Archives 2009-2017 du blog du Réseau de solidarité avec les peuples du Maroc, du Sahara occidental et d'ailleurs(RSPMSOA), créé en février 2009 à l'initiative de Solidarité Maroc 05, AZLS et Tlaxcala. Rejoignez-nous!
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samedi 18 mai 2013
Un très beau texte de Eduardo Galeano sur la Sahara Occidental
La planète des murs.
« l’hypocrisie est le tribut que le vice paye à la vertu »
Par Eduardo GALEANOn 2 mai 2007. Des barrières pour emprisonner les peuples. Un peu partout à travers le monde, des murs ont été érigés pour séparer
les peuples. Certains font les manchettes. D’autres font rarement
parler d’eux. C’est le cas du mur érigé par le Maroc au Sahara
occidental. Vous souvenez-vous du célèbre mur qui divisait la
ville de Berlin en deux ? Tous les jours, ou presque, il défrayait les
manchettes. Nous avions tellement lu sur lui, nous avions entendu tant
des commentaires à son sujet, et nous l’avions aperçu si souvent, à la
télévision, que nous avions l’impression de le connaître
personnellement. « Mur de la honte », « mur de l’infamie », « rideau de
fer », la plus fameuse construction de l’ère soviétique avait reçu
plusieurs sobriquets peu flatteurs. En novembre 1989, le mur de
Berlin est finalement tombé. Personne ne s’en plaindra. Mais d’autres
murs ont surgi, ailleurs dans le monde. Plusieurs continuent de
s’étendre. Certains sont même devenus beaucoup plus imposants que le
défunt mur de Berlin. Mais nous n’y accordons guère d’attention, comme
si certains murs étaient plus télégéniques ou plus présentables que
d’autres. Par exemple, on parle très peu du mur que les
États-Unis sont en train d’ériger le long de leur frontière avec le
Mexique. Ni de la double rangée de fils barbelés qui a été installée
autour des enclaves espagnoles de Ceata et de Melilla, sur la côte du
Maroc. Le mur que les Israéliens construisent en Cisjordanie occupée ne
fait pas souvent les manchettes, lui non plus. Mine de rien, il sera
bientôt quinze fois plus long que le défunt mur de Berlin. Et
que penser du mur qui perpétue depuis 20 ans l’occupation par le Maroc
du Sahara occidental ? Autant dire qu’on n’en parle jamais. Ce mur,
protégé par des mines et constamment gardé par des milliers de soldats,
se révèle pourtant 60 fois plus long que le mur de Berlin. Pourquoi
certains murs font si souvent parler d’eux alors que d’autres sont
entourés d’un grand silence ? Serait-ce à cause des murs de silence que
les grands médias érigent chaque jour ? Mystère et boule de gomme.
En juillet 2004, la Cour internationale de La Haye a statué que le mur
de Cisjordanie violait la loi internationale et elle a ordonné son
démantèlement. Jusqu’ici, Israël a fait la sourde oreille.
L’attitude d’Israël n’apparaît pas sans précédent. En octobre 1975, la
Cour internationale jugeait qu’il n’y avait pas de lien territorial
entre le Sahara occidental et le Royaume du Maroc. Dire que le
gouvernement marocain a ignoré cette décision de la Cour constitue un
euphémisme. En fait, c’est bien pire que cela. Le lendemain de la
décision de la Cour, le Maroc a envahi le Sahara occidental, dans ce
qu’on a appelé la « marche verte ». Le royaume a confisqué de vastes
portions du territoire, tout en expulsant les populations, de gré de
force, dans une vague de feu et de sang. Ainsi va la vie
Environ un millier de résolutions des Nations unies ont confirmé le
droit à l’autodétermination des citoyens du Sahara occidental. A quoi
bon ? Un plébiscite devait aussi être organisé, pour décider de l’avenir
du territoire. Pour être sûr de faire triompher ses vues, le Maroc a
inondé le territoire avec des colons marocains. Mais bientôt, même ces
gens-là n’apparaissaient plus assez loyaux. Alors le roi, celui-là même
qui avait accepté l’idée d’un plébiscite, s’est mis à reculer. Plus
tard, il a refusé de tenir la consultation. Et maintenant son
fils, l’héritier du trône, poursuit dans la même voie. Le déni de la
réalité constitue une forme de confession. En refusant de permettre la
tenue d’un vote, c’est comme si le Maroc admettait qu’il a volé un pays.
Est-ce que nous allons continuer à accepter ce genre de choses ? Quels
effets ont eu les innombrables résolutions des Nations unies condamnant
l’occupation du territoire palestinien ? Et les innombrables résolutions
contre le blocus de Cuba ? Comme le dit le vieil adage : l’hypocrisie
est le tribut que le vice paye à la vertu. De nos jours, le
patriotisme constitue le privilège des pays dominants. Le patriotisme
des faibles est immanquablement associé à du populisme ou pire, à du
terrorisme. A moins qu’il ne suscite que la plus totale indifférence.
Les patriotes du Sahara occidental qui se battent depuis 30 ans pour
reprendre une place sur l’échiquier mondial ont obtenu la reconnaissance
diplomatique de 82 pays, incluant le mien, l’Uruguay. Ce dernier a
rejoint la majorité des pays d’Amérique latine et d’Afrique.
L’Europe fait exception. Aucun pays européen n’a reconnu la République
sahraouie. Même pas l’Espagne. Selon le cas, on peut interpréter cela
comme de l’irresponsabilité, de l’amnésie ou de la désaffection. Il y a
trois décennies, le Sahara occidental constituait pourtant une colonie
espagnole, et l’Espagne avait le devoir moral de protéger son
indépendance. Or, qu’a donc légué l’administration espagnole, au bout
d’un siècle ? Une poignée d’experts et une trahison. Elle a servi les
Sahraouis sur un plateau pour qu’ils soient dévorés par le Royaume du
Maroc. Il y a quelques années, un journaliste interviewait dans un
hôpital de Bagdad une petite fille de huit ans, grièvement blessée, dans
un bombardement. Au terme de la 11e opération nécessaire pour lui
reconstruire un bras, la petite fille s’était écriée : « Si seulement
nous n’avions pas de pétrole ! » Aujourd’hui, les gens du
Sahara occidental sont bien placés pour comprendre le désarroi de la
fillette. Peut-être sont-ils coupables seulement parce que la côte de
leur pays est reconnue comme l’une des plus poissonneuses de tout
l’océan Atlantique ? Ou parce que sous l’immensité désertique qui couvre
une grande partie de leur territoire, se cachent les plus grandes
réserves de phosphate du monde ? Ou peut-être parce qu’on pense y
trouver du pétrole, du gaz naturel et de l’uranium ? Les
ressources naturelles feront le malheur de ton peuple. Cette « prophétie
» pourrait faire partie du Coran, même si elle ne s’y trouve pas.
Les camps de réfugiés sahraouis du sud de l’Algérie se trouvent dans le
plus aride des déserts. Là -bas, tout n’est qu’un vide immense dans
lequel seuls des rochers semblent pousser. Et pourtant, c’est à ces
endroits et dans les quelques territoires libérés que les Sahraouis ont
réussi à construire l’une des sociétés les plus ouvertes et les moins
machistes de tout le monde musulman. Le miracle des Sahraouis,
qui sont très pauvres et trop peu nombreux, ne s’explique pas seulement
par leur volonté farouche d’être libre. Il dépend aussi de la solidarité
internationale. Et une grande partie de celle-ci provient des gens
d’Espagne. Leur solidarité, leur mémoire et leur dignité apparaissent
bien plus puissantes que les atermoiements des gouvernements et les
calculs cyniques du monde des affaires. Vous aurez remarqué que j’écris
le mot solidarité. Pas charité. La charité humilie, la solidarité donne
du courage. N’oubliez pas le proverbe africain : « La main qui reçoit
est toujours plus basse que la main qui donne. » Les Sahraouis
attendent. Ils semblent condamnés à l’angoisse et à la nostalgie. Les
camps de réfugiés portent les noms de leurs villes occupées, de leurs
liens de rencontres disparus, de leurs familles dispersées : l’Ayoun,
Smara, Dakhla. On les appelle les enfants des nuages parce qu’ils ont
toujours poursuivi la pluie. Mais depuis plus de 30 ans, ils sont aussi
en quête de justice. Dans notre monde, c’est une denrée qui se révèle
bien plus rare que l’eau dans le désert. Eduardo Galéano
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