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