De quels pays sont originaires les enfants soldats qui ont été suivis au Centre Primo Levi et quel a été leur vécu ?
Les
enfants que j’ai suivis étaient originaires de pays en guerre comme la
Sierra Leone, l’Angola, le Liberia, avec souvent un aspect de guerre
civile. Ainsi, les enfants soldats sont contraints à attaquer leurs
voisins, les personnes de leur entourage proche, leur famille. Le cœur
de ce qui fonde leurs liens sociaux est détruit. Instrumentalisés, ils
sont réduits à des « objets tueurs ». Leur parcours pour arriver jusqu’à
nous est semé d’embûches qui les entretiennent dans les séquelles
traumatiques de ce qu’ils ont subi.
Dans leur très grande
majorité, ces enfants ont été victimes de violences. Pour les envoyer au
combat, on leur donne aussi toutes sortes de drogues et de l’alcool.
Ils sont anesthésiés. Entretenus dans des croyances animistes, aussi.
Beaucoup d’entre eux ont un grigri sensé les rendre immortels. Certains
sont également amenés à abandonner leur nom et sont renommés par un
surnom au sein de leur groupe de combattants. Ce qui scelle leur
nouvelle appartenance, les coupant de leurs origines, de toute référence
au passé.
Qu’est-ce qui vous a frappé lors de la première rencontre ?
C’est
avant tout leur regard qui m’a saisi : un regard de pierre, sans fond,
qu’il est difficile d’atteindre. Parfois, leur corps semble épuisé. Très
souvent ces enfants souffrent d’insomnies. Ils ont été profondément
perturbés dans tous leurs rythmes pendant des déplacements incessants et
les périodes de combat. Leur croissance s’en trouve bouleversée. On
note souvent une difficulté à s’installer dans la rencontre.
Comment se pense la prise en charge ?
Le
Centre Primo Levi a pour mandat d’accueillir et de soigner les
personnes victimes de la torture et de la violence politique. Jamais les
bourreaux.
En ce qui concerne les enfants soldats, la communauté
internationale, l’ensemble des ONG et nous-mêmes, au Centre Primo Levi,
répondons sans équivoque en plaçant les enfants soldats du côté des
victimes. L’expression même « enfants soldats » constitue un oxymore,
c'est-à-dire une figure de style qui vise à rapprocher deux termes que
leurs sens devraient éloigner, dans une formule en apparence
contradictoire. Elle traduit bien en fait la zone grise, la zone
d’ambiguïté dans laquelle ces enfants se trouvent au-delà de leur
appellation : ni soldats, car il n’y a pas de réaffiliation à des
valeurs qui seraient celles de l’armée, conçues pour et par les
adultes ; ni enfants, car il va sans dire que leur enfance leur a été
volée.
«
Ni soldats, car il n’y a pas de réaffiliation à des valeurs qui
seraient celles de l’armée, conçues pour et par les adultes ; ni
enfants, car il va sans dire que leur enfance leur a été volée. »
Les violences qu’ils ont vécues sont de l’ordre de pratiques dés- identificatoires ou dés- affiliantes qui
leur font perdre tous les repères symboliques qui fondent une société.
Il s’agit pour nous, au Centre Primo Levi, de renouer avec les repères
enfouis. Après un temps de reconnaissance nécessaire de leur situation
de victimes, nous nous efforçons de retrouver le sujet, au-delà des
horreurs vécues et commises. Nous tentons de leur faire retrouver le
chemin de la parole.
Un enfant soldat est en permanence dans le
clivage. Une partie de son être est dans la guerre. L’autre partie est
présente ici. Quand le clivage cède, il se retrouve comme un bébé
abandonné, confronté à la terreur, installé dans l’archaïque. Je me
souviens du récit d’un jeune patient qui m’avait raconté qu’un jour,
alors qu’il était descendu du bus, arrivé sur le trottoir, il avait vu
tout d'un coup des fantômes blancs, des morts vivants enveloppés dans
leur linceul. La pensée lui vient alors qu’il doit les accompagner,
submergé par une angoisse de dépersonnalisation.
Il s’agit là
d’une hallucination qui se produit quand le clivage ne tient plus. Quand
il ne fait plus limite entre la réalité subjective et l’environnement,
car l’espace interne du patient est tout entier colonisé par des
reviviscences traumatiques. En psychanalyse, nous allons chercher à
diminuer ce clivage. Par rapport à ces patients, c’est extrêmement
périlleux. Il risque de basculer dans la confusion, de ne plus se sentir
localisé psychiquement.
A
l’opposé de ce temps princeps du développement de l’enfant constitué
par la première identification qui est à un lieu, un lieu psychique.
L’illimité triomphe sous le règne d’une jouissance sans frein, le plus
souvent autodestructrice.
Concrètement, comment se passe l’orientation et le suivi ?
Certains
des enfants soldats suivis au centre étaient adultes au moment de leur
prise en charge alors que d’autres étaient mineurs, arrivés la plupart
du temps sans famille ni soutien en France. En effet, ces enfants
considérés comme des tueurs ont été, dans leur pays, totalement rejetés
par leur entourage. Ils ont ainsi perdu toute inscription sociale,
toute référence. Ces jeunes nous sont alors souvent adressés par les
services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ou des structures d’accueil
pour mineurs isolés avec lesquelles nous travaillons.
Dans le cas
des enfants soldats, le travail pluridisciplinaire du centre de soins
Primo Levi est particulièrement requis. La prise en charge et le suivi
se partagent souvent entre psychologue, médecin, assistant social et
juriste.
http://www.primolevi.org/la-pratique-pluridisciplinaire/la-prise-en-charge-des-enfants-soldats
http://www.primolevi.org/la-pratique-pluridisciplinaire/la-prise-en-charge-des-enfants-soldats
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