par Aziz Enhaili, tolerance.ca, 8 mars 2010
La justice militaire marocaine a condamné l’ancien colonel-major Kaddour Terhzaz à douze ans de réclusion pour «atteinte à la sécurité extérieure de l'État». En raison de ses états de service honorables, de ses distinctions, de la procédure expéditive de son procès et de son état de santé précaire, il vaudrait mieux le libérer.
Tout en faisant preuve de compassion humaine, un tel geste lui rendrait sa sérénité et contribuerait à l’amélioration de l’image du pays à l’étranger.
Le colonel-major Kaddour Terhzaz est arrêté le 9 novembre 2008. Il est jugé par la justice militaire marocaine, de manière expéditive. Mais avant d’analyser le(s) motif(s) de son incarcération, faisons le portrait de celui qui était le numéro deux de l’armée de l’Air marocaine. Cela permettra de juger de la validité des accusations portées contre lui.
Kaddour Terhzaz, un homme d’honneurs et de distinctions militaires et civiles
Terhzaz était un des douze pilotes de la première promotion de l'aviation marocaine, l’«escadrille Mohammed V», formée à Salon-de-Provence. Ce militaire de carrière est né en 1937 à Tahala. Vingt-deux ans plus tard, il a décroché son diplôme d’ingénieur de l’École de l’Air française. Il est nommé en 1958 commandant de la première base militaire aérienne, puis chef du Bureau du personnel et opérationnel État-Major de l’Aviation durant les années 1964-1967. Cette mobilité atteste de la confiance placée en lui par la monarchie.
Après une année à l’École d’État-Major aux États-Unis, Terhzaz est nommé en 1968 chef du Bureau «Opérations État-major Aviation». Il y est resté deux ans. De retour d’une formation de deux ans à l’École de Guerre de Paris, il est désigné commandant en second de l’armée de l’Air (1972-1973). À l’époque, Hassan II avait échappé par deux fois à des tentatives de putsch militaires. Une occasion qui lui a permis de reprendre en main la Grande muette, en attendant l’ouverture du front méridional face au Front Polisario. Après trois années (1973-1976) passées à Washington comme attaché militaire, Terhzaz est nommé inspecteur en second de son corps d’armée. Fonction occupée de 1977 à 1988. Sept ans plus tard, il est mis à la retraite.
Durant sa longue carrière, Terhzaz a cumulé plusieurs distinctions nationales et internationales. Son pays lui a décerné le titre d’« Officier de l’Ordre du Trône» (1968) et la Médaille militaire «Sahara» (1985). La France lui a accordé la Croix de Guerre (1963), les États-Unis la «Legion of Merit-Degree of Officer» (1977) et l’Espagne le «Grand Cordon du Mérite» (1984). Paris lui a également accordé le titre prestigieux de «Chevalier de la Légion d'Honneur» (1980). C’est dire la confiance placée en lui par la monarchie marocaine et par l’Occident. D’où la stupéfaction de plusieurs au moment du prononcer de la sentence à son encontre.
Terhzaz et l’«atteinte à la sécurité extérieure de l'État»
Placé hors cadre en 1988, il est mis à la retraite en 1995, en guise de mesure disciplinaire, «pour violation des consignes militaires générales», selon ses détracteurs. On lui a reproché d’avoir violé des «consignes militaires générales». Affirmation rejetée par sa défense qui estime que cette mise à la retraite était due à sa limite d’âge (58 ans). De plus, étant «hors cadre», il n’assumait plus aucune fonction officielle et ne pouvait donc violer quelques «consignes militaires générales» que ce soit. Le 28 novembre 2008, il est condamné à douze ans de prison ferme pour avoir «divulgué des secrets de la défense nationale». Mais y a-t-il eu vraiment matière à condamnation?
Avec l’éclatement en 1975 du conflit armé entre le Maroc et la guérilla indépendantiste du Polisario («Maghreb: Barack Obama et la crise du Sahara occidental»), Terhzaz était (en sa qualité d’inspecteur en second de son corps d’armée) responsable notamment des pilotes chargés de bombarder les colonnes mobiles du Polisario. Celui-ci a capturé plusieurs d’entre eux. Il fallait attendre 2003 pour que les survivants d’entre eux et des soldats puissent retourner au Maroc, grâce à la Croix Rouge international et au sénateur de l’Arizona, John McCain. Après plus de vingt ans d’enfermement dans les geôles du Polisario.
Une fois de retour au pays, ces anciens militaires s’étaient rendu compte qu’ils conserveraient le même grade que celui qu’ils avaient au moment de leur capture. Cela est contraire à l’article 54 du code des officiers, qui prévoit l’avancement d’un grade pour les prisonniers de guerre. Pour corriger cette situation, un des leurs, Ali Najab, a contacté son ancien chef, Terhzaz. D’où la lettre manuscrite adressée en 2005 par l’ex-numéro deux de l’armée de l’Air à Mohammed VI, chef suprême des Armées et chef d’État-Major général des Forces armées royales. Une missive qui n’est pas arrivée au bon port.
Dans cette lettre, il a expliqué la situation précaire de centaines d’anciens soldats prisonniers et imploré le roi de s’occuper de leur situation puisque leur libération ne s’est accompagnée ni de dédommagement ni de reconstitution de carrière. Il a également souligné «les lacunes (techniques) de l’aviation marocaine pendant les années 1970 à travers leur incapacité à faire face aux fameux SAM7 soviétiques de l’adversaire» (voir des extraits de cette lettre dans «Maroc Hebdo international», 25-31 décembre 2009). Il en a remis une copie à Najab. Mais la sécurité militaire y a mis la main! Celui-ci s’est défendu d’en être le «couleur».
Le colonel-major Kaddour Terhzaz est arrêté le 9 novembre 2008. Il est jugé par la justice militaire marocaine, de manière expéditive. Mais avant d’analyser le(s) motif(s) de son incarcération, faisons le portrait de celui qui était le numéro deux de l’armée de l’Air marocaine. Cela permettra de juger de la validité des accusations portées contre lui.
Kaddour Terhzaz, un homme d’honneurs et de distinctions militaires et civiles
Terhzaz était un des douze pilotes de la première promotion de l'aviation marocaine, l’«escadrille Mohammed V», formée à Salon-de-Provence. Ce militaire de carrière est né en 1937 à Tahala. Vingt-deux ans plus tard, il a décroché son diplôme d’ingénieur de l’École de l’Air française. Il est nommé en 1958 commandant de la première base militaire aérienne, puis chef du Bureau du personnel et opérationnel État-Major de l’Aviation durant les années 1964-1967. Cette mobilité atteste de la confiance placée en lui par la monarchie.
Après une année à l’École d’État-Major aux États-Unis, Terhzaz est nommé en 1968 chef du Bureau «Opérations État-major Aviation». Il y est resté deux ans. De retour d’une formation de deux ans à l’École de Guerre de Paris, il est désigné commandant en second de l’armée de l’Air (1972-1973). À l’époque, Hassan II avait échappé par deux fois à des tentatives de putsch militaires. Une occasion qui lui a permis de reprendre en main la Grande muette, en attendant l’ouverture du front méridional face au Front Polisario. Après trois années (1973-1976) passées à Washington comme attaché militaire, Terhzaz est nommé inspecteur en second de son corps d’armée. Fonction occupée de 1977 à 1988. Sept ans plus tard, il est mis à la retraite.
Durant sa longue carrière, Terhzaz a cumulé plusieurs distinctions nationales et internationales. Son pays lui a décerné le titre d’« Officier de l’Ordre du Trône» (1968) et la Médaille militaire «Sahara» (1985). La France lui a accordé la Croix de Guerre (1963), les États-Unis la «Legion of Merit-Degree of Officer» (1977) et l’Espagne le «Grand Cordon du Mérite» (1984). Paris lui a également accordé le titre prestigieux de «Chevalier de la Légion d'Honneur» (1980). C’est dire la confiance placée en lui par la monarchie marocaine et par l’Occident. D’où la stupéfaction de plusieurs au moment du prononcer de la sentence à son encontre.
Terhzaz et l’«atteinte à la sécurité extérieure de l'État»
Placé hors cadre en 1988, il est mis à la retraite en 1995, en guise de mesure disciplinaire, «pour violation des consignes militaires générales», selon ses détracteurs. On lui a reproché d’avoir violé des «consignes militaires générales». Affirmation rejetée par sa défense qui estime que cette mise à la retraite était due à sa limite d’âge (58 ans). De plus, étant «hors cadre», il n’assumait plus aucune fonction officielle et ne pouvait donc violer quelques «consignes militaires générales» que ce soit. Le 28 novembre 2008, il est condamné à douze ans de prison ferme pour avoir «divulgué des secrets de la défense nationale». Mais y a-t-il eu vraiment matière à condamnation?
Avec l’éclatement en 1975 du conflit armé entre le Maroc et la guérilla indépendantiste du Polisario («Maghreb: Barack Obama et la crise du Sahara occidental»), Terhzaz était (en sa qualité d’inspecteur en second de son corps d’armée) responsable notamment des pilotes chargés de bombarder les colonnes mobiles du Polisario. Celui-ci a capturé plusieurs d’entre eux. Il fallait attendre 2003 pour que les survivants d’entre eux et des soldats puissent retourner au Maroc, grâce à la Croix Rouge international et au sénateur de l’Arizona, John McCain. Après plus de vingt ans d’enfermement dans les geôles du Polisario.
Une fois de retour au pays, ces anciens militaires s’étaient rendu compte qu’ils conserveraient le même grade que celui qu’ils avaient au moment de leur capture. Cela est contraire à l’article 54 du code des officiers, qui prévoit l’avancement d’un grade pour les prisonniers de guerre. Pour corriger cette situation, un des leurs, Ali Najab, a contacté son ancien chef, Terhzaz. D’où la lettre manuscrite adressée en 2005 par l’ex-numéro deux de l’armée de l’Air à Mohammed VI, chef suprême des Armées et chef d’État-Major général des Forces armées royales. Une missive qui n’est pas arrivée au bon port.
Dans cette lettre, il a expliqué la situation précaire de centaines d’anciens soldats prisonniers et imploré le roi de s’occuper de leur situation puisque leur libération ne s’est accompagnée ni de dédommagement ni de reconstitution de carrière. Il a également souligné «les lacunes (techniques) de l’aviation marocaine pendant les années 1970 à travers leur incapacité à faire face aux fameux SAM7 soviétiques de l’adversaire» (voir des extraits de cette lettre dans «Maroc Hebdo international», 25-31 décembre 2009). Il en a remis une copie à Najab. Mais la sécurité militaire y a mis la main! Celui-ci s’est défendu d’en être le «couleur».
Un peu plus de trois ans plus tard, le général Abdelaziz Bennani a porté plainte contre Terhzaz. Il est arrêté et condamné en 2008 par un tribunal militaire, lors d’un procès expéditif, à douze ans de réclusion pour le chef d’accusation d’«atteinte à la sécurité extérieure de l'État», pour avoir «divulgué des secrets de la défense nationale.»
Mais différents éléments montrent le caractère injuste de cette sentence. Nous en relevons ici deux. D’abord, le motif de condamnation, à savoir «l’atteinte à la sécurité extérieure de l'État». En envoyant sa lettre à Mohammed VI, on ne peut l’accuser d’avoir divulgué des secrets militaires puisqu’il s’adressait au chef suprême des Armées et chef d’État-Major général des FAR. De plus, en évoquant «les lacunes» (techniques) de l’aviation marocaine, il n’a fait que rapporter un secret de polichinelle connu depuis les années 1970-1980. D’ailleurs, l’instigateur de la démarche de Terhzaz avait dès 2006 révélé à «Maroc Hebdo international» que les avions F5 de la chasse marocaine «n'étaient pas équipés de moyens électroniques anti-missiles» (21-27 avril 2006), sans provoquer de courroux. Pour ces deux raisons, la thèse du règlement de comptes est avancée par plusieurs, dont la famille Terhzaz (Le Nouvel Observateur, 25 février 2010).
Le deuxième élément de l’iniquité du jugement concerne la procédure. D’abord, la lettre, seule pièce d’accusation. Le tribunal a ordonné sa destruction! Ensuite, deux semaines seulement après son arrestation, Terhzaz est jugé par le tribunal permanent des FAR. Le procès, tenu à huis clos, a duré une heure seulement! La cour a non seulement refusé d’appeler les témoins de la défense à la barre, mais a laissé le procureur présenter un dossier vide (selon l’avocat de la défense, Mohammed Ziane). Le prévenu est condamné à une peine de douze ans. Cela montre le caractère expéditif de la procédure.
Faute de grâce royale et à cause du rejet du recours en cassation, la famille Terhzaz est sortie un an plus tard de sa réserve. Craignant le pire, elle tente depuis de mobiliser l’opinion publique pour amener les autorités à le libérer. D’où notamment les interventions infructueuses à ce jour auprès du roi. Sans oublier leur organisation de manifestations, dont la plus récente s’est déroulée les 6-7 mars à Grenade, lieu du premier sommet Maroc-Union européenne consacré au «statut avancé» que l’UE avait accordé au royaume en octobre 2008. Terhzaz a quant à lui vu ses conditions de détention se durcir.
Ne laissez pas Kaddour Terhzaz mourir en prison
L’ancien numéro deux de l’armée de l’Air est désormais l’objet d’un régime d’incarcération très rigoureux. Son isolement n’a pas de restrictions. Il est privé de plusieurs droits dont bénéficient la plupart des détenus. Plus préoccupant encore son état de santé très précaire. À son âge vénérable (72 ans) s’ajoute ses problèmes cardiaques qui ne devront qu’empirer si d’aventure les autorités pénitentiaires n’allégeaient pas son régime d’incarcération. En raison de son passé militaire et du caractère inique de son jugement, Rabat devrait réviser son jugement en attendant de le libérer. D’ailleurs, pour faire rejuger l’affaire, le célèbre et unanimement respecté avocat Abderrahim Jamaï s’apprête à intenter un «recours de rétractation». Mais le temps presse. Il faudrait agir vite pour éviter le pire.
Mais différents éléments montrent le caractère injuste de cette sentence. Nous en relevons ici deux. D’abord, le motif de condamnation, à savoir «l’atteinte à la sécurité extérieure de l'État». En envoyant sa lettre à Mohammed VI, on ne peut l’accuser d’avoir divulgué des secrets militaires puisqu’il s’adressait au chef suprême des Armées et chef d’État-Major général des FAR. De plus, en évoquant «les lacunes» (techniques) de l’aviation marocaine, il n’a fait que rapporter un secret de polichinelle connu depuis les années 1970-1980. D’ailleurs, l’instigateur de la démarche de Terhzaz avait dès 2006 révélé à «Maroc Hebdo international» que les avions F5 de la chasse marocaine «n'étaient pas équipés de moyens électroniques anti-missiles» (21-27 avril 2006), sans provoquer de courroux. Pour ces deux raisons, la thèse du règlement de comptes est avancée par plusieurs, dont la famille Terhzaz (Le Nouvel Observateur, 25 février 2010).
Le deuxième élément de l’iniquité du jugement concerne la procédure. D’abord, la lettre, seule pièce d’accusation. Le tribunal a ordonné sa destruction! Ensuite, deux semaines seulement après son arrestation, Terhzaz est jugé par le tribunal permanent des FAR. Le procès, tenu à huis clos, a duré une heure seulement! La cour a non seulement refusé d’appeler les témoins de la défense à la barre, mais a laissé le procureur présenter un dossier vide (selon l’avocat de la défense, Mohammed Ziane). Le prévenu est condamné à une peine de douze ans. Cela montre le caractère expéditif de la procédure.
Faute de grâce royale et à cause du rejet du recours en cassation, la famille Terhzaz est sortie un an plus tard de sa réserve. Craignant le pire, elle tente depuis de mobiliser l’opinion publique pour amener les autorités à le libérer. D’où notamment les interventions infructueuses à ce jour auprès du roi. Sans oublier leur organisation de manifestations, dont la plus récente s’est déroulée les 6-7 mars à Grenade, lieu du premier sommet Maroc-Union européenne consacré au «statut avancé» que l’UE avait accordé au royaume en octobre 2008. Terhzaz a quant à lui vu ses conditions de détention se durcir.
Ne laissez pas Kaddour Terhzaz mourir en prison
L’ancien numéro deux de l’armée de l’Air est désormais l’objet d’un régime d’incarcération très rigoureux. Son isolement n’a pas de restrictions. Il est privé de plusieurs droits dont bénéficient la plupart des détenus. Plus préoccupant encore son état de santé très précaire. À son âge vénérable (72 ans) s’ajoute ses problèmes cardiaques qui ne devront qu’empirer si d’aventure les autorités pénitentiaires n’allégeaient pas son régime d’incarcération. En raison de son passé militaire et du caractère inique de son jugement, Rabat devrait réviser son jugement en attendant de le libérer. D’ailleurs, pour faire rejuger l’affaire, le célèbre et unanimement respecté avocat Abderrahim Jamaï s’apprête à intenter un «recours de rétractation». Mais le temps presse. Il faudrait agir vite pour éviter le pire.
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L’affaire Kaddour Terhzaz est emblématique de la non-indépendance du système judiciaire marocain. C’est pourquoi une intervention royale rapide pour sauver la vie de cet ancien officier et lui rendre sa dignité est plus que nécessaire. Tout en sauvant la vie d’un homme, elle inspirera un certain degré de confiance dans la sérénité des institutions marocaines au pays comme à l’étranger.
L’affaire Kaddour Terhzaz est emblématique de la non-indépendance du système judiciaire marocain. C’est pourquoi une intervention royale rapide pour sauver la vie de cet ancien officier et lui rendre sa dignité est plus que nécessaire. Tout en sauvant la vie d’un homme, elle inspirera un certain degré de confiance dans la sérénité des institutions marocaines au pays comme à l’étranger.
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