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mardi 11 février 2014

Journée Internationale des enfants soldats : La prise en charge des enfants soldats au Centre Primo Levi


Garçon sérieuxNous y revenons ici à travers l’interview d’Eric Sandlarz, psychanalyste psychologue clinicien au Centre Primo Levi

De quels pays sont originaires les enfants soldats qui ont été suivis au Centre Primo Levi et quel a été leur vécu ?
Les enfants que j’ai suivis étaient originaires de pays en guerre comme la Sierra Leone, l’Angola, le Liberia, avec souvent un aspect de guerre civile. Ainsi, les enfants soldats sont contraints à attaquer leurs voisins, les personnes de leur entourage proche, leur famille. Le cœur de ce qui fonde leurs liens sociaux est détruit. Instrumentalisés, ils sont réduits à des « objets tueurs ». Leur parcours pour arriver jusqu’à nous est semé d’embûches qui les entretiennent dans les séquelles traumatiques de ce qu’ils ont subi.
Dans leur très grande majorité, ces enfants ont été victimes de violences. Pour les envoyer au combat, on leur donne aussi toutes sortes de drogues et de l’alcool. Ils sont anesthésiés. Entretenus dans des croyances animistes, aussi. Beaucoup d’entre eux ont un grigri sensé les rendre immortels. Certains sont également  amenés à abandonner leur nom et sont renommés par un surnom au sein de leur groupe de combattants. Ce qui scelle leur nouvelle appartenance, les coupant de leurs origines, de toute référence au passé.

Qu’est-ce qui vous a frappé lors de la première rencontre ?
C’est avant tout leur regard qui m’a saisi : un regard de pierre, sans fond, qu’il est difficile d’atteindre. Parfois, leur corps semble épuisé. Très souvent ces enfants souffrent d’insomnies. Ils ont été profondément perturbés dans tous leurs rythmes pendant des déplacements incessants et les périodes de combat. Leur croissance s’en trouve bouleversée. On note souvent une difficulté à s’installer dans la rencontre.

Comment se pense la prise en charge ?
Le Centre Primo Levi a pour mandat d’accueillir et de soigner les personnes victimes de la torture et de la violence politique. Jamais les bourreaux.
En ce qui concerne les enfants soldats, la communauté internationale, l’ensemble des ONG et nous-mêmes, au Centre Primo Levi, répondons sans équivoque en plaçant les enfants soldats du côté des victimes. L’expression même « enfants soldats » constitue un oxymore, c'est-à-dire une figure de style qui vise à rapprocher deux termes que leurs sens devraient éloigner, dans une formule en apparence contradictoire. Elle traduit bien en fait la zone grise, la zone d’ambiguïté dans laquelle ces enfants se trouvent au-delà de leur appellation : ni soldats, car il n’y a pas de réaffiliation à des valeurs qui seraient celles de l’armée, conçues pour et par les adultes ; ni enfants, car il va sans dire que leur enfance leur a été volée.

« Ni soldats, car il n’y a pas de réaffiliation à des valeurs qui seraient celles de l’armée, conçues pour et par les adultes ; ni enfants, car il va sans dire que leur enfance leur a été volée. »

Les violences qu’ils ont vécues sont de l’ordre de pratiques dés- identificatoires ou dés- affiliantes qui leur font perdre tous les repères symboliques qui fondent une société. Il s’agit pour nous, au Centre Primo Levi, de renouer avec les repères enfouis. Après un temps de reconnaissance nécessaire de leur situation de victimes, nous nous efforçons de retrouver le sujet, au-delà des horreurs vécues et commises. Nous tentons de leur faire retrouver le chemin de la parole.
Un enfant soldat est en permanence dans le clivage. Une partie de son être est dans la guerre. L’autre partie est présente ici. Quand le clivage cède, il se retrouve comme un bébé abandonné, confronté à la terreur, installé dans l’archaïque. Je me souviens du récit d’un jeune patient qui m’avait raconté qu’un jour, alors qu’il était descendu du bus, arrivé sur le trottoir, il avait vu tout d'un coup des fantômes blancs, des morts vivants enveloppés dans leur linceul. La pensée lui vient alors qu’il doit les accompagner, submergé par une angoisse de dépersonnalisation.
Il s’agit là d’une hallucination qui se produit quand le clivage ne tient plus. Quand il ne fait plus limite entre la réalité subjective et l’environnement, car l’espace interne du patient est tout entier colonisé par des reviviscences traumatiques.  En psychanalyse, nous allons chercher à diminuer ce clivage. Par rapport à ces patients, c’est extrêmement périlleux. Il risque de basculer dans la confusion, de ne plus se sentir localisé psychiquement.
A l’opposé de ce temps princeps du développement de l’enfant constitué par la première identification qui est à un lieu, un lieu psychique. L’illimité triomphe sous le règne d’une jouissance sans frein, le plus souvent autodestructrice.

Concrètement, comment se passe l’orientation et le suivi ?
Certains des enfants soldats suivis au centre étaient adultes au moment de leur prise en charge alors que d’autres étaient mineurs, arrivés la plupart du temps sans famille ni soutien en France. En effet, ces enfants considérés comme des tueurs ont été, dans leur pays,  totalement rejetés par leur entourage. Ils ont ainsi perdu toute inscription sociale, toute référence. Ces jeunes nous sont alors souvent adressés par les services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ou des structures d’accueil pour mineurs isolés avec lesquelles nous travaillons.
Dans le cas des enfants soldats, le travail pluridisciplinaire du centre de soins Primo Levi est particulièrement requis. La prise en charge et le suivi se partagent souvent entre psychologue, médecin, assistant social et juriste.
http://www.primolevi.org/la-pratique-pluridisciplinaire/la-prise-en-charge-des-enfants-soldats

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