Chers amis lecteurs de solidmar,

Solidmar est fatigué ! Trop nourri ! En 8 ans d’existence il s’est goinfré de près de 14 000 articles et n’arrive plus à publier correctement les actualités. RDV sur son jumeau solidmar !

Pages

lundi 29 mars 2010

Entrvue avec Ignace Dalle : Le Maroc sous Hassan II


Par Aziz Enhaili, 28/3/2010
Ignace Dalle est un journaliste français spécialiste du monde arabe. Il a passé de nombreuses années en poste en Afrique du Nord et au Proche-Orient. Il a été le correspondant au Maroc de l'AFP durant les années 1992-1996. Cet arabisant était le premier journaliste à longuement écouter les rescapés du tristement célèbre centre-mouroir des putschistes de 1971 et 1972, Tazmamart. Il a publié trois livres sur le Maroc, dont «Les trois Rois. La monarchie marocaine, de l'indépendance à nos jours» (Fayard, 2004). Nous l’avons interviewé pour faire le bilan du règne d’Hassan II. Entrevue réalisée par Aziz Enhaili pour Tolerance.ca ®.  

Aziz Enhaili: Qu’est-ce qui avait façonné la personnalité d’Hassan II? Était-il l’homme de son temps?
Ignace Dalle: Son éducation à la fois moderne et traditionnelle. Il a eu d’excellents professeurs mais a aussi été entouré de courtisans, qui ont parfois contribué à l’éloigner de la réalité. La personnalité de son père, beaucoup plus complexe qu’on le pense généralement, a aussi joué. Enfin, il était doté d’une vive intelligence et de nombreux dons. S’il est resté 38 ans au pouvoir et est mort dans son lit, c’est que, quelque part, il s’était adapté à son époque. Malheureusement, son bilan social ne plaide pas en sa faveur. De ce point de vue, il n’a pas contribué à faire entrer la grande majorité des Marocains dans la modernité.
Aziz Enhaili: Hassan II est resté au pouvoir près de quarante ans. Son style politique était-il différent de celui de son père, Mohammed V? Si oui, dans quelle mesure? Sinon, pourquoi? Ce style avait-il évolué avec le temps?
Ignace Dalle: Mohammed V n’aimait pas les situations conflictuelles. Après l’indépendance, les Français lui reprochaient son caractère indécis et préféraient nettement le Prince héritier qui savait trancher dans le vif et ne cachait pas sa francophilie. Mais il n’y avait pas que le tempérament. Mohammed V était plus ouvert au monde arabe, à l’Afrique, aux questions sociales. Bien avant de monter sur le trône, Hassan était déjà l’homme fort du royaume, ce qui irritait son père. Son pouvoir, conforté après la «Marche Verte» en 1975 de 350.000 «marcheurs» de différentes régions du pays en direction du Sahara occidental, un territoire récemment évacué par l’Espagne, et la mise au pas de l’opposition de gauche (l’emprisonnement d’Abderrahim Bouabid, leader des socialistes, me paraît être la dernière étape de ce processus) Hassan II s’est détendu mais sans rien lâcher sur le fond.

Aziz Enhaili: Quels étaient les fondements de son régime politique?
Ignace Dalle: L’institution monarchique doté de pratiquement tous les pouvoirs via diverses constitutions sur mesure. Comme cela était insuffisant et risquait d’être irrespirable, il a laissé la corruption – présente depuis longtemps, y compris durant le Protectorat -- se développer. Dans les moments de crise, il a eu recours à la violence : le Rif en 1958/1959, Casablanca en 1965 et 1981, procès politiques, années de plomb, etc.
Aziz Enhaili: Comment qualifieriez-vous les relations d’Hassan II avec les membres de l’élite politique marocaine?
Ignace Dalle: Hassan II appréciait les technocrates, ceux qui avaient une compétence. Il se méfiait terriblement des politiques. Mais, avec les uns comme avec les autres, il n’a jamais eu de relations amicales. Il avait sans doute raison de ne pas mélanger les genres. Si, jeune, il a sans doute admiré Mehdi Ben Barka et, plus tard, reconnu les qualités d’homme d’Etat d’Abderrahim Bouabid, il l’a très peu manifesté. Dans «Mémoires d’un Roi», le nom de Bouabid n’est cité qu’une seule fois! Il était probablement trop imbu de sa personne pour traiter d’égal à égal certains de ses sujets. En revanche, les grands de ce monde le fascinaient.

Aziz Enhaili: Quelles étaient les raisons qui l’avaient amené à faire appel à Abderrahmane Youssoufi pour former «son» cabinet de «transition»?
Ignace Dalle: C’était l’aboutissement d’une politique non pas tant de réconciliation que de récupération. Sur le fond, Hassan II n’a rien lâché et le moins qu’on puisse dire est que Youssoufi s’est montré particulièrement conciliant.
Aziz Enhaili: Quel type de relations Hassan II entretenait-il avec le champ économique du pays?
Ignace Dalle: La campagne d’assainissement en 1995/1996 a eu notamment pour objet de rappeler que la monarchie marocaine n’était pas disposée à accepter une puissance économique rivale. Ses relations avec le champ économique du pays ont conduit à la réalité actuelle, à savoir que la famille royale contrôle près de 60 pour cent de la Bourse de Casablanca. Cette confusion des genres est aussi grave que déplorable. Le jeu de la concurrence est largement faussé et ce sont les Marocains qui en payent le prix. Malheureusement, il semble que cela s’est encore aggravé sous le règne actuel. Certes, le clientélisme suppose de disposer de fonds importants. La vraie question est liée à la place de la monarchie dans le pays. Aussi longtemps qu’elle sera absolue, qu’il n’y aura pas de réforme constitutionnelle, il n’y aura pas de véritable changement à attendre dans le champ économique.

Aziz Enhaili: Quelles étaient les mesures prises par lui pour contrer la montée de l’islamisme?
Ignace Dalle: Je pense qu’il a bien géré cette question même s’il a trop longtemps fermé les yeux sur la montée des islamistes en donnant la priorité à la lutte contre la gauche. Une fois le «loup» entré dans la bergerie, il a su, avec l’aide naturellement de l’appareil sécuritaire, contrôler ses «barbus». La création du Parti Justice et Développement (PJD), la complaisance à l’égard des conservateurs en matière de religion, la répression bien ciblée ont suffi la plupart du temps à éviter les débordements. Il faut aussi noter que les Marocains ont une bonne culture religieuse et que la majorité d’entre eux n’avale pas les discours extrémistes.

Aziz Enhaili: Qu’est-ce qui définissait, selon vous, ses relations avec les forces armées? Quel était l’impact réel des tentatives de putsch de 1971 et 1972 sur ces rapports? Quelles étaient les mesures prises par lui pour éviter qu’il y ait d’autres tentatives?
Ignace Dalle: Les deux putschs de 1971 et 1972 ont été un choc terrible pour lui. Il avait toujours aimé l’armée: chef d’état-major, il suivait cela de très près. Les officiers étaient pro-occidentaux comme lui. D’où le choc. Il a perdu ses dernières illusions sur la nature humaine. «Faites de l’argent, ne faites pas de politique!», a-t-il même dit aux officiers supérieurs après 1972. Il a également demandé à la gendarmerie royale et à son «patron», le Général Hosni Benslimane, de surveiller de près tous les déplacements des unités militaires. La corruption dans l’armée a calmé les ardeurs de nombreux officiers supérieurs (voir affaire du capitaine Mustapha Adib). 

Aziz Enhaili: Quels étaient les fondements de sa politique de sécurité nationale?
Ignace Dalle: Un appareil répressif sophistiqué et efficace depuis 1973. Des soupapes avec une presse relativement libre et des formations politiques qui disposaient de quelques espaces de liberté dans les dernières années de sa vie. Mais la makhzénisation des partis a rendu l’appareil répressif plus incontournable que jamais.

Aziz Enhaili: Peut-on vraiment dire que c’est la question saharienne qui avait empoisonné ses relations avec l’Algérie et plombé la consolidation de l’UMA?
Ignace Dalle: La question saharienne n’a fait qu’aggraver les choses. La rivalité remonte au temps du colonialisme. L’Algérie n’a pas vraiment renvoyé la balle au Maroc qui l’avait beaucoup aidé et qui a sans doute été défavorisée par la décolonisation. Ensuite, du fait des orientations socialistes d’Alger, le dialogue était presque impossible. Je crois que l’Algérie a souvent jeté de l’huile sur le feu et qu’Hassan II a géré raisonnablement un dossier très difficile. 

Aziz Enhaili: Rétrospectivement, Hassan II avait-il raison de quitter l’OUA?
Ignace Dalle: Je n’ai pas vraiment d’opinion sur ce point, sinon que, d’un point de vue marocain, sa réaction se comprend.

Aziz Enhaili: Qu’est-ce qui définissait la politique étrangère et les alliances internationales d’Hassan II?
Ignace Dalle: Quand on regarde l’évolution du monde arabe et de l’Afrique, qui, progressivement, se sont rangés du côté du monde occidental, on peut dire qu’Hassan II était très en avance sur son époque et sur la plupart de ses pairs. Evidemment, une monarchie est par nature plus proche du monde libéral que du monde socialiste. Hassan II était un réaliste qui avait su trouver les alliances indispensables à la fois à la survie de son régime et à la place du Maroc dans le monde. Même si c’était plus facile à l’époque de l’URSS et des deux grands blocs, plus personne ne conteste aujourd’hui la vision d’Hassan II en politique internationale. Elle a fait oublier en partie tout le reste beaucoup plus discutable.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire