Les autorités marocaines doivent libérer les 21 prisonniers qui
purgent de longues peines de réclusion liées aux mouvements de
protestation de 2010 au Sahara occidental qui ont entraîné des morts ou
leur accorder un procès équitable devant un tribunal civil, et enquêter
sur toutes les allégations de torture.
Crédits : United Nations Photos / Flickr Creative Commons
Le 06 / 11 / 2015
Appel lancé conjointement par des organisations de défense des droits à l'occasion de l'anniversaire des affrontements
(Rabat, le 5 novembre 2015)
Le 8 novembre 2010, les forces de sécurité marocaines ont démantelé
le camp de protestation installé par des Sahraouis un mois auparavant à
Gdeim Izik, au Sahara occidental, placé sous le contrôle du Maroc. Onze
membres des forces de sécurité et deux civils sont morts lors des
troubles qui ont eu lieu dans le camp et à El-Ayoun, la ville principale
du Sahara occidental. Le 17 février 2013, un tribunal militaire a
condamné 25 hommes, parmi lesquels se trouvaient des militants des
droits humains, pour leur rôle présumé dans les violences qui ont fait
des morts, à l'issue de procès marqués par de graves irrégularités.
« Les familles de ceux qui ont perdu la vie en novembre 2010 ont le
droit d'obtenir justice, a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la
division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Toutefois, ce n'est certainement pas rendre la justice que d'enfermer un
groupe de Sahraouis reconnus coupables par un tribunal militaire sur la
base d'aveux qui auraient été obtenus par la contrainte ou par la
torture, alors qu'aucun autre élément de preuve ne les relie à ces
homicides. »
Les organisations signataires de ce communiqué sont Human Rights
Watch, Amnesty International, l'Action des chrétiens pour l'abolition de
la torture et l'Association sahraouie des victimes des violations
graves des droits de l’homme.
Deux des 25 hommes ont purgé leur peine et été remis en liberté, un
troisième a été condamné par contumace, et un quatrième a été libéré de
façon provisoire pour raisons de santé. Les 21 autres purgent des peines
allant de 20 ans d'emprisonnement à la réclusion à perpétuité. Le
tribunal s'est basé presque exclusivement sur des déclarations faites
par ces hommes pour rendre son verdict, et il n'a pas enquêté sur les
allégations des accusés selon lesquelles la police les a torturés pour
les forcer à signer de fausses déclarations.
- Si les autorités rejugent les accusés, elles doivent respecter le
principe du droit international relatif aux droits humains de
présomption de libération dans l'attente du procès, à moins qu'un juge
n'estime qu'il existe des motifs valables justifiant leur détention, ont
déclaré les organisations.
- S'il est établi qu'ils ont été victimes
d'une erreur judiciaire, l'État doit alors les dédommager, en vertu de
l'article 14, paragraphe 6 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, que le Maroc a ratifié en 1979. La Constitution
marocaine, dans son article 122, accorde un droit à réparation de la
part de l'État à la victime d'une « erreur judiciaire »
Les 21 accusés emprisonnés se trouvent dans la prison de Salé, à
1 200 kilomètres de leurs familles au Sahara occidental. Parmi eux se
trouvent Naâma Asfari, Ahmed Sbaï et Mohamed Tahlil, tous trois membres
d'organisations sahraouies de défense des droits humains qui contestent
la mainmise du Maroc sur ce territoire.
En octobre 2010, plusieurs milliers de Sahraouis ont installé un camp
avec des tentes à Gdeim Izik pour appuyer une série de revendications
concernant des droits sociaux et économiques. Les autorités marocaines
ont entamé des négociations avec des dirigeants du mouvement de
protestation, mais à un certain stade elles ont décidé d'obliger les
protestataires à partir. Tôt dans la matinée du 8 novembre, les forces
de sécurité sont arrivées pour démanteler le camp, et il s'en est suivi
de violentes confrontations qui ont gagné la ville d'El-Ayoun, non loin
du camp.
Les autorités ont arrêté des centaines de Sahraouis, mais elles les
ont finalement relâchés à l'exception de 22 d'entre eux qui ont été
déférés devant un tribunal militaire et inculpés pour la plupart
d'« association de malfaiteurs » et de participation à des violences
commises contre les forces de l'ordre ayant entraîné « la mort, avec
l'intention de la donner », ou de complicité. Deux de ces hommes ont
aussi été accusés d'avoir souillé un cadavre. Au cours des mois qui ont
précédé le procès, les autorités ont arrêté deux autres personnes dans
cette même affaire et libéré à titre provisoire un des accusés pour
raisons de santé ; un autre accusé a été jugé par contumace.
Les comptes rendus judiciaires montrent que la plupart des accusés
ont déclaré tôt dans la procédure judiciaire que la police les avait
soumis à la torture ou à d'autres formes de contrainte pour qu'ils
signent de fausses déclarations. Plusieurs accusés ont dit au juge
d’instruction que la police ne leur avait même pas permis de lire ces
déclarations avant de les signer, et qu'ils n'avaient été informés de
leur contenu que plus tard.
Quand le procès a enfin débuté, 27 mois après les événements, les
accusés ont tous nié les charges retenues contre eux. Beaucoup ont redit
qu'ils avaient été torturés et contraints à signer de fausses
déclarations les incriminant. Le juge a maintenu la publicité du procès –
y compris pour les observateurs mandatés par plusieurs des
organisations qui publient ce communiqué – et permis de manière générale
aux accusés de s'exprimer, mais il n'a pas ordonné d'enquête sur les
allégations des accusés faisant état de mauvais traitements et de
déclarations falsifiés, et il a finalement accepté de recevoir ces
déclarations en tant que preuves suffisantes pour prononcer des verdicts
de culpabilité.
L'accusation n'a présenté aucun témoin ni aucune preuve matérielle
permettant d'établir de façon décisive un lien entre les accusés et les
homicides. Elle a produit devant la cour des armes que la police a
prétendument saisies dans le camp, mais aucune preuve établissant un
lien entre ces armes et les accusés, en dehors de leurs « aveux ». La
cour a rejeté les demandes de la défense visant à faire pratiquer des
tests d'ADN sur les armes afin de savoir s'il existait un lien entre ces
armes et les accusés.
La cour a également rejeté les requêtes de la défense demandant que
les policiers ayant enregistré les déclarations des accusés soient cités
à comparaître. Aucun rapport d'autopsie n'a été produit au cours du
procès afin de déterminer comment et quand chacun des membres des forces
de l'ordre était mort.
Le fait de juger des civils devant des tribunaux militaires est
contraire aux dispositions des normes internationales relatives aux
droits humains, ont déclaré les organisations. De plus, la législation
marocaine ne permet pas aux accusés jugés par une juridiction militaire
d'avoir accès à tous les moyens de recours disponibles devant la justice
civile. Les accusés jugés par une juridiction militaire ne peuvent
déposer un recours que devant la Cour de cassation, qui examine les
questions d'erreurs de procédure, de compétence, d'abus de pouvoir ou
d'application de la loi. La Cour de cassation a reçu les recours des
accusés de Gdeim Izik en mars 2013 mais elle n'a toujours pas rendu de
décision.
Une loi entrée en vigueur en juillet a modifié la loi marocaine sur
la justice militaire afin de soustraire les civils à la compétence des
tribunaux militaires. Cette nouvelle loi ne mentionne pas le statut
judiciaire des civils emprisonnés par des tribunaux militaires avant son
entrée en vigueur.
La Constitution marocaine de 2011 garantit le droit à un procès
équitable dans ses articles 23 et 120. L'article 109 dispose : « Tout
manquement de la part du juge à ses devoirs d’indépendance et
d’impartialité, constitue une faute professionnelle grave, sans
préjudice des conséquences judiciaires éventuelles. » La Constitution
interdit également en toutes circonstances les actes de torture ou les
actes « cruels, inhumains, dégradants ou portant atteinte à la dignité »
(article 22).
La Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants, que le Maroc a ratifiée en
1993, oblige les États parties à abolir la torture et les autres formes
de mauvais traitements et aussi à empêcher que de tels actes ne portent
atteinte au droit à un procès équitable. Elle accorde aux victimes de
torture le droit de porter plainte devant les autorités qui doivent
procéder immédiatement et impartialement à l'examen de leur cause
(article 13). Elle prévoit en outre que les États parties doivent
veiller à ce que « toute déclaration dont il est établi qu’elle a été
obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de
preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de
torture pour établir qu’une déclaration a été faite » (article 15). Aux
termes de la Convention, les autorités sont aussi tenues d'enquêter sur
toute allégation de torture même en l'absence d'une plainte officielle.
Le Maroc a modifié son Code pénal afin de définir et d'ériger en
infraction pénale la torture (articles 224 à 232), et son Code de
procédure pénale afin que les aveux obtenus par la « violence » ou la
« contrainte » ne puissent pas être utilisés en tant que preuve
(article 293). En pratique, les tribunaux n'enquêtent quasiment jamais
sur les allégations selon lesquelles des aveux ont été obtenus par la
torture ou la contrainte avant de recevoir à titre de preuve de tels
aveux, sur lesquels est alors principalement fondée la déclaration de
culpabilité.
En 2012, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a
demandé au Maroc de « renforcer les moyens médicolégaux du parquet et
des tribunaux » et « de donner effet au droit de plainte et de faire en
sorte que les défendeurs qui comparaissent devant le mécanisme aient une
bonne chance de formuler leurs allégations au sujet des tortures et des
mauvais traitements qu’ils ont pu subir » aux mains de la police ou des
services de renseignement.
« Le Maroc a pris une mesure positive cette année en mettant fin aux
procès militaires pour les civils, a déclaré Said Boumedouha, directeur
adjoint d’Amnesty International pour l'Afrique du Nord et le
Moyen-Orient. Il doit à présent faire en sorte que les personnes
injustement condamnées par un tribunal militaire peu avant l'entrée en
vigueur de la nouvelle loi, et emprisonnées depuis de longues années,
obtiennent justice. »
Pour en savoir plus, veuillez prendre contact avec :
- À Washington, DC, Eric Goldstein (anglais, français) +1-917-519-4736 (mobile) ; ou goldstr@hrw.org, Twitter : @goldsteinricky
- À Washington, DC, Ahmed Benchemsi (anglais, arabe, français) +1-929-343-7973 (mobile) ou
- +1-202-612-4345 ; ou benchea@hrw.org Twitter : @AhmedBenchemsi
- À Paris, Pierre Motin (français, anglais) +33-1-40-404-024 ou +33-6-12-126-394 (mobile) ; ou Pierre.motin@acatfrance.fr, Twitter : @PierreMotin
- À Londres, Sara Hashash (anglais, français, espagnol) +44 (0) 20 7413 5511 ou
- +44 (0) 7831640170 (mobile) ; ou sara.hashash@amnesty.org, Twitter : @sarahashashAmnesty
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