Chez Cédric Herrou, on commence à avoir l’habitude des perquisitions. Alors, quand ce militant qui aide les migrants à entrer, circuler et séjourner en France est interpellé pour la troisième fois mercredi soir, ses proches attendent patiemment les gendarmes dans sa maison. Jeudi, c’est depuis le jardin, autour d’un plat de pâtes et d’œufs durs, qu’ils ont vu déferler une vingtaine d’agents casqués, armés et les nerfs à vif. Des gendarmes venus perquisitionner l’habitation, le terrain et les véhicules de la figure emblématique de l’aide aux migrants de la vallée de la Roya, à une cinquantaine de kilomètres de Nice.

A 16h30 dans cette maison de Breil (Alpes-Maritimes), Marie s’est isolée avec Nasser derrière un rideau. Cette infirmière de Médecins du Monde soigne une plaie à la malléole et s’occupe du mal de gorge de ce jeune Soudanais. Dehors, Morgan (le frère de Cédric) Lucile et Émile (deux militants) et deux mineurs étrangers patientent. Ils débarrassent la table.


Dans le même temps en contrebas, deux fourgons et cinq voitures des forces de l’ordre se garent au pied de la propriété. Venus pour une perquisition, les gendarmes grimpent en colonne et en petite foulées sur le terrain de Cédric Herrou. Quinze d’entre eux sont casqués, visières baissées, gilets pare-balles et armes à portée de main. En quelques minutes, ils écartent le photographe de Libération à l’aide d’une clef de bras (puis le mettront à terre un quart d’heure plus tard) et passent entre le tracteur, les poules et les ruches. Ils se déploient rapidement sous les oliviers avant d’encercler la maison. «Tout à coup, plusieurs hommes sont entrés et se sont mis à hurler tellement fort que je ne comprenais pas ce qu’ils disaient», raconte l’infirmière. Elle tire le rideau. «Je me suis retrouvée en face de quatre gendarmes, je n’ai vu que l’arme qu’ils pointaient. Autant de monde dans une si petite pièce, c’était proche de l’absurde.» La bénévole de Médecins du monde tente de rassurer Nasser, le jeune Soudanais s’étant mis à pleurer. «Ce qui m’a le plus traumatisée, c’est le sentiment éprouvé par ces enfants. Il y a là une maltraitance morale qui dépasse les limites. On était tous saisis, choqués et sans parole.»
Morgan et Lucile sont menottés. Émile reste à l’extérieur. A la demande des gendarmes, il s’occupe du chien noir de Cédric Herrou. «C’était complètement démesuré. Ils ont déboulé en gueulant et en nous tutoyant, raconte-t-il. J’ai rarement été témoin d’une telle violence. Elle n’était pas réellement physique mais elle était palpable dans l’atmosphère, dans le climat ambiant.» En moins de trente minutes, les gendarmes font le tour de la propriété. Lucile, Morgan et les trois mineurs embarquent dans les voitures des gendarmes. «Ces deux proches de Cédric Herrou ont été placées en garde à vue», confirme le procureur de la République de Nice. Quant aux moyens déployés : «C’est une affaire humainement hors-norme», répond-il.
La garde à vue de Cédric Herrou est prolongée de 24 heures. Non présent lors de la perquisition du domicile, son conseil Me Zia Oloumi juge ces mesures «disproportionnées» : «On a quasiment affaire à une brigade antiterroriste», dit-il. Cédric Herrou a été interpellé pour des faits qualifiés d’aide à l’entrée et au séjour.
Les autorités ne font pas retomber la pression sur la vallée de la Roya. Plus tard dans la soirée, à 3h du matin, une journaliste est arrêtée. Lisa Giachino réalisait un reportage sur la solidarité et l’aide aux migrants pour son magazine L’âge de faire.«J’ai passé la nuit sous les tunnels et sur les ponts de la voie ferrée entre Saorge et Sospel, raconte-t-elle à Libération. J’étais avec six jeunes Erythréens, entre 14 et 18 ans, qui tentaient de sortir de la vallée où ils étaient coincés.»
La petite troupe marche plusieurs heures dans l’espoir de monter dans un train à la prochaine gare. Lisa Giachino les suit, carnet de notes à la main. «Soudain, une bonne quinzaine de gendarmes est sortie du noir et nous est tombés dessus.» La journaliste est séparée des migrants. La suite de l’interpellation se déroule calmement. «Elle n’était pas en possession d’une carte de presse, précise le procureur de la République de Nice Jean-Michel Prêtre. Elle a été placée en garde à vue pour faire la démonstration qu’elle réalisait bien un reportage, et non une aide aux migrants.» Aucune charge n’ayant été retenue contre elle, Lisa Giachino a été remise en liberté... avec les consignes des policiers : «Ils m’ont dit : "si on vous reprend avec des migrants, attention !" Ce n’est pas normal de dire ça à un journaliste», estime-t-elle. Pour le prochain reportage, les agents de la PAF de Menton lui ont recommandé faire une demande d’autorisation à la préfecture.
Adèle Sifaut