etc.
Le
ministre de l'Economie et des finances, Mohamed Boussaïd, et la ministre
déléguée à l'Environnement, Hakima El Haite, lors de la signature d'un prêt de
130 millions de dollars avec la Banque mondiale dans le cadre du développement
du secteur des déchets ménagers. En l'absence de filières nationales de
valorisation, les cimentiers marocains importent chaque année plusieurs dizaines
de milliers de tonnes de déchets, principalement de l'Union européenne.
MAP
CONTRE-ENQUÊTE. L’arrivée
à Jorf Lasfar de 2500 tonnes de déchets prétraités en provenance d’Italie a
déclenché un incroyable emballement dans le royaume, amplifié par une com’
hasardeuse du ministère de tutelle. Cette cargaison, en cours d’analyse, a bien
été notifiée aux autorités et soulève un problème de fond : les cimentiers
installés au Maroc importent des déchets depuis plus de dix ans pour alimenter
leurs fours, en l’absence de filières structurées de valorisation au niveau
national.
Déchargement
de la cargaison au port de Jorf Lasfar. CREDD EL JADIDA
La cargaison est composée de plusieurs centaines de paquets emballés. CREDD EL
JADIDA
La
cargaison débarquée au port de Jorf Lasfar le 24 juin dernier a provoqué en
quelques jours une vive polémique à travers le royaume. A l’origine, un
communiqué du centre régional de l’environnement et du développement durable
(CREDD), une association locale d’El Jadida, qui dénonçait l’arrivée de 2500
tonnes de déchets de pneumatiques et de plastiques en provenance d’Italie,
destinés à être incinérés dans une cimenterie marocaine. Des déchets « qui
s’avèrent dangereux et toxiques, ce qui provoquera des dommages humains et
environnementaux et conduira à l’émergence de nombreuses maladies graves et
chroniques, ainsi qu’à des anomalies congénitales et à des incapacités
permanentes »,
selon le communiqué de l’association.
Relayée
par certains médias nationaux sans plus de vérifications, l’information a vite
suscité l’indignation des internautes et de la société civile. Des responsables
politiques de l’opposition se sont joints à la protestation, comme la secrétaire
générale du PSU, Nabila Mounib, qui s’est insurgée sur les réseaux sociaux
contre ces « déchets
toxiques » et du fait que le Maroc devienne « une
poubelle de l’Europe », tandis que dans une question orale adressée au
gouvernement, le groupe parlementaire de l’USFP a demandé l’arrêt de
l’importation de déchets toxiques. Le parti libéral marocain, dirigé par Mohamed
Ziane, ex-ministre des droits de l’homme sous Hassan II, a de son côté annoncé
le dépôt d’une plainte contre le gouvernement pour « importation
de déchets toxiques ». Même le président de la région Casablanca-Settat,
Mustapha Bakkoury (PAM), s’est exprimé sur le sujet lors d’une session ordinaire
du Conseil de région lundi dernier en laissant entendre qu’il refuserait
d’accueillir la cargaison italienne.
Pris
de court par la polémique, le ministère de l’Environnement a réagit jusqu’à
présent par un simple communiqué, pour expliquer qu’il s’agit de produits « non
dangereux » issus de déchets, utilisés comme combustibles de substitution
(« Refuse Derived Fuel » ou RDF), et que l’opération d’importation, conforme à
la réglementation en vigueur, « est
réalisée sous le contrôle et le suivi des autorités compétentes du pays
d’origine et du pays destinataire ».
La
sortie du ministère d’Hakima El Haite n’a pas rassuré l’opinion publique. Des
associations comme la Coalition Marocaine pour la Justice Climatique pointent le
manque de transparence de la part des autorités sur ce dossier et exigent la
publication des contrats, autorisations et résultats des différentes analyses
effectuées. Une pétition, mise en ligne par le Forum marocain des droits de
l’homme pour alerter du « redoutable
danger » que représente cette cargaison, a recueilli aujourd’hui près de 20
000 signatures. Le texte avance que les déchets sont originaires de la région de
Naples, plus précisément de la décharge de Taverna Del Re. Une région tristement
célèbre pour avoir accumulé ces dernières années plusieurs millions de tonnes de
déchets, dont une partie a été enfouie illégalement sous la supervision de la
Camorra, la mafia napolitaine. Selon la pétition, ces déchets « sont
néfastes à la santé des citoyens pour diverses raisons, d’abord de par leur
accumulation depuis l’an 2007 ensuite de par leurs composantes toxiques tels que
les métaux et autres. »
L'étiquetage
de la cargaison mentionne le numéro de notification, la date de production des
RDF et le nom du producteur : l'entreprise italienne DECO S.p.A. CREDD EL
JADIDA
Les
paquets contiennent des morceaux de déchets, sélectionnés et prétraités pour
être incinérés. CREDD EL JADIDA
Unité
de production de RDF de la société italienne DECO S.p.A, à Chieti dans la région
des Abruzzes. DECO
UN CONTRAT ENTRE LAFARGE MAROC ET LA SOCIÉTÉ ITALIENNE DECO S.P.A
Les
photos de la cargaison, publiées par le CREDD d’El Jadida, montrent pourtant
qu’il s’agit bien de produits RDF : des combustibles issus de certaines parties
de déchets (papier, plastique, etc.) qui ont été sélectionnées et prétraitées
dans des centres de valorisation pour être ensuite incinérées dans les fours à
cimenterie. Ces combustibles sont classifiés « non-dangereux » par l’Union
européenne et les législations nationales. Leur commerce, soumis
à autorisation, fait l’objet d’un ensemble de procédures censées
garantir le respect des normes environnementales : une série d’analyses doivent
être réalisées lors de la production des RDF, à l’arrivée de la cargaison dans
le pays destinataire puis au moment de l’incinération des combustibles dans les
fours à cimenterie, qui doivent être équipés d’installations
spéciales.
L’étiquetage
des 2500 tonnes de RDF arrivés à Jorf Lasfar indique qu’ils ont bien fait
l’objet d’une notification réglementaire et qu’ils ont été produits par
l’entreprise italienne spécialisée DECO S.p.A, basée dans la région des
Abruzzes, au centre-est du pays. Contactée par Le
Desk, la société n’a pas encore répondu à nos sollicitations, concernant
notamment l’origine des déchets utilisés pour produire ces RDF. La date de
production mentionnée sur l’étiquetage (27 mai 2016) semble toutefois écarter la
piste de la décharge à ciel ouvert de Taverne del Re, mentionnée par la pétition
en ligne : l’opération de réhabilitation de cette décharge n’a été lancée que
trois jours plus tard, le 30 mai dernier, par le premier ministre italien Matteo
Renzi et le président de la région Campanie, Vincenzo De Luca. Selon
les médias italiens présents sur place, les premières sorties de déchets ne
devaient démarrer que début juin, à destination de centres italiens de
traitement et pour l’export en Espagne, au Portugal et en Roumanie.
Au
Maroc, le destinataire des 2500 tonnes de RFD produites par DECO S.p.A est un
cimentier. « Aujourd’hui,
la marchandise n’est plus au port, explique un membre de l’entité de
régulation du port de Jorf Lasfar. Le
navire est parti le 26 juin et la cargaison est arrivée chez le
client ». Selon nos informations, confirmées par
l’association professionnelle des cimentiers (APC), il s’agit de la filiale du
groupe Lafarge, qui a évité de communiquer jusqu’à présent sur cette affaire.
L’APC et le ministère indiquent que cette importation entre dans le cadre d’un
test industriel qui doit permettre au cimentier d’adapter son outil de
production afin d’intégrer les RDF comme source d’énergie.
Les
échantillons prélevés sur la cargaison sont en cours d’analyse dans un
laboratoire français agréé, a expliqué au site Médias24Fouad
Ziyadi, un responsable du ministère de tutelle. Si les analyses sont
concluantes, l’injection du RDF dans le four devra elle aussi être contrôlée par
un organisme externe et le suivi du procédé, par l’usine elle-même. Les
différents résultats enregistrés par la cimenterie et l’organisme externe seront
rassemblés dans un rapport transmis au ministère de l’Environnement pour
l’octroi de l’accord définitif d’importation du RDF faisant l’objet du test
industriel.
Le
traitement des déchets est un marché qui explose dans l'Union européenne, du
fait de nouvelles réglementations plus strictes imposées aux Etats
membres.
Mohamed
Chaïbi, président de l'Association professionnelle des
cimentiers.
DES IMPORTATIONS DE DÉCHETS AUTORISÉES DEPUIS 2002
Lafarge
Maroc n’est pas le seul cimentier à mener ce type de projet : tous les groupes
présents dans le royaume travaillent sur l’intégration des RDF selon le
responsable de l’APC, Mohamed Chaïbi. L’objectif des cimentiers, gros
consommateurs d’énergie, consiste avant tout à réduire leurs factures. Les RDF
ont un pouvoir calorifique plus important que d’autres types de combustibles
alternatifs comme les pneus usagés, dont les cimentiers marocains importent déjà
plusieurs dizaines de milliers de tonnes chaque année, grâce à des conventions
signées depuis 2002 avec le ministère de tutelle.
Les
professionnels et le gouvernement justifient ces importations en expliquant que
la valorisation des déchets dans les cimenteries est une pratique largement
répandue dans les pays développés. En effet, le marché des déchets a explosé ces
dernières années dans l’Union européenne, mais pour une raison simple : la mise
en place de nouvelles réglementations sur le recyclage et la valorisation,
imposées aux Etats-membres. Selon Eurostat, la majorité du commerce
transfrontalier de déchets européens se fait d’ailleurs au sein de l’UE, en
fonction des capacités de traitement et des besoins énergétiques de chaque
pays.
La
convention de Bâle qui régit les mouvements transfrontaliers de déchets interdit
l’exportation de produits dangereux vers des pays hors-OCDE comme le Maroc. Les
autres types de déchets sont en revanche autorisés. Selon les chiffres du
ministère français de l’Environnement, plus de 60 000 tonnes de déchets « non
dangereux » ont été notifiées en France en 2012 à destination du Maroc, ce qui
fait du royaume le premier destinataire hors-UE de ces déchets français. Il
s’agit principalement de pneus usagés et découpés, qui servent à alimenter les
fours des cimenteries. Le Maroc en a importé au total plus de 730 000 tonnes
entre 2007 et 2015 selon les données de l’Office des changes, provenant en
majorité de France, d’Italie et d’Espagne. Un pic a été atteint l’année dernière
avec l’importation de près de 140 000 tonnes de débris de
pneus.
Centre
de valorisation des pneus usagés de l'organisme collectif français Aliapur. Le
Maroc a importé l'année dernière près de 140 000 tonnes de débris de pneus en
provenance de l'UE.
Ciments
de l'Atlas a développé un partenariat avec la GIZ et ThyssenKrupp pour mettre en
place une filière RDF à Béni Mellal, où le cimentier possède une
usine.
Le
poids de l'informel pèse encore sur le secteur de la gestion des déchets au
Maroc. AICPRESS
LES FREINS AU DÉVELOPPEMENT DES FILIÈRES LOCALES
Pourquoi
les cimenteries recourent-elles à ces importations alors que les ménages et
industriels marocains produisent chaque année plus de 8 millions de tonnes de
déchets, dont seule une infime partie est aujourd’hui valorisée ? « La
faisabilité d’un tel concept au Maroc soulève (…) des problèmes en raison d’un
manque de capacités et de compétences adéquates chez des acteurs importants. En
outre, on connaît relativement mal les caractéristiques et les quantités de
déchets solides municipaux, commerciaux ou industriels non dangereux. »,
indique dans une étude l’agence
allemande de coopération internationale (GIZ), qui a développé un partenariat
avec Ciments de l’Atlas (Cimat) et l’industriel allemand ThyssenKrupp pour
développer une filière RDF à Béni Mellal, où le cimentier possède une
usine.
Concernant
le développement d’une filière nationale de pneus usagés, ministère et
cimentiers étudient depuis plusieurs années les expériences à l’international,
comme en France où Aliapur, organisme collectif de valorisation des pneus, a
reçu en 2012 l’ex-ministre de l’Energie Fouad Douiri, avant d’accueillir l’année
dernière la ministre déléguée à l’Environnement, Hakima El Haite. Selon Aliapur,
les cimentiers marocains tablent sur un gisement national de 60 000 tonnes de
pneus usagés par an, soit l’équivalent de 8 millions de pneus tourisme, mais la
mise en place de filières marocaines se fait toujours attendre.
Malgré
les programmes en cours au niveau national pour créer de nouvelles décharges
contrôlées et mettre en place des centres de tris et de valorisation, certaines
contraintes pèsent en effet sur l’organisation du secteur, comme le poids de
l’informel et la multiplicité des acteurs (collecteurs, intermédiaires, sociétés
de gestion déléguée, communes, gouvernement). « Une
grande partie du secteur des déchets au Maroc fonctionne de manière informelle,
en particulier en ce qui concerne le tri, le recyclage et l’élimination des
déchets dans des installations incontrôlées », explique la GIZ dans un
rapport publié en avril 2014.
Le
président de l’APC, Mohamed Chaïbi, pointe un autre problème de fond : celui des
coûts relatifs à la structuration des filières, et la répartition de ces coûts
sur les différents intervenants. « Ce
n’est pas gratuit, lance-t-il. En
France, par exemple, le consommateur paie 2 euros de taxe par pneu pour le
recyclage. Il faut
qu’au Maroc, les opérateurs, les ONG et le gouvernement se mettent autour d’une
table pour trouver une solution ».
Au-delà
de la polémique en cours sur la cargaison italienne, la pression de la société
civile permettra-t-elle d’accélérer la mise en place de ces filières
nationales ?
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